C'est la XIIe fois que ce salon Révélation se déroule dans la Salle Marcel Hasquin de SAINT-GEORGES-SUR-LAYON.

           Il est bon de saluer Marcel Hasquin, à l'origine de ce salon ; Didier Benesteau mécène depuis bien des années ; Annick Bernier, Maire du village ; Clarisse Desvallon, présidente de l'association Flamme ; et toutes les personnes à qui cette manifestation doit d'avoir progressé au fil des ans : s’appuyant sur le tissu local, les organisateurs, tous bénévoles bien sûr, ont su convaincre les habitants de s’impliquer dans cette démarche, créer en fait un réseau d’entraide et de convivialité. Vu l'abondance du public, l'appel a été largement entendu. Le dynamisme, la bonne volonté de tous les membres de l’association ont fait le reste : "Révélation" est désormais bien implanté, actif et original. 

          Sidération ! Le mot n'est pas trop fort, lorsqu'en entrant dans la salle, le visiteur se trouve face à face avec les personnages grandeur nature de l'invitée d'honneur, ANNE BOTHUON ! Il faut dire que cette sculptrice uniquement préoccupée de l'humain, ne fait pas dans la dentelle ! Ses créatures sont conçues avec de la ouate, de la gaze de tarlatane qui leur donne leur couleur blanc grisâtre, divers tissus… Tels la plupart des créateurs de personnages en terre, elle commence par les pieds, tasse la ouate pour former les jambes aux mollets bien esquissés, compacte ainsi le matériau afin que l'être en construction s'érige et se tienne vertical. Elle noue, pique et repique, zigzague, entrelace des fils de toutes couleurs, crée ainsi une apparence de vaisseaux sanguins irriguant des pieds à la tête son personnage. Lace, reprise, traverse, sillonne… Car il faut que ces investigations disparates deviennent un tout, qu'explose une sorte de puissance latente qui engloberait tous les possibles. Bientôt, c'est fait : l'infinie précision se retrouve désormais dans la pliure d'un coude, la saillie d'un genou, le creux d'un dos, les rondeurs d'un ventre, le repli ou la protubérance d'un sexe, l'attitude déjetée, gymnique, triomphale, passive… du personnage unique toujours vu à hauteur des yeux de la créatrice. Les plis du visage combinent toutes les expressions possibles d'un faciès humain. Ce visage maigre, épanoui, saillant, hâve… sur lequel est parfois tendue ce qui ressemble à une peau mal tannée, vieille, sans attrait ; ou au contraire -rarement, comme si ces êtres étaient tenus d'avoir un lourd passif derrière eux- lisse, avenante. Le nez est proéminent, les yeux globuleux francs, directs, rusés, doucereux… ! Les cheveux sont ras ou en savant désordre. La bouche close sur ses mystères ou béante hurlant à pleins poumons…

          Groupés, tous ces individus ont un petit air de famille : râblés, larges d'épaules et bombant le torse, toujours nus, sans aucun bijou susceptible d'atténuer cette nudité. Bref, hormis leur âge et leur attitude, rien ne laisse supposer qu'il existe des classes sociales dans le monde d'Anne Bothuon. Leur point commun pourrait finalement être ce petit air suranné qui les place hors d'un temps déterminé, d'un lieu particulier. Tous différents, néanmoins, chacun présentant un petit quelque chose qui en fait un être unique. 

          On pourrait à l'infini déterminer les traits complémentaires, opposés, similaires, personnalisés… de ces individus et se demander en quelle école de la vie cette artiste a pu apprendre à connaître si bien le caractère humain ! Subséquemment, face à cette foule massée en un même lieu, il est impossible de donner une définition rédhibitoire des créations d'Anne Bothuon.

Remis de sa surprise, le visiteur peut alors admirer les toiles bifaces de l'artiste, corps suspendus surplombant les êtres évoqués ci-dessus. Revenues en deux dimensions, toutes des femmes vêtues de robes rouges, largement décolletées, la tête d'un gris cendré, les pieds nus posés ou plongeant dans une sorte de matière noir-grisâtre. Voir encore sur la scène, les femmes en noir, assises sur des chaises banales, arrogantes ou affaissées jambes allongées, repliées le long du buste… 

          Ainsi, la création d'Anne Bothuon est-elle incontestablement protéiforme. Tout en restant une et reconnaissable entre toutes. Il apparaît cependant, à l'évidence, que la partie maîtresse de cette création sont ses étranges compagnes et compagnons de ouate qui ont fait d'elle une figure de proue de l'Art textile dans le monde.

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Autour de l'invitée d'honneur, le spectateur passait devant les autres exposants de ce salon : 

*** Les compositions murales d'ANNE AUGUSTE, conçues en des couleurs acryliques pâles, à la limite du flou ; faites de carrés de toiles attachés à une tige métallique ; suspendues côte à côte et de haut en bas ; les ensembles étant réversibles, afin que puissent être vus à tour de rôle le recto et le verso. 

***Les peintures d'YVES BRIAND, issues de la très belle et tragique exposition réalisée à Dol-de-Bretagne au dernier "Noël quoi qu'il en coûte" : Chaque œuvre, peinte en des ocres chargés de mélancolie frappe le visiteur par sa conception minimaliste, parce que seul l'essentiel y est dit, plaçant le personnage au centre d'un décor dont il faut noter qu'il n'est jamais misérabiliste, mais dans lequel portes, fenêtres, lucarnes sont toujours closes. Lieux sinistres où cohabitent de pauvres êtres nus, la peau fripée, le cheveu rare, les poitrines creuses et les visages fatigués… Œuvres présentant une sorte d'inexorabilité, montrant la vacuité de leur existence. Et toujours des huis clos, des ambiances saisissantes d’un réalisme transcendant : c’est pourquoi, dans cette démarche, ni effets spéciaux, ni lieux de vie sophistiqués : chaque œuvre ne peut exprimer qu’un endroit tragique et misérable et/ou un sujet supportant tristement son lot d'anonymat.

 

*** Les monotypes, constructions déséquilibrées, de MARIE THAMIN. Oeuvres du silence, des vibrations des couleurs douces, feutrées, à la limite du flou. Posées sur des non-fonds aux couleurs "malades" (¹), comme l'étaient naguère les vieux murs chantés par Prévert. Aucune vie, en ces lieux, aucune fioriture qui égaieraient ces constructions fantomatiques, hors du temps.

(¹) Rien de péjoratif dans ce terme, bien sûr.

 

 

*** Les photographies de RANDAL. Compositions qui semblent évoluer à partir d'un trou lumineux (comparable peut-être à celui que les humains tentent d'apprivoiser dans l'immensité du cosmos ?) Et, bordurant ce trou brillant, s'entrelacent des filaments très fins, épars, formant des petites languettes noires, autour desquelles s'étalent ou se chevauchent des plages conçues en couleurs vertes mêlées de bleu, avec parfois une pointe de rouge orangé, et que des boules symbolisant le cosmos l'entourent à tous les horizons. Impossible au visiteur de déterminer à quel moment cessent ces nuances qui se recomposent dans son imaginaire pour parvenir au noir sidéral qui les enclot et génère une géographie intime. Mystique, l'artiste se sert de ce noir comme auxiliaire de la lumière, créant une vibration, dans le mouvement saccadé des nuances.

Subséquemment, ce travail vibre par l'espace absolument abstrait qui le compose, en conjuguant les contrastes ; l'esprit passionné de mystère de l'artiste s’immergeant dans la lumière et se perdant dans le noir.

 

*** Les compositions textiles d'ILANN VOGT qui avait délaissé ses œuvres scripturales pour des créations plus artisanales, conçues à partir de toiles aux tissages lâches, aux surfaces chiffonnées couvertes ici et là de taches d'encres colorées. Chaque chiffonnage inclus dans de larges cadres noirs.

Un travail austère, très manuel, grave et totalement introverti. 

 

 

*** Les collages de DOMINIQUE CHRETIEN, composés sur des supports de matières variées, tous des tondo, comme si l'artiste souhaitait inclure "son" monde dans le Monde ! Tous les éléments étaient collés verticalement, tels des lés de papiers peints couverts d'écritures s'écartant parfois légèrement, pour laisser apparaître ici une figure christique, là une vague silhouette humaine, etc. Un beau travail tachiste, sur des compositions originales. 

 

*** les sculptures de pierres, brutes ou colorées, de FRANÇOIS CHAUVIN, rugueuses, raboteuses, lourdes. Taillées à grands coups du ciseau. Aboutissant toujours à des groupes quasi-humanoïdes ou floraux ; ici, trois blocs bleus vus de dos, légèrement penchés en avant, pourraient cheminer vers… nul ne sait où. Là, les arêtes pointues tournées vers le bas, ménageant en leur milieu un vide noir, supportent une "tête" carrée. Ailleurs, un personnage accroupi semble en prière… Finalement, ce qui se cache sous de faux airs abstraits, emmène l'artiste vers des "dits" suggérés plutôt que définitifs. 

 

          Le salon révélait aussi plusieurs artistes de l'ESAT ARC-EN-CIEL, établissement médico-social de Cholet. Œuvres fortes, de créateurs autodidactes.

 

*** Les peintures d'ERIC BILLAUD, artiste d'Art brut au sens originel. Avec ses personnages tantôt montrant leurs dents, comme pour manifester leur envie de mordre ; tantôt affirmant leurs bouches pincées, leurs yeux exorbités, leurs oreilles décollées qui leur conférent une atypicité et un charme inattendu. Ou encore leurs corps protéimorphes, aux vêtements-peaux quadrillés ; aux bras et aux jambes grêles quasi-inexistants.

Têtes ou personnages placés devant des décors foisonnants, longuement peaufinés qui semblent les emprisonner. Ces signes suggérant au visiteur que la vie de l'artiste n'est peut-être pas un long fleuve tranquille.

 

*** Les peintures/caricatures de ROBERT BAFFREAU : figures bon-enfant ou rébarbatives, bouches à la Fernandel ; petits personnages réduits à leur plus simple expression ; méli-mélo de corps et de têtes devant lesquels le visiteur se retrouve comme naguère où, arrachant la page de son éphéméride, il regardait le dessins en se demandant où était la tête ; et se demande aujourd'hui comment démêler cet embrouillamini ! 

Une œuvre pleine d'humour, de poésie, d'inventivité, signée par un artiste qui semble avoir vécu sa vie cul par-dessus tête ! 

 

 

*** Les univers ensoleillés de MATTHIAS PINHEIRO : Personnages émergeant de fonds qui, de prime abord semblaient désordonnés, mais se révélaient finalement méticuleusement construits avec leurs défilés de minuscules pictogrammes/oiseaux ou insectes. Belles harmonies de couleurs. Un créateur, en somme, pour qui le soleil semble briller tous les jours ! 

 

*** Les visages en noir et blanc de DONALD DOUSPIS. Sculptures faites de matériaux érodés, allusives sans jamais être déterminées. Et ses "portraits” pseudo-photographiques, visages en noir et blanc, proposant chacun présentant un personnage central très stylisé. Têtes carrées aux angles arrondis, et mentons en galoche ; nez cabossés ; yeux mi-clos, de profil souvent, ou de face fixant le visiteur en off. 

          Etrange fantasmagorie, où le peintre, d’un trait fin exempt d’angles durs, hésite entre angoisse et malice, entre humour et sérieux, entre réalisme et illusion !

 

*** Les belles œuvres textiles colorées de MAY KATREM. Tableaux colorés, sortes de paysages étagés aux motifs répétitifs sur des bandes horizontales : fleurettes rondes aux centres noirs, creux ; résilles anarchiques ; visages encastrés dans des sortes de capuchons/nuages. Tout cela dans de belles nuances allant du rouge vif au rouge sombre ou légèrement rosé. Et, puisque le rouge semble décidément la couleur préférée de l'artiste, petits personnages enchevêtrés ; en relief sur la toile ; faits de tissu blanc joliment brodé de… rouge.

          Un beau travail ; d'une grande originalité, plein de poésie, respirant la tendresse de la créatrice. 

 

 

          Un salon très riche, qui remplit parfaitement son but de "révéler". Où le visiteur comprend que ces artistes sont là par amitié ; fidélité au salon qui leur offre ses cimaises même s'ils sont encore inconnus ? Où les organisateurs ont bien compris comment telle œuvre pouvait "jouer" avec telle autre et ont créé une véritable "installation" sans hiatus. Où cohabitent talent, créativité, recherche acharnée de modernité. Où professionnels et autodidactes se côtoient sans problème. Où, en ce XXIe siècle où tant de valeurs s'effondrent et de contre-valeurs font florès, il est agréable d'assister à un repli vers la figuration. Où, enfin, ces artistes à l'imagination créatrice, donnent à son public admiration et espoir.

Jeanine RIVAIS