LAM UN JOUR AU MUSEE SUITE ET FIN
LA DONATION DE LA "S" GRAND ATELIER BELGE
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Le groupe se déplace ensuite vers les œuvres de la donation de la "S" Grand atelier, association belge. Michel Nedjar raconte l'accueil chaleureux que Marc Eager et lui ont reçu lors de leur passage. Et comment ils ont été conduits directement à la salle de réserve et se sont retrouvés au milieu de tiroirs dans lesquels ils ont commencé à sélectionner des œuvres qui leur plaisaient. Auxquelles se sont ajoutées celles dont la directrice leur a fait cadeau. Ainsi, grâce à cette participation, le Lam possède 245 œuvres de la "S" Grand atelier, en plus des 300 offertes par les deux donateurs.
Michel Nedjar présente ensuite la directrice, Anne-Françoise Rouche, qui va commenter les œuvres choisies pour l'inauguration.
"La "S" Grand atelier est une association située à Vielsalm, au cœur des Ardennes belges. Elle propose des ateliers de création (arts plastiques et arts de la scène) pour des créateurs mentalement déficients. Elle est installée dans une ancienne caserne militaire laissée vide en 1994 par les Chasseurs ardennais ; et la "S" s’évertue depuis 2001 à tenir son autre grande promesse, la plus essentielle : permettre à une cinquantaine de personnes handicapées mentales de développer une pratique artistique, de s’épanouir en tant qu’artistes. Ici, on ne parle pas de l'artiste isolé, en souffrance et anonyme : ce centre d'art défend un art brut exigeant, et les ateliers sont encadrés par une équipe de professionnels de l'art et diffusent les œuvres produites, permettant ainsi à certains de faire carrière.
Parmi les œuvres commentées, il y avait :
JOSEPH LAMBERT : il écrit des choses à l'infini, des signes qui finissent par former des linéarités colorées. Qui s'accrochent les uns aux autres pour former une "phrase" visuelle. Dès le début de sa participation aux ateliers de la "S", au milieu des années 2000, Il griffonne sur des petits papiers ou des pages de magazines, sans retenir de lien avec les motifs d'origine. Son désintérêt pour les formes figuratives se confirme dans ses œuvres ultérieures. Il trace des sortes de hachures qui recouvrent presque toute la surface du papier. Les lignes se superposent, mais laissent néanmoins apparaître les couleurs sous-jacentes dans une subtile vibration chromatique. Sur des feuilles de grands formats, ses entrelacs colorés prennent une grande ampleur gestuelle, dans une étonnante danse du style.
ERIC DEROCHETTE : Représente-t-il des taillis, des buissons dans lesquels seraient perdus des personnages ? Des plumetis à grande échelle, toujours au centre de la page dont ce griffonnage couvre la majeure partie. Le tout, dans des harmonies de couleurs jaune-noir, rouge-noir… crayonné nerveusement comme en un ciel d'orage ! Repris, repassé, encore et encore, à en devenir étouffant. Et pour prolonger ce désarroi, affirmer son humanité déliquescente, il s'autorise des coulures semblables à celles d'une bougie qui aurait longuement fondu, ton sur ton avec la plage étouffante. Dégoulinant pour remémorer au spectateur la délitescence de l'esprit au fil de la montée du mal-être, la dérive vers la mort de l'individu, l'impossibilité pour lui de retenir, même un instant, le passage du temps !
ERIC DERKENNE (1960-2014) : Atteint d’une trisomie sévère, il a pu dès son plus jeune âge s’exprimer par le dessin. Solitaire et acharné, concentré durant des heures entières, il crée sans modèle apparent, tout un univers, construit par couches de stylo à bille. Il couvre des centaines de feuilles de traits acérés qui envahissent parfois toute la surface, jusqu'à produire un sentiment d'étouffement. Ses dessins, réalisés selon un processus précis et immuable, sont le résultat d'une longue évolution dans une gamme chromatique restreinte au noir et au violet. Des traits s'agrègent les uns aux autres pour former un visage masque qui semble tenir de l'homme aussi bien que de l'animal. Lorsque le tracé et la couleur recouvrent toute la feuille de papier, on ne sait plus si l'on se trouve devant un immense visage, un corps massif, un visage-corps ou un dessin abstrait. En 2011, la maladie ayant pris le dessus, Eric avait dû cesser toute activité artistique.
GABRIEL EVRARD : Il participe de façon permanente aux ateliers, depuis 2012. Fasciné par l'univers médiatique et télévisuel, doté d'une grande mémoire, il excelle dans les portraits de groupe et les stars du rock qu'il revisite, et dans les nus féminins aux formes généreuses créés dans des poses suggestives qui occupent également une place de choix. Il a l'art de sublimer tous les sujets qui l'enthousiasment, réinterprétant à sa façon le thème de l'odalisque. Ses gestes larges, tracés de façon énergique à la craie grasse, au stylo, au crayon, sa mise en place du motif dans la composition, donnent une dimension expressionniste à ses dessins. Dans les zones laissées blanches, il vient souvent glisser des mots, des phrases, jouant également sur la taille, la couleur des lettres, comme dans un jeu libre de typographie, les lettres de l'alphabet devenant parfois presque des idéogrammes.
PASCAL LEYDER : Pascal Leyder fréquente l’atelier de la "S" depuis 2008. Il a sa propre production mais participe aussi régulièrement à d’autres activités comme les concerts du groupe "The Choolers" au cours desquels il dessine in situ, et pour lesquels il a même imaginé la pochette d'un CD. Il a pris également part aux projets collectifs "Army Secrète" et "Ave Luïa" qui font depuis partie de la collection "abcd". Sa production est riche. Il a l'art de s'affranchir des codes picturaux, de fouir une idée et la reproduire dans les moindres détails, à coups de minuscules traits, si drus et fins qu'ils finissent par donner l'impression de compacité. Jouant de la perspective de façon très personnelle pour donner l'impression de groupes distincts, mais ne sachant pas effacer une barre qui passe derrière son tribun, de sorte que celui-ci apparaît à claires-voies !
LARA DELVAUX : Longtemps, elle est restée inactive dans l'atelier. Peu à peu, elle s'est mise à collecter des morceaux de tissus, bouts de laines, de dentelles qu'elle prenait sur les tables. Et un jour, elle a commencé à serrer tous ces objets au moyen de fils ou de laines, les croisant, entrecroisant jusqu'à former des paquets serrés comme si elle voulait empêcher cet enchevêtrement de respirer. Parfois, elle leur donne la forme d'une quenouille, et elles rappellent alors étrangement les poupées de Michel Nedjar ; d'autres fois, ce sont des personnages qui sont ainsi étranglés, étouffés, momifiés dans ces entrelacs filiformes de couleurs. Une façon assez morbide d'"enterrer" son mal-être, sous couvert d'enfermer des objets inanimés ?
REGIS GUYAUX : Des voyages effectués avec sa famille, il retient les engins de locomotion. Les voitures, les camions, les bus sont reproduits de face. Mais aussi vus de trois-quarts et en perspective rabattue. Il dessine souvent sur des papiers déjà imprimés, provoquant ainsi un début de narration par la superposition sur une carte géographique de motifs de voitures ou d'un accessoire comme une chaussure. La technique du monotype lui permet une approche originale de l'encrage, du travail de la matière, et des effets de clairs-obscurs. Intéressé par l'univers de la mode, de la sape, il a commencé en 2017 une série de personnages longilignes, dans des tenues colorées, accompagnés de leurs planches d'accessoires.
DOMINIQUE THEATE : Au cours de l'été 1986, alors qu'il allait entrer à l'école des Beaux-Arts, il subit un violent accident de moto qui le laisse lourdement handicapé. Il réapprend à marcher, à parler et à dessiner. Depuis 2001, il raconte ses souvenirs des années 1980, la vie de ses proches, et sa vie rêvée. Il dessine de nombreux autoportraits en costume cravate, des personnages dont il se sent proche, accompagnés de commentaires qui vont au-delà de la simple légende. Au dos d'un autoportrait, par exemple, il écrit à ses parents pour leur demander une belle tenue pour les sorties en famille ; sur un autre, il évoque ses souliers à lacets ; sur un autre encore, il pose à côté d'une voiture de luxe de type BMW dont il espère être un jour le propriétaire – "Pour me l'offrir, dit-il, il me faudra posséder un certain capital finançier que je souhaite récolter grâce à la production de mes "shemas", comme il appelle ses dessins. Sur d'autres œuvres, il reproduit "La femme à barbe" qu'il a essayé de séduire !
Jeanine RIVAIS
(Les textes sont un mélange de récits d'Anne-Françoise Rouche, de résumés du Lam, de réflexions de Jeanine Rivais et d'ajouts recueillis ici et là sur Internet). (Les images sont souvent mauvaises : étant la plupart sur papier, les oeuvres ont été mises sous-verre et reflètent tout l'environnement !!!)
Après un repas d'une grande qualité et convivialité, la journée se termine par la conférence de DEBORRAH COUETTE, docteure en Histoire de l'Art à la Sorbonne, présentant une partie de sa rhèse, sous le titre : L'Aracine, de l'association au musée : histoire d'une collection d'Art brut". Elle revient sur les moments forts de la constitution d'une collection unique en son genre, établie à partir du début des années 80, par des non-professionnels de l'art".
L'exposition sera visible au LAM jusqu'au 10 décembre 2022. Bravo à ces donateurs qui enrichissent la Collection. Ne manquez pas d'aller la voir, et revoir les quelques images sélectionnées pour ce texte.