Jeanine Smolec-Rivais : Xavier Barthe, qu'êtes-vous le plus : peintre, sculpteur, ou collagiste ?
Xavier Barthe : Plutôt collagiste, parce que je fabrique, en les collant, tous mes supports de tableaux. Sinon, peut-être plus sculpteur, mais où bout d'un moment, j'ai besoin de faire une pause dans ma sculpture. A ce moment-là, je change d'atelier et je fais des tableaux. Et c'est une toute autre atmosphère.
J.S-R. : Si je vous ai bien compris, c'est vous qui préparez vos supports avec des collages, avant de peindre. Alors, qu'est-ce que vous collez ?
X.B. : En ce moment, je travaille avec des vieux morceaux de papier Kraft, de vieux journaux, des annuaires. Auparavant, c'était plus grossier, parce que c'étaient des cartons que je déchirais, et que je désintégrais pour les reconstituer. Je travaille en série, donc je vais en faire une douzaine de la même façon, puis je vais changer. C'est pourquoi j'alterne peinture / sculpture, parce qu'au bout d'un moment je ne peux plus me concentrer sur ce que je fais.
J.S-R. : Peut-on dire que les dessins sont des esquisses des futurs tableaux ? Ou bien sont-ils indépendants, et considérez-vous qu'ils sont terminés ?
X.B. : Ce sont des travaux précédents. Donc, c'est effectivement, le début de quelque chose. Mais il n'y avait pas de préméditation. C'était une façon de faire. Les suivants sont peut-être plus aboutis ?
J.S-R. : Parce que le "physique" des suivants a complètement changé : ils sont tous longilignes, presque tous présentés seulement en bustes, sauf une femme que vous présentez jusqu'à la taille. Pourquoi les avoir faits aussi longs ?
X.B. : Je ne sais pas. Ils viennent ainsi. Et pour mes précédents travaux, je ne faisais que des têtes rondes ! Avec des grosses bouches !
J.S-R. : Et avec des matières en relief.
X.B. : Oui, justement, c'était le moment des collages de cartons. Et je me débrouille toujours pour que mon fond soit transparent. Je passe beaucoup plus de temps sur mon support. Je peux y passer des journées ! Tant que je n'ai pas quelque chose qui m'appelle, je suis incapable de dessiner dessus. Mais ensuite, le dessin va très vite.
J.S-R. : Je pourrais dire que vous n'avez que deux couleurs, dans vos derniers tableaux ! Des bruns légèrement verts, avec une pointe de violets ?
X.B. : Oui, c'est ce que je travaille pour les fonds avec des vieux vernis, pour donner un aspect vieilli à l'œuvre. Des tons légèrement gris, finalement. Et je travaille aux pastels gras.
J.S-R. : Vos personnages ont un petit air très exotique. Et ils me semblent complètement introvertis ? Je n'ai pas l'impression que nous les intéressons !
X.B. : Oui, c'est cela. Exotiques parce que je suis né au Sénégal ; j'ai grandi au Cameroun. Puis mon collège était aux Antilles. J'ai passé dix-huit ans de ma vie en Martinique. Mes grands-parents et mes parents étaient en Afrique. J'ai donc été élevé avec une foule d'Africains. Il n'y a pas de volonté de retranscrire cette vie "ailleurs". J'ai toujours eu un masque ou tout autre objet à la tête de mon lit, donc il m'est naturel de rendre toutes ces impressions dans ma peinture.
J.S-R. : Vos couleurs, par contre, ne rappellent pas vos racines, parce que chacun connaît l'ocre de la terre africaine, le bleu du ciel et le jaune du soleil.
X.B. : Oui, c'est ce qui se passe en ce moment. Mais il y a eu des choses plus colorées, et j'y reviendrai sûrement.
J.S-R. : Venons-en à vos sculptures. Uniquement linéaires. Aucun plein ? Peut-on dire qu'elles sont l'opposé de vos toiles qui, elles, sont bien remplies ?
X.B. : Je travaille l'acier, en essayant de le rendre léger ! Et, là encore, ce sont mes derniers travaux. Je suis dans une série de têtes humaines; mais j'ai fait beaucoup de taureaux, de chevaux… Quand je démarre quelque chose, je ne sais jamais tout à fait où je vais, donc je n'ai rien de définitif. Il y a une pré-idée et elle se fabrique au fur et à mesure de mon travail.
J.S-R. : Si je prends votre cheval, ou votre personnage en équilibre, je les trouve complètement disproportionnés ? De même que, pour vos têtes sur un fil, j'imagine que si le corps avait été réalisé, nous aurions affaire à des monstres ?
X.B. : Peut-être ? Ici, je suis parti dans la thématique du dessin d'enfant, genre "la tête à Toto"…
J.S-R. : Quant à vos masques, sont-ils inspirés ou non de masques africains ? Ou bien sont-ils de pures créations ?
X.B. : Ce sont des créations. Mais effectivement, il se peut qu'on y retrouve ce que j'ai vu avant ?
J.S-R. : Ce sont tous des masques de mort ?
X.B. : Non, pas nécessairement. Il y en avait beaucoup plus, et c'était une chorale. Ils avaient des expressions différentes dans les bouches. On pouvait éventuellement voir des notes. Donc, ils étaient bien vivants !
J.S-R. : Et puis, assez bizarres et un peu effrayantes, ce sont vos araignées ou des scorpions, je n'arrive pas trop à les définir !
X.B. : Ce sont des fourmis ! J'en ai fait une très grosse fourmilière !
J.S-R. : Enfin, venons-en à vos sujets réduits vraiment à des lignes essentielles : peintures ? Sculptures ? En métal également ?
X.B. : Oui, c'est du métal. De temps en temps, je les colore. Ce sont des nageurs. Effectivement, j'aime bien exagérer certaines postures, tout en étant le plus simple possible.
J.S-R. : Tout cela est à la fois très divers, mais sans aucun hiatus. Si je vous demandais de définir votre travail, votre parcours, comment associeriez-vous tous ces éléments ?
X.B. : C'est d'abord une histoire de matières que je travaille uniquement avec mes mains. Et un principe de récupération parce que j'essaie de n'utiliser que ce que je trouve : c'est facile pour le carton ou le papier ; un peu plus compliqué pour la ferraille. Et puis, les choses s'installent d'elles-mêmes.
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.