Jeanine Smolec-Rivais : Lydie Carette, peut-on dire que vous "africanisez" votre travail ?
Lydie Carette : Oui, tout à fait. J'aime infiniment l'Art africain, l'Art océanien. Je ramasse des morceaux de bois dans la forêt. Je les gratte, je les râpe, je les peins…
J.S-R. : On peut donc dire que vous êtes une artiste d'Art-Récup' ?
L.C. : Oui, tout à fait. Mais c'est surtout le bois qui m'intéresse.
J.S-R. : En fait, vous trichez un peu, parce que ces bois que vous ramassez, vous ne les laissez pas bruts, vous les couvrez…
L.C. : J'en laisse certains bruts !
J.S-R. : Mais vous mettez un peu de vernis dessus, tout de même !
L.C. : Oui !
J.S-R. : Ce qui est le plus surprenant, ce sont les compositions qui sont suspendues comme des peaux ! Des peaux d'animaux que vous auriez peintes.
L.C. : Oui, un peu.
J.S-R. : Pourquoi faites-vous cela ? Avez-vous vécu en Afrique ?
L.C. : Du tout ! Je ne peux pas expliquer pourquoi je procède ainsi. J'ai fait des choses différentes, dans ma vie. J'ai changé de vie il y a quelques années, et j'ai complètement changé de style.
J.S-R. : Donc, la partie Art-Récup' de votre travail pourrait être appelée "sculptures" ? Et puis, il y a une autre partie que l'on pourrait appeler "Collages"?
L.C. : Oui, mais les collages datent de quelques années. Maintenant, ce sont plutôt les bois, comme nous l'avons dit tout à l'heure.
J.S-R. : Que vous disent donc ces peaux d'"animaux" que vous avec rendues très sophistiquées ? Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de recouvrir un beau morceau de bois par des peintures qui sont presque des pictogrammes ?
L.C. : Je ne saurai pas vous l'expliquer. Mais effectivement, c'est un besoin ! Quand je vois ce bois qui a un rythme, des reliefs… j'ai envie d'y poser ces couleurs que j'aime. Y mettre du jaune, noir, rouge… Quand je procède ainsi, je sens que cela me libère, me protège peut-être de quelque chose ?
J.S-R. : En fait, le principe de peindre ainsi est toujours le même : vous peignez dessus de petits pictogrammes, de petits animaux…
L.C. : Oui, mais l'ensemble est très aléatoire, au gré de ce qui me vient. Il m'arrive de jouer avec les trous, de réaliser sans l'avoir voulu les deux yeux d'une tête… J'essaie de laisser les bois dans leurs formes initiales. Sauf que je gratte les parties abîmées. Au bout d'un moment, j'arrive à trouver quelque chose qui me convient.
J.S-R. : Vos collages : ce sont des Noirs que vous avez trouvés dans des catalogues, ou que vous avez peints vous-mêmes ?
L.C. : Les deux.
J.S-R. : Quand vous allez ainsi d'un petit totem qui pourrait être australien…
L.C. : Quelqu'un m'a dit que ce pouvait être un signe kabyle, alors que je n'en savais rien…
J.S-R. : Vous n'essayez pas d'identifier ou des faire des rapprochements avec des éléments de civilisations ?
L.C. : Non, pas du tout. Chacun y voit ce qu'il veut.
J.S-R. : En fait, vous voyagez sur vos sculptures et vos collages en pleine fantasmagorie ?
L.C. : Oui, cela peut représenter des lieux où je ne suis jamais allée.
J.S-R. : On retrouve sur d'autres œuvres, le même système de re/couvrement. Avec des parties intouchées ?
L.C. : Oui, je laisse souvent des parties apparentes.
J.S-R. : Que préférez-vous ? Les collages ou la sculpture ?
L.C. : Pour l'instant, j'ai arrêté les collages. Mais ils reviendront peut-être ? Selon les moments de mon inspiration.
J.S-R. : Venons-en à vos bois où vous avez laissé, -sauf sur l'un d'eux qui est peint en rouge- la texture du bois visible. Pourquoi avez-vous traité ceux-là différemment ?
L.C. : Je ne sais pas. Ce sont des réactions du moment, et j'ai beaucoup de mal à expliquer ce que je fais. Il vient un moment où je me dis qu'il faut que j'arrête ! Parfois, une forme précise me dicte ce qui vient. D'autres fois, non.
J.S-R. : Quand vous les laissez ainsi debout, côte à côte, représentent-ils quelque chose pour vous ? Des personnages, par exemple ? Des animaux ? Ou simplement, des fantasmes ?
L.C. : Non. Simplement des formes. Indéfinies. Je ne cherche pas à représenter quoi que ce soit. Cela vient tout seul.
J.S-R. : Ces bois qui sont tellement burinés, viennent-ils seulement des bois comme vous le disiez tout à l'heure ? Ou d'un bord de mer… ?
L.C. : Uniquement des bois. J'habite dans les Cévennes, et mes promenades dans les bois ont un but. Presque chaque fois, je rapporte quelque chose que j'entrepose au fond de mon jardin. Et ces trouvailles restent là jusqu'à ce qu'un jour, je décide de les utiliser.
J.S-R. : Dans les Cévennes, dit-on des "bordilles" comme on le dit dans le Midi, pour ces sortes de réserves constituées de glanages ?
L.C. : Non. Mais je ne suis pas originaire des Cévennes, alors j'ignore s'il y a un mot pour ce genre de dépôts ?
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.