ELODIE CHANU, céramiste

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Elodie, vous semblez bien jeune ! Vous faites de la sculpture depuis longtemps ?

Elodie Chanu : De la sculpture, non. De la céramique, oui. C'est difficile de se définir.

 

J.S-R. : Il est vrai que ceux qui travaillent la terre ne font pas des sculptures, puisqu'ils ajoutent au lieu d'enlever !

E.Ch. : Oui, mais souvent, on appelle céramique des objets d'utilisation courante. Moi, ce sont des objets d'art, qui ont, comme mes vases, perdu leur valeur d'utilisation quotidienne.

 

J.S-R. : Mais je ne parlais pas des quelques bols que vous avez apportés, bien que ce soient des pièces uniques. Je parlais de vos plaques qui sont vraiment très curieuses, et qui ont des petits airs sinisants. Leur découpage, la composition des éléments sur la plaque me font penser à des objets chinois.

E.Ch. : Pourtant, je ne m'intéresse pas vraiment aux œuvres chinoises. Je n'ai jamais vraiment fait des recherches en ce sens.

 

J.S-R. : Vous travaillez avec un rouleau, pour écraser ainsi la terre ?

E.Ch. : Oui, je fais des plaques.

 

J.S-R. : Mais quand la terre est fraîche, elles doivent être extrêmement fragile ?

E.Ch. : Oui. Je dois faire attention lorsque je la découpe, et tenir compte des brisures qui se produisent parfois.

 

J.S-R. : Vous attendez que la terre ait durci, avant de travailler dessus ? Ou vous démarrez sur la terre encore humide ?

E.Ch. : Cela dépend. Je traite les trous avec des cailloux que j'ai récupérés sur une plage.

 

J.S-R. : Ce que vous rajoutez dessus, ce sont des terres ? Des émaux ?

E.Ch. : Je cuis une première fois à 980°. Puis, je décore, j'émaille. Avec des pinceaux. Je travaille comme avec de la peinture, avec des taches de couleurs. Chaque pot a son pinceau, j'ai donc des tailles de pinceaux très différentes. Je mets des couches et des couches, parce que je peux très bien faire un trait, puis le recouvrir d'une engobe. Mais j'essaie de ne pas en mettre trop, parce que j'ai tendance à surcharger le support. Je trouve que mon travail a pris de la force depuis que je suis capable de laisser des vides.

 

J.S-R. : Oui. On voit bien la différence entre l'une de vos œuvres qui, en effet, est entièrement recouverte, et les autres. Mais ceci dit, dans la façon que vous avez de répartir les parties brillantes, les parties mates… claires ou foncées, vous obtenez une harmonie de couleurs qui fait qu'il n'est pas gênant que ce soit plein.

E.Ch. : Tout dépend si je suis ou non satisfaite de la façon dont mes apports fonctionnent. Je suis très spontanée, et je me refuse à être toujours dans l'esthétique. Je me fais parfois des critiques, je ne veux pas que le résultat soit "beau", je veux qu'il soit "fort". Quand je faisais de la peinture, j'embellissais toujours, et à la fin, cela me laissait insatisfaite. J'ai toujours tendance à embellir, et je me suis rendue compte que j'avais toujours ce problème au niveau illustratif, au niveau créatif.

J.S-R. : En fait, vous avez raison de les laisser mates, parce que si vous ajoutez du brillant à toutes les modulations que vous posez dessus, l'ensemble devient surchargé. Mates, elles sont sobres et magnifiques.

Finalement, toute l'ornementation est composée de taches. Il n'y a pas un animal, pas un humain… Vous n'êtes pas tentée, parfois, d'en ajouter un ?

E.Ch. : Mais il y a des images et des personnages !

 

J.S-R. : En effet, je n'avais pas assez bien regardé ! Ils ont tous un visage sur le bord !

E.Ch. : En fait, ce que je fais, c'est un travail sur le hasard, entre le visible et le non visible ! Mon travail consiste à montrer des choses qui ne sont pas visibles au premier abord. Ainsi, vous n'aviez pas vu les visages sur le bord. Mais lorsqu'on l'a vu une fois, on ne peut plus ne pas le voir !

 

J.S-R. : Alors, pourquoi ce parti-pris du visage à l'extrême bord déchiré de l'œuvre ?

E.Ch. : C'est peut-être une pensée, une âme qui est là sans qu'on la voie ?

 

J.S-R. : En fait, ce serait du vivant au milieu de tous ces décors aléatoires ?

E.Ch. : Oui. Mais ensuite, mes décors peuvent aussi être vus comme des paysages. Des paysages traversés par des êtres humains, des pensées, etc. Je veux que les gens puissent imaginer ce qu'ils veulent. Que ce soit très concret avec une histoire de A à Z ; ou juste une réflexion…

 

J.S-R. : Une chose est sûre : avec de minuscules ajouts comme vous procédez, on peut dire que vous êtes vraiment très coloriste !

E.Ch. : Oui, c'est une de mes préoccupations. Après, il y a tous les émaux. Nous parlons du résultat final, mais derrière, il y a toute la technique. Je suis une technicienne, pour parvenir à ces couleurs. Mais j'ai dû faire de multiples essais. Il faut passer par de très nombreux ratés. J'ai fait des gammes, des gammes, des gammes, pour parvenir à ce résultat. J'en fais une, puis je vais la mélanger avec d'autres différentes, Quand enfin un essai me plaît, je le choisis. Je me dis que quand j'en serai lasse, j'en changerai…

 

J.S-R. : Mais quand vous dites : "J'en choisis un", avoir une tache sur un minuscule tesson comme vous le faites, n'est pas la même chose que de le projeter sur une grande surface ? Vous avez forcément déjà d'autres motifs.

E.Ch. : Oui, mais c'est pour cela qu'il me faut maîtriser mes essais. Moi, je vous dis comment j'ai développé mes "gammes". Au début, je n'avais qu'un bleu. Puis, j'ai décliné en ajoutant du cobalt. J'ajoute peu à peu des éléments.

 

J.S-R. : J'ai remarqué que les plaques derrière vos œuvres sont également peintes. Mais pas de la même façon que celles de devant.

E.Ch. : Non, en effet.

 

J.S-R. : Comment définissez-vous ce travail que vous exécutez ? Dites-vous que ce sont des pages de livres… ?

E.Ch. : J'ai déjà pensé à des pages de livres. Mais j'ai du mal à définir ces œuvres.

 

J.S-R. : Donc, vous ne les définissez pas ? Vous ne leur donnez pas de nom ? Vous les faites au gré de votre fantaisie, et c'est tout ?

E.Ch. : Oui.

 

J.S-R. : Beaucoup plus civilisées, sont vos fausses couvertures de livres, sur lesquelles vous avez carrément des personnages. Ces formes sont bien découpées, ce n'est pas du tout le même travail ? Comment passez-vous de l'un à l'autre ?

E.Ch. : En fait, ce sont des parenthèses dans mon travail. Je les ai faites en hiver, car j'avais envie de changer. Mais je ne sais pas si je vais continuer ? Je vois bien que mes œuvres déchiquetées sont plus fortes.

 

J.S-R. : Oui, et plus fascinantes. Parce que l'on n'arrive jamais à saisir l'ensemble des dessins. Ces formes géométriques ne font penser qu'à des livres. Et pour moi, c'est d'autant plus surprenant que, dans ma courte vie de "sculpteur", je n'ai fait que des livres en terre.

E.Ch. : Oui, mais j'essaie que toutes mes œuvres soient différentes. J'essaie de me renouveler à chaque fois.

 

J.S-R. : Venons-en à vos assiettes et vos tasses. Est-ce que ce n'est pas déprimant de faire des objets aussi classiques, lorsque l'on vient de réaliser des œuvres aussi belles que vos plaques ?

E.Ch. : Il faut bien vivre ! D'ailleurs, dans la céramique, il y a toujours un moment où on en vient à l'utilitaire.

J.S-R. : Vous êtes autodidacte ? Ou bien avez-vous fait des études de céramique ?

E.Ch. : Je suis la nouvelle génération, j'ai plein de diplômes, je ne suis pas autodidacte. J'ai fait trois ans d'études aux Beaux-arts à Avignon. J'ai appris à tourner. Puis j'ai fréquenté la Maison de la céramique à Dieulefit pendant un an. Et c'est ce qui m'a permis de faire la liaison entre la technique apprise pendant le CAP qui était lobotomisante, et les Beaux-arts où je ne faisais que de la peinture où il fallait créer, créer, créer… et la Maison de la Céramique qui était très motivante !

 

J.S-R. : Et comment vous sentez-vous à Banne, Art hors-les-Normes ?

E.Ch. : Je suis vraiment contente. C'est la première fois que je me retrouve dans un milieu d'Art singulier. J'avais envie de sortir des milieux habituels. Et je me trouve très bien ici.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA GROTTE DU ROURE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.