Jeanine Smolec-Rivais : Ghouar, vous êtes d'origine maghrébine ?
Ghouar : Oui, je suis algérien.
J.S-R. : Dans vos tableaux figuratifs, l'influence de vos origines est évidente. Mais vous avez par ailleurs des tableaux abstraits. Comment liez-vous les deux ? Et comment vos origines influent-elles sur vos œuvres abstraites ?
Gh. : A la base, je suis un artiste abstrait, les gens me connaissent comme tel. Je m'inspire de tout ce qui est calligraphie arabe pour aller vers l'Abstraction lyrique. Vers le mouvement. C'est le côté caché de mon œuvre, parce que j'étais carrément figuratif en quittant les Beaux-arts. Avec le temps, je me suis plongé dans l'abstraction.
J.S-R. : Comment qualifiez-vous votre peinture figurative ? Dites-vous que c'est de la peinture algérienne ? Ethnologique ?...
Gh. : Je pense que la peinture est un langage universel. Je m'inspire de mon patrimoine algérien, surtout de la femme algérienne. Avec ses coutumes, ses traditions. Avec sa beauté. Sa bonté… Tout cela m'inspire beaucoup, c'est ma muse.
J.S-R. : Concernant ce que vous appelez votre patrimoine, vous présentez vos femmes dans une attitude paradoxale : alors que d'habitude elles se cachent, vous les peignez avec la plus grande évidence, mettant en effet en valeur, leur grande beauté.
Gh. : Premièrement, la femme ne se cache pas ! Elle montre sa beauté. Chez moi, il n'y a ni tchador, ni burka… cela n'existe pas. C'est votre idée de l'Orient. C'est afghan. Nous, nous sommes le Maghreb où cela n'existe pas ! C'est ma façon de montrer la femme comme je veux la voir et comme j'aime la voir.
J.S-R. : Quand vous les montrez effectivement très belles avec leurs bijoux, leurs voiles, elles sont à une cérémonie ? C'est un jour de mariage ?...
Gh. : Non ! Elles sont toujours aussi belles !
J.S-R. : Je crois que là, vous êtes chauvin !
Gh. : Peut-être ? Mais je les vois ainsi, et j'aime les présenter ainsi.
Le figuratif a été une période pour moi, que j'ai dépassée. Mais j'ai voulu en montrer une partie à Banne. De façon à montrer les deux aspects de mon travail.
J.S-R. : Les hommes sont des Touaregs ?
Gh. : Oui, des Touaregs, mais ils sont là juste pour le folklore ! Le folklore traditionnel.
D'habitude, je ne présente plus cette partie.
J.S-R. : Parlons donc de vos œuvres abstraites : certaines ne sont pas juste abstraites. Certains éléments semblent aisément reconnaissables.
Gh. : Vous pouvez voir ce que vous voulez. Pour moi, c'est du graphisme. J'utilise la calligraphie, et tous les éléments décoratifs pour composer le tableau abstrait.
J.S-R. : Expliquez-nous ce qui vous guide lorsque vous composez ces entrelacs de lignes, souvent blanches sur noir ou blanches et noir sur brun ?
Gh. : En fait je travaille à partir de rien. Je travaille à l'instinct en partant de zéro. Je provoque le moment. Après, je trouve quelque chose. Je continue jusqu'à ce que je trouve un équilibre psychique, moral. Jusqu'à ce que cela me satisfasse et je dis stoppe, c'est bon ! Je n'ai jamais un thème ou un sujet, un prétexte de travail.
Par contre, j'utilise la calligraphie, la décoration comme éléments du tableau.
J.S-R. : Qu'est-ce que cela vous apporte de créer de l'abstrait, par rapport à vos précédentes œuvres figuratives ?
Gh. : Oh la la ! J'entre en transe, en fait ! C'est ma thérapie ! C'est le lâcher prise ! La liberté absolue ! L'abstraction est un autre monde ! Et c'est le style le plus difficile dans toute l'histoire de l'Art. Parce que c'est de la musique en couleur. On sent une fausse note, mais on ne la voit pas. Il faut donc la chercher ! Dans le figuratif, on voit le problème, dans le nez ou dans l'œil… Mais dans l'abstraction, on "sent" le problème.
J.S-R. : Parfois, votre "musique" n'a pas le même timbre, parce que certains tableaux ne sont pas composés du tout comme d'autres.
Gh. : Mais, c'est le même principe, par contre.
J.S-R. : Vous m'avez parlé tout à l'heure de psychisme moral, mais à mon avis le psychisme n'est pas le même dans un tableau composé de taches que dans un tableau composé de lignes ?
Gh. : Oui, il y a des taches et des lignes. Mais, moi, je travaille l'instant. Aujourd'hui, je ne suis pas dans le même état psychique qu'hier ou demain. Je travaille à l'instinct, là, à ce moment-là.
J.S-R. : Dans l'ensemble, vous employez très peu de couleurs, j'en vois trois au maximum, sauf en de rares exceptions.
Gh. : Je suis plus coloriste que Matisse !
J.S-R. : Mais je n'ai pas voulu dire que vous n'étiez pas coloriste. Justement, j'allais y venir !
Gh. : J'étais coloriste ! Mais avec le temps, j'ai diminué la couleur. En fait, je cherche le simple dans la forme et dans la couleur. Si vous diminuez les couleurs, vous maîtrisez plus l'œuvre. Je cherche la simplicité dans le vide. C'est mon objectif. Le simple est très difficile. Mais tout ce qui est simple est beau !
J.S-R. : Nous en arrivons à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
Gh. :Les thèmes ? Je n'ai pas de thèmes. Je n'aime pas travailler avec des thèmes. J'aime être libre, or un thème est limitatif.
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.