Jeanine Smolec-Rivais : Sandra Guillen, je pense que je peux vous classer sans problème dans le monde des sculpteurs d'Art-Récup' ?
Sandra Guillen : Oui, tout à fait.
J.S-R. : Et que l'essentiel de votre glanage se fait dans l'univers des oiseaux, des animaux sauvages, etc. Vous vivez à la campagne ?
S.G. : Non, j'habite au Mans. J'aime me promener en pleine nature. Mais j'ai aussi fait des choix de vie, et j'aime le contact humain ! Quand je me promène en forêt ou au bord de la mer, je ne ramasse pas tout, mais les objets que je ramasse deviennent des trésors. Ce qui me parle, ce qui m'inspire. Je vois beaucoup de visages, des personnages partout ; c'est une vraie manie.
J.S-R. : Alors, que faut-il pour que tel tronc d'arbre, tel crâne vous donne envie non seulement de le ramasser, éventuellement de le stocker, mais un jour de l'utiliser pour le transformer ? Et quel doit être le rapport entre lui et les objets qui vont vivre à côté de lui ?
S.G. : Avant tout, les formes, essentiellement les formes sinueuses. Des choses atypiques qui, pour moi sont des merveilles de la nature. Sur certaines racines bien particulières, sur certains cailloux, il y a déjà presque tout ! Pour moi, c'est en fait déjà une œuvre. Du coup, j'ai envie de prolonger ces formes pour en faire des personnages. Créer un nouvel univers.
J.S-R. : Non seulement vous recomposez, vous rapprochez des éléments, mais en plus, vous les mettez en situation. Cet animal devant nous vit-il réellement dans la mouche ? Ou bien est-ce vous qui avez recréé l'univers de mouches ?
S.G. : Je recrée, en fait, un environnement imaginaire avec ce que j'ai de réel. Je le recrée avec des personnages, des créatures. Ces créatures sont bien sûr conçues à partir de l'idée d'insecte, de ver de terre… de choses complètement oniriques.
J.S-R. : Il me semble que, parfois, vous n'hésitez pas à faire des erreurs. Par exemple, dans un nid de merle buissonnier, vous avez mis un œuf d'oie. Au-dessus, vous avez créé une sorte de personnage complètement fantasmagorique. Mais vous lui installez un pont pour qu'il puisse traverser l'espace d'un bord à l'autre !
S.G. : C'est peut-être un pont ? Plutôt une branche à laquelle il est suspendu. Il n'est donc pas dans le vide, mais il y a une question d'équilibre.
J.S-R. : Oui, il en a besoin ! Parce qu'il a des bras qui mesurent au moins trois fois la longueur de son corps et des jambes également complètement disproportionnées.
S.G. : Souvent filiformes.
J.S-R. : En quelle matière est votre hippocampe qui a l'air d'être en papier mâché ?
S.G. : Oui, c'est du papier mâché. Et à côté, c'est une espèce de chimère à cornes de ce que je crois être un chevreuil.
J.S-R. : Revenons sur l'autre face de votre travail : l'idée de "mettre en boîte" implique-t-elle que vos personnages vivent dans un univers clos ?
S.G. : Non. C'est pour une idée de profondeur. Ce sont des sortes de décors, j'ai donc un fond que je peux habiller. Certains sont ouverts sur le côté pour laisser plus d'ouverture. Mais en tout cas, cela donne une impression de profondeur pour les personnages, et c'est ce que je trouve intéressant.
J.S-R. : En même temps, vous parcourez l'idée de la grotte. Comme on l'évoque en psychanalyse. Le personnage qui vit dans la grotte, qui sort de la grotte, qui émerge de la grotte… Surtout dans la partie des boîtes plus profondes.
S.G. : Dans celles-là, oui. Mais pour moi, ce sont aussi des nids, des endroits intimes.
J.S-R. : D'autres éléments, que l'on pourrait dire "à l'air libre" ont été entièrement reconstitués par vous, comme cette branche sur laquelle vous avez simplement ajouté un fermoir et une boule.
S.G. : C'est un caillou, en fait. Dans ce cas, c'est purement de l'assemblage.
J.S-R. : Donc, les personnages que vous assemblez sont toujours filiformes ?
S.G. : Oui, globalement et définitivement. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas ! Mais j'ai toujours procédé de cette façon : j'ai commencé par le dessin depuis que je suis toute jeune. J'ai aussi fait de la peinture, et c'étaient toujours des personnages, des visages filiformes et disproportionnés. En fait, il n'y a aucune normalité dans mes créations.
J.S-R. : Je voulais justement vous parler de votre âge (on peut encore, à votre âge !) et vous demander comment vous en êtes venue à faire de la Récup' ?
S.G. : C'est comme le dessin. Cela a toujours existé chez moi ! Quand j'étais toute petite, ma mère sortait les cailloux de mes poches ! J'ai toujours ramassé des bouts de bois. Je pense que cette manie a évolué. Maintenant, je les choisis de façon plus attentive. Je me souviens d'une anecdote qui m'est arrivée quand j'avais environ sept ans et que j'étais chez ma tante qui avait une ferme. J'avais trouvé un poussin mort. J'ignorais à ce moment-là ce qu'était la mort. J'ai donc ramassé ce poussin avec l'idée de le garder tout le temps ! Ma mère me demandait ce que j'avais dans ma poche et je lui répondais "rien rien…" ! Comme elle insistait, j'ai dû sortir mon poussin ! Et ma mère m'a dit qu'il était mort, que je ne pouvais pas le garder ! Je l'ai donc enterré avec l'aide de mon grand-père. Tout cela pour dire que j'ai toujours eu ce désir de collecter des objets, sans que je sache pourquoi !
J.S-R. : Vous êtes autodidacte ?
S.G. : Oui.
J.S-R. : Je trouve bien qu'une jeune femme comme vous pérennise cette forme de création, parce qu'en général les artistes qui la pratiquent ont un "certain" âge.
S.G. : J'en ai croisé quelques-uns qui, en effet, étaient plus âgés que moi ! Mais j'adore aussi les vieux objets, je fais les vide-greniers. Je suis très attachée à l'ancien et à l'authentique. Je me dis que mes créations permettent de mettre en valeur tous ces objets, ne pas les oublier.
J.S-R. : Il est à remarquer que, sauf sur l'un que vous avez verni, vous n'êtes pas intervenue sur l'aspect extérieur des objets.
S.G. : En général, oui, je les laisse tels que je les trouve. Même si, faisant de plus en plus d'expositions, je m'aperçois que les gens ont souvent besoin que ce soit propre et nickel !
J.S-R. : Je pense que c'est de l'humour d'avoir recousu ce tronc coupé en deux !
S.G. : Oui, il s'agit-là de cycle de vie. On meurt, on vit. Les choses meurent, et même si elles gardent leurs blessures, elles peuvent revivre.
J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
S.G. : Non, je ne crois pas, mais c'est la première fois que je suis interviewée ! Et je n'ai pas non plus l'habitude de parler de mon travail !
ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE D'ART ACTUEL DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.