Jeanine Smolec-Rivais : Mériadec Le Clainche, comment définissez-vous vos œuvres qui portent toutes de l'or ? Dites-vous que ce sont des bijoux ?
Mériadec Le Clainche : Non. Ce sont des oxydo-végétalisations. C'est un mot que j'ai inventé ; une marque que j'ai déposée. Parce que je pars du principe que, dans la vie, toutes choses s'oxydent, s'érodent, et avec le temps disparaissent. Mais il y a toujours un renouveau, une renaissance : les plantes reviennent par exemple.
J.S-R. : Cette dernière phrase explique le mot "végétalisation". Mais pourquoi "oxydo" ?
M.L-C. : Parce que j'utilise l'acier. Or, l'acier s'oxyde. J'aurais pu choisir "Erodo"…
J.S-R. : Et pourquoi pas "végétalo-oxydations" ? Cela semblerait plus logique !
M.L-C. : Oui, pourquoi pas ?
Mais "oxydo" va devant parce que l'oxydation s'opère en premier. Et la végétalisation vient après.
J.S-R. :Ce que vous réalisez sont des paysages imaginaires ? Ce sont vos fantasmes ?
M.L-C. : Pour moi, ce sont des structures fabriquées par l'homme avec des formes très géométriques, qui ont été attaquées et dans lesquelles la végétation est revenue. A repris ses droits, en fait. Des fantasmes ? Non, je ne crois pas ! C'est une vérité dans la vie. Une civilisation qui a partiellement résisté à la végétation.
J.S-R. : Qu'exigez-vous de cette partie de paysage ou de lieu, pour que vous décidiez que vous allez l'oxydo-végétaliser ? Comment naît dans votre imaginaire, un lieu spécifique pour que vous décidiez que vous allez en faire un objet ?
M.L-C. : Je dessine mes sculptures à l'avance. Donc, selon ce que je veux faire, je laisse plus ou moins de matière attestant de la présence humaine : Par exemple, le champignon que vous voyez est ce qui reste d'un énorme cercle qui a été "mangé". Et la plante qui est là s'accroche à une partie cubique. Mais c'est elle qui soutient cette partie cubique. Certaines sont comme des grottes. Je m'inspire beaucoup de la plongée sous-marine. Des gorgones qui sont des bateaux échoués, mangés par la rouille… mais il a des algues, des éponges qui sont venues s'y fixer. La vie reprend le dessus.
J.S-R. : Puisque vous parlez de végétalisation, -dans l'œil humain la végétation est toujours verte- pourquoi vos plantes sont-elles toujours dorées ?
M.L-C. : J'ai voulu mettre du doré pour le contraste entre la partie rouillée et le jaune de la dorure. Très souvent, quand il se passe des choses importantes dans la vie, on ne peut pas les voir. Alors je voulais mettre en avant ce contraste.
J.S-R. : Mais, en le dorant, vous lui donnez une connotation tout à fait neuve, contraire au fait de l'usure du temps qui va oxyder les objets dans la réalité. C'est donc un paradoxe !
M.L-C. : Oui. C'est un paradoxe. Comme le fait qu'il y ait dans notre vie, des choses que nous ne voulons pas voir. Chacun sait que nous avons des problèmes de pollution. Or, quelqu'un peut polluer une rivière pendant des années et l'entourage refuse de le voir. Jusqu'au moment où tellement de gens sont morts que la pollution va forcément s'arrêter.
J.S-R. : Vous voulez dire que, aussi décomposé que puisse être un lieu, si je me refuse à le voir, dans mon esprit il va rester doré ?
M.L-C. : Non ! Je dore justement pour que l'on essaie de voir les choses, que l'on se dise "Ca, c'est important" ! Et pas l'inverse ! Je veux vraiment mettre l'accent sur ce qui est important.
J.S-R. : J'ai du mal à vous suivre, parce que votre raisonnement me semble totalement illogique. Surtout par rapport à votre néologisme que vous avez imaginé pour définir vos paysages. Puisque vous mettez en avance le mot "oxydo", l'oxydation devrait être visible ! Or, on ne la voit nulle part. Vos œuvres manquent de réalisme par rapport à votre définition, car elles sont toutes neuves. On devrait pouvoir voir cette décomposition que vous placez en tête de votre démarche.
M.L-C. : La décomposition est dans le fait que la matière est mangée. On voit bien que, dans ce cube, par exemple, il manque la plus grande partie de la matière.
J.S-R. : Mais les "manques" sont dans vos mots, dans votre dit. Pas dans mon œil. Moi, je vois une grotte avec la végétation et la voûte toutes dorées. Je ne vois aucune oxydation. J'essaie très honnêtement, mais il m'est impossible de vous suivre dans votre raisonnement.
M.L-C. : D'accord. En parallèle, c'est aussi une métaphore. Chacun peut avoir des problèmes, mais il a toujours quelque chose à quoi se raccrocher. C'est aussi ce que j'exprime dans le fait que la végétation reprend ses droits par-dessus nos cendres. On peut toujours se raccrocher à la nature. Et la nature fait que nous puissions toujours aller de l'avant !
J.S-R. : Oui, mais votre raisonnement est du "dit" ; ce n'est pas du "peint".
M.L-C. : C'est mon ressenti, ce que je veux faire passer !
J.S-R. : Je n'y mets vraiment pas de mauvaise volonté, mais je ne vois pas ce que vous me dites ! Et si je n'ai pas le dit, je n'ai pas les clefs.
M.L-C. : Il faut donc des clefs pour comprendre mes sculptures !
J.S-R. : Non, vos sculptures sont esthétiquement belles. Mais il faut des clefs pour comprendre votre définition ! D'ailleurs, celle-ci vous semble tellement importante que vous l'avez écrite en gros caractères sur votre présentation !
M.L-C. : J'ai une autre série que j'intitule "oxydo-cristallisations". Elles sont faites avec du gypse. Le raisonnement est le même : dans la question de temps, j'imagine que les cristaux sont vivants. A une échelle de temps tellement différente de la nôtre que nous ne le voyons pas. Mais ils sont là, ils arrivent à remplir des grottes, et à former des cristallisations.
Je joue beaucoup sur la notion du temps. Du temps qui passe.
J.S-R. : Dans l'autre partie, vous évoquez plutôt le vide. Ici, ce serait plutôt le plein, le remplissage au lieu du vide progressif.
M.L-C. : Oui, mais le vide va se remplir par la végétation. Le vide va être rempli par des végétaux qui vont redonner de l'espoir, redonner de la vie. On voit ce phénomène dans les temples d'Angkor, par exemple, dans tous les lieux abandonnés.
J.S-R. : Je suis tout à fait d'accord sur l'action des plantes rudérales ; et sur l'œuvre que vous évoquez il est évident que c'est la plante qui supporte le bâti. Ceci dit, c'est la réalité de l'usure du temps qui me manque dans votre démonstration. Mais je vais en venir néanmoins à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
M.L-C. : Beaucoup de gens s'exclament sur le fait que ce travail est du "jamais vu". J'ai un éditeur d'art qui me dit que c'est un renouveau dans la sculpture.
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.