BEATRICE PILLARD, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Béatrice, vous vivez dans un monde qui me semble réduit à son minimum ? 

Béatrice Pillard : J'essaie de toucher l'essentiel. Mais avec difficulté ! Je pense donc qu'il me faut encore beaucoup travailler ! 


J.S-R. : Peut-on dire que vous vivez dans des forêts humaines ? 

B.P. : Oui, mais à l'origine, c'était la forêt tout court parce que mon inspiration a été tirée de l'arbre. L'arbre, le tronc, la verticalité, les racines. Et peu à peu, les arbres se sont transformés en humains. J'ai fait des découvertes dans la matière. J'ai toujours cette démarche de commencer par une idée… 


J.S-R. : Puis de la renier et d'aller plus loin.

B.P. : Non, au contraire : j'assimile et je digère, avant de me lancer dans une nouvelle aventure.  Je façonne, ce sont mes mains qui agissent, qui conçoivent les reliefs. C'est un travail très direct. Avec les mains comme instrument.


J.S-R. : Vos mains, donc ? Par contre, vos humains arborescents n'ont pas de mains !

B.P. : Si, elles sont parfois même très présentes, mais pas toujours.


J.S-R. : Peut-on dire que symboliquement vos personnages sont entre ciel et terre ? Portés par la terre, et supportant le ciel ? 

B.P. : Là, c'est l'interprétation de chacun. Moi, je sais que j'y ai mis mes propres pensées. Mais le visiteur va construire son imaginaire, à travers ce qu'il voit. Il va se l'approprier, et c'est ce qui est intéressant. 

Il y a bien cette idée de supporter un toit. Est-ce le ciel ? 


J.S-R. : J'avais d'abord pensé, comme dans les forêts vierges, à la canopée. Puis, je me suis dit que, bien que ce soit vert et brun, il était plus logique que ce soit entre le ciel et la terre. Des êtres entre ciel et terre. Comme dans l'idée religieuse de se savoir sur terre, et de penser qu'un jour on ira au ciel ? 

B.P. : C'est une idée intéressante, mais je n'y avais pas pensé. Et je ne vais pas jusque-là. Je ne me pose pas toutes ces questions.

J.S-R. : La question continue pourtant de se poser, parce que l'impression n'est pas la même dans une autre série que vous avez apportée.

B.P. : Oui, ce ne sont pas du tout les mêmes choses. Vous ne voyez là qu'un petit échantillon, ce qui est frustrant pour moi parce que j'ai travaillé sur ce thème-là sur quatre fresques. Et je n'en ai apporté qu'une ; donc ce n'est qu'un petit morceau d'une longue démarche. 


J.S-R. : Le tableau qui est en face de nous est beaucoup plus théâtral que les autres. En somme, les personnages de chaque côté seraient le rideau qui serait sur une scène. Mais si on les prend comme rideau, il ne reste plus que des moignons d'arbres, ce ne sont donc plus des humains. 

B.P. : Là, c'est aussi très intéressant. Mais comme je l'ai dit, je ne me pose pas toutes ces questions : je pars d'une idée ; ici, la vie avec la famille, la séparation d'êtres chers. Et je l'ai réalisée de cette façon. Après, je n'ai pas étudié les possibilités. Mais je retiens ce que vous avez dit. 


J.S-R. : L'idée de la séparation tient déjà au fait que ce soit un diptyque. 

B.P. : Outre cette question de diptyque, il y a aussi cette fissure, la terre qui se sépare ! Il n'y a plus de relation. Pour moi, l'idée est que ce sont les parents, la terre nourricière. 


J.S-R. : Et comment interprétez-vous le dernier ? 

B.P. : En fait, celui-ci est le premier, le précurseur. Quand j'ai commencé à faire ce travail, il y a eu une vraie révélation. 


J.S-R. : On pourrait donc dire que vous êtes dans l'idée de l'accouplement, de la rencontre ? 

B.P. : Oui, et j'avais vraiment l'idée de la forêt, de l'orée des bois avec les arbres où transparaît la lumière. Entre l'ombre et la lumière, oui il y a vraiment l'impression de personnes qui sont ensemble, regroupées. Et la lumière qui les traverse. 


J.S-R. : En même temps, dans aucun des tableaux, la terre n'est la même. 

B.P. : Non, jamais.



J.S-R. : Vous avez parlé de fracture entre deux parties…

B.P. : On a vraiment une composition qui fait penser aux strates.


J.S-R. : Quand j'ai regardé votre travail ce matin, voyant que le sol était arrondi, légèrement bosselé, j'ai pensé plutôt à une nature accueillante. Dans les autres, on pourrait penser à des sols en éruption, mais celui-ci est apaisé. 

B.P. : Peut-être quelque chose de volcanique, aussi, mais là je viens de le découvrir. Je n'ai pas de recul sur mes œuvres. Je découvre quand je fais, mais je découvre encore après. Et le fait d'en parler m'emmène encore ailleurs. 

L'idée du volcan est intéressante. Parce que j'ai l'image de cette terre au milieu de laquelle s'est créée une séparation. 


J.S-R. : N'est-ce pas frustrant de réduire des personnages qu'on a bien vivants en tête, à quelques lignes, quelques traits ?  

B.P. : C'est tout le contraire ! Je sens que je vais à l'essentiel ; que j'épure, j'enlève tout ce qui n'est pas nécessaire. 


J.S-R. : Oui, mais n'avez-vous pas l'impression de les désincarner, en procédant ainsi ? 

B.P. : Non ! Non. Parce que je vais au plus profond de ce qu'est l'être humain. Entre la vie et la mort. La vie et la mort sont toujours présentes. Donc, à travers ma démarche, je me rapproche de l'essentiel. C'est pourquoi j'ai simplifié ma forme. 

Derrière ce rapprochement, il y a des années de travail. Et j'en suis arrivée là. 

J.S-R. : Venons-en à vos animaux, les deux du haut confortant ce que nous venons de dire…

B.P. : En tout cas, j'ai besoin que ces deux-là soient ensemble. Je les ai intitulés "Réconciliation". C'était un peu compliqué, parce qu'il y a nombre de façons différentes d'arriver à deux. Et c'était pour moi important pour aller à l'essentiel encore. Pour exprimer cette émotion du moment qui était reliée à ma vie. J'exprime en fonction de ce que je vis. Des émotions que je ressens par rapport aux évènements de ma vie. 


J.S-R. : Vos animaux, c'est évident, et vous venez de le dire, sont conçus sur le même principe d'aller à l'essentiel… 

B.P. : En fait, à l'origine, c'étaient aussi des humains. Mais je trouve qu'ils ressemblent en effet, maintenant à des animaux. L'idée de l'animal est aussi très présente dans mon travail. L'animal est dans quelque chose de très primaire. Et je pense que ce n'est pas un hasard. Ils me font penser à la mante religieuse, à l'insecte… 


J.S-R. : En tout cas, humains ou animaux, ils sont aussi réduits à leur plus simple expression ? Par contre, il y a entre eux un rappel, mais il ne semble pas y avoir de rapport entre eux ; parce que vous avez à chaque fois bistré des espaces, ce qui fait qu'ils se retrouvent chacun dans un huis clos.  

B.P. : Oui, ils sont ensemble et séparés à la fois. Et je trouve que l'on ressent la solitude encore plus fort quand ils sont à plusieurs que lorsqu'ils sont seuls. Quand je les fais, je n'ai pas conscience de cette impression. 

J.S-R. : Mais là, ce sont des collages ? 

B.P. : Oui. Exactement. J'ai commencé par dessiner, et comme chaque fois je ne savais pas ce que cette création allait devenir. J'avais besoin du carton, du stylo bille, le bleu, j'avais besoin de ces deux contrastes. Ensuite, par accident, j'ai découvert que le carton était un peu abîmé, ce qui donnait des choses intéressantes au niveau de la matière. J'ai commencé à éplucher…


J.S-R. : En même temps, quand vous l'avez fait avec un cutter ou un outil semblable, vous avez civilisé le découpage ! Les espaces de bistres restent incertains, irréguliers. On serait donc dans la poursuite du travail que vous avez fait dans les forêts…

B.P. : Tout à fait ! 


J.S-R. : Mais l'effet n'est pas du tout le même quand vous avez coupé le carton avec un outil. Il n'y a plus de côté aléatoire. 

B.P. : C'est compliqué de répondre, parce que je m'interroge aussi ! Je suis vraiment contente de toutes vos questions parce que cela me fait réfléchir à de nombreux aspects sur lesquels je ne m'étais pas posé la question. C'est très intéressant comme échange, même si je n'ai pas la réponse ! 

J.S-R. : Mais je ne prétends pas vous apporter la réponse. Au mieux, je peux vous apporter "ma" réponse. Mais j'ai aussi beaucoup d'incertitudes sur le "dit" de votre œuvre ! 

B.P. : Mais le regard de l'Autre amène des interrogations, qui suscitent des réflexions. 


J.S-R. : A mon avis, le travail qui devrait découler de ce que vous présentez ici, ce serait d'associer ces animaux au monde végétalo-humain que nous avons observé avant. 

B.P. : Mais cette série est beaucoup plus ancienne et après elle, j'étais arrivée au bout. Je ne pouvais pas aller plus loin. Je suis donc passée à une autre forme sinon j'allais être dans la répétition. 


J.S-R. : Vous avez une idée de ce que vous allez faire à l'avenir ? 

B.P. : Mon projet pour continuer ces toiles, est de trouver un autre espace, parce que sur ces grandes toiles, je travaille beaucoup plus avec la lumière. Avoir un grand espace très lumineux, avec la lumière extérieure pour mettre en valeur ce travail qui va dans ce sens-là. La lumière. 


ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.