Jeanine Smolec-Rivais : Olivier Vedel, avez-vous des racines africaines ? Ou avez-vous vécu en Afrique ? Parce que, quand je vois votre travail, je pense immédiatement à des créations africaines.
Olivier Vedel : Non, je n'ai pas de racines africaines, mais j'ai vécu en Afrique pendant trois ans et demi, j'ai là-bas un projet artistique dans l'hôtellerie. Il est donc vrai que des influences ressortent. Mais, pour moi, ce n'est pas qu'africain !
J.S-R. : Alors, dites-moi tout !
O.V. : Il y a des codes, des symboles africains, mais cela représente aussi une peinture personnelle. Ce n'est pas une copie de masque, ou des choses semblables !
J.S-R. : Je n'ai absolument pas voulu dire que c'étaient des copies ! J'ai voulu dire qu'il y avait des structures qui me font penser…
O.V. : Voilà, il y a des codes qui font penser non seulement à l'art africain, mais aussi à l'art d'Amérique du Sud. C'est primaire brut.
J.S-R. : Ce qui m'a surtout fait penser à l'Afrique, ce sont les couleurs : l'ocre de la terre, le bleu du ciel, et le jaune du soleil.
O.V. : Oui. On reste dans les teintes naturelles. Il y a peu de couleurs. Ici, c'est un parti-pris de n'avoir pris que des œuvres de ces couleurs, afin de garder une authenticité. Que le bois soit brut. Eviter les vernis. Eviter tout ce qui brille. Que tout soit nature.
J.S-R. : Il y a quand même certaines œuvres qui me font penser aussi à Picasso ? Et je ne veux pas dire non plus que vous avez copié Picasso !
O.V. : Oui, je comprends bien. Chaque artiste a plusieurs repères. On dit : "Je fais de la création". Mais "faire de la création", c'est aussi regarder ce que font les autres. Ce n'est pas forcément avoir une espèce d'éclair de lumière ! On se sert de codes, on les mélange, pour arriver à quelque chose de personnel. Chacun a des codes qui appartiennent aussi à d'autres personnes. La création n'est pas ultime !
J.S-R. : Vous travaillez sur toile et sur bois ?
O.V. : Oui.
J.S-R. : Quand vous travaillez sur toile, c'est peint. Quand vous travaillez sur bois, c'est gratté avant d'être peint, me semble-t-il.
O.V. : Cela dépend. C'est en fait un système de mélanges de pyrogravures faites à la disqueuse, à la scie mécanique, à la main par-dessus. Puis je fais de la peinture, des collages, ce sont donc des techniques multiples.
J.S-R. : Je ne vois dans votre travail, que l'humain.
O.V. : Oui, il est vrai que je traite beaucoup de personnages. Et des personnages féminins, jamais des hommes.
J.S-R. : Là encore, vous avez un tout, plus une exception ! Malgré ce que vous dites, certains de vos couples me semblent bien homme/femme ! Et, près de nous, ce que je croyais être un guerrier !
O.V. : C'est une question d'identité. Pour moi, c'est une déesse, un objet de recueillement. C'est vraiment la pièce/symbole de cette exposition.
J.S-R. : D'ailleurs, vous l'avez placée en hauteur. Je ne sais pas si c'est le fait que vous lui ayez mis des larmes, mais je trouve cette sculpture tellement touchante, tellement "humaine" !
O.V. : J'ai voulu lui donner une expression ! Je traite beaucoup l'impression de tristesse, de l'intégralité, des choses qui ne sont pas forcément mises en avant d'habitude.
J.S-R. : Dans vos sortes de bas-reliefs…
O.V. : Ce sont bien des bas-reliefs, réalisés avec la technique du bas-relief.
J.S-R. : Je vois une femme, un homme (avouez !!!) et un personnage coiffé comme un Indien, ( parliez d'Amérique du Sud tout à l'heure !) dont je ne saurai pas dire si c'est une femme ou un homme ?
O.V. : C'est probablement un homme. Effectivement, il y a là des personnages masculins, mais je traite tout de même en majorité des personnages féminins !
J.S-R. : Dans ce trio, la femme de gauche est sans ambiguïté. On voit bien son sexe, ses seins. Celle de droite est également très féminine, bien qu'elle soit arrêtée à la taille… Mais au milieu, au lieu d'avoir un homme, je verrais bien deux personnages l'un au-dessus de l'autre ?
O.V. : Exactement. Il y a une interaction entre les deux. C'est une sculpture sur les vibrations. Ce que vous voyez tout autour, sont des éléments qui vibrent.
J.S-R. : En même temps, vous avez un placement très psychologique, où l'homme domine nettement la femme !
O.V. : Oui, on peut le voir ainsi !
J.S-R. : Beaucoup de vos œuvres sont dans toutes les nuances de gris avec un fond beige ou blanc. Mais, tout de même, vous en avez quelques-unes en couleurs.
O.V. : Oui, tout dépend des séries. Pour Banne, j'ai opté pour une exposition dans ces teintes. Mais j'ai tout de même voulu montrer que je ne fais pas que cela !
J.S-R. : Vous parliez de vibration tout à l'heure. Quand je regarde ce personnage accroupi, dont je vous disais qu'il me faisait penser à Picasso, et que je vois toutes ces barres noires au-dessus ; et toutes ces courbes qui sont sur d'autres, c'est ce que vous appelez des "vibrations" ?
O.V. : Oui. C'est une espèce de mouvement, un volonté de créer des œuvres moins statiques. C'est le côté vivant de la chose.
J.S-R. : Quand votre personnage principal est terminé, est-ce parce que vous sentez qu'il ne "vit" pas assez que vous ajoutez ces lignes et ces courbes ?
O.V. : Non. Cela dépend. Parfois je m'arrête parce que je n'ai pas besoin de mettre cet élément ; d'autres fois si.
J.S-R. : Vous m'avez dit que vous ne faisiez pas que des masques. Cependant vous en faites aussi, dont un très beau qui est dans l'angle…
O.V. : Là; je suis parti d'éléments de récupération. Ce sont deux rallonges de table que j'ai utilisées. Et la forme de masque fait partie de mes symboles. Je travaille beaucoup sur cette forme-là, sur l'ovale, mais un ovale cassé, un ovale avec deux phases. Et on la retrouve dans beaucoup de mes travaux.
J.S-R. : Vous voulez dire que si je traçais un ovale; j'entourerais tous vos personnages ?
O.V. : Non, je travaille avec des codes, une palette de codes que l'on retrouve à chaque fois.
J.S-R. : Là encore, vous n'avez pas de demi-mesures : soit vos personnages sont complètement introvertis avec des yeux clos. Soit, au contraire, ils ont des yeux complètement exorbités…
O.V. : Un peu dans les extrêmes, oui. Des extrêmes dans les sentiments.
J.S-R. : Comment définissez-vous vos œuvres murales ? Des sculptures ou des peintures ?
O.V. : Ce sont des bas-reliefs ! Ils sont les intermédiaires entre la sculpture et la peinture en 2D. Nous ne sommes plus en deux dimensions : nous sommes en 3D, mais on ne peut pas tourner autour.
J.S-R. : La plupart de vos œuvres sont presque plates, en deux dimensions. Mais ce personnage que nous évoquions tout à l'heure et dont vous m'avez dit que c'est une déesse, est vraiment…
O.V. : En ronde-bosse. On peut tourner tout autour.
J.S-R. : Cette déesse, donc, a l'air tellement vivante, à côté des autres !
O.V. : Elle a une beauté formelle. La sculpture, par rapport à la peinture, apporte un plus : la possibilité de la voir sous tous les angles.
J.S-R. : Et puis, vous lui avez donné un aspect granité qui ajoute à son aspect si particulier. Cette déesse est vraiment magnifique !
O.V. : Merci. D'autant que, comme je l'ai dit, elle est pour moi la signature de cette exposition.
J.S-R. : Vous avez une autre sculpture en ronde-bosse, sur la table.
O.V. : C'est un galet de la Durance qui est sculpté au disque diamant. Puis j'ai mis la couleur. La couleur sur la pierre, c'est délicat !
J.S-R. : Il semble, en fait, beaucoup moins naturel que votre déesse.
O.V. : Oui, moins brut, plus policé. Il y a plus de graphisme dessus.
J.S-R. : Il est aussi plus structuré.
O.V. : Mais il me donne l'impression de veiller sur moi !
J.S-R. : Ce serait donc un dieu-lare ?
O.V. : Voilà. C'est une œuvre qui appelle à faire attention. Qui interpelle.
J.S-R. : Quand vous êtes entre dieu et déesse, vous êtes hors de danger !
O.V. : Moi je me sens complètement protégé par mes statues, mes sculptures. Il y en a que je ne vends pas, qui sont personnelles. Je vis, mais je vis ce que je fais !
J.S-R. : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
O.V. : Non, c'est très bien ainsi. Déjà, vous m'avez beaucoup motivé, parce que je ne suis pas un grand bavard !
ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE DES FETES DE SAINT-PAUL LE JEUNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.