LES PAYSAGES FANTASMÉS DE DOMINIQUE CESARO
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Partie de créations où la ligne noire est prédominante, ayant en elle suffisamment de talent et de joie de vivre pour créer des œuvres hautes en couleurs, Dominique Cesaro a su se libérer de tout académisme, se dégager de toutes influences évidentes.
Et le visiteur peut imaginer que le cerne qui, à l'origine "commandait" le dessin, s'est mis "au service" de la composition. Que la couleur a commencé à s'imposer. Car l'artiste propose un ensemble d'œuvres où les rouges, les violines et les bleus sont les dominantes. Elle les a apprivoisés, a appris à les faire cohabiter ; en travaillant tantôt avec une brosse très chargée ; tantôt avec un pinceau presque sec. Le contraste entre ces effets de matière et les passages où apparaît la trame de la toile crée les vibrations du tableau, chaque nuance captant différemment la lumière.
Mais il serait erroné de ne parler que de peinture : Dominique Cesaro la pratique concomitamment au dessin et au collage : les trois médiums interagissent et se font concurrence autour d’une recherche picturale articulée selon deux axes/projets : les paysages "déchiffrables", réminiscences de ses voyages, présentés en des sortes de séries. Et ceux pour lesquels le collage renvoie aux œuvres associant des photographies prises sur le motif et des images prélevées dans des pages de manuels ou de catalogues dont les brillances serviront de base à celles de la peinture. Ces "tableaux" sont tellement serrés qu'il est difficile d'affirmer qu'ici se trouve la fontaine de quelque ville italienne, là une barque, ailleurs une cheminée d'usine, etc. L'artiste génère ainsi un système de combinaisons menant à "l’épuisement" du sujet, en l’occurrence les villes. Les variations gestuelles et techniques influent sur les effets lumineux et par conséquent sur la vision plurielle d’un même paysage dont elle parcourt toutes les possibilités.
Dans ce mélange de techniques évoquées ci-dessus, ce jeu avec la couleur est particulièrement sensible. Plutôt que "paysages", conviendraient "parties d'un quartier citadin", "flashes visuels" sur lesquels tombe l'œil de l'artiste, à l'heure où la lumière est la plus violente, les contrastes les plus crus. D'une oeuvre à l'autre, ce va-et-vient provoque le visiteur surpris dès l'abord par le relief et la brillance du travail effectué sur la toile, conséquence des expérimentations supplémentaires bien particulières de l'artiste : pour certaines œuvres, les contours dessinés ou grattés semble-t-il, dans de la cire fondue, ont la translucidité de l'albâtre. Si elle veut différemment jouer sur les transparences, elle crée une différence de ton, accentue la netteté des lignes entre lesquelles elle va déposer son élément collé. Le résultat est à l’image du monde dont elle procède : divers, complexe, lisible, indéchiffrable, sombre ou jubilatoire.
Au cours de cette sorte d'alchimie à laquelle elle se livre, Dominique Cesaro peut donner libre cours à ses délires, découper son espace, créer des distorsions, ajouter ses collages, étaler des couleurs fondues, diluer des encres, placer de guingois ce qui devrait être droit, insister sur un détail a priori minime, négliger un signe décisif, Ce côté ludique de son travail autorise les appréciations les plus subjectives, amène le visiteur à créer son "happening" personnel, suivant l'angle sous lequel il regarde l'oeuvre ! Néanmoins, quel que soit son parcours, il parvient presque toujours à un "paysage". Et, s'il est désireux de profiter, au maximum de ce festival de luminosités, il doit se placer assez loin de l'œuvre, au point où la technique évoquée plus haut ne lui sera plus apparente : il verra alors jouer pour lui, toute la lumière créée par cette peintre collagiste ; sentira les risques qu'elle prend en s'essayant aux étonnantes métamorphoses graphiques et picturales qu'elle fait subir aux paysages issus de ses documents originels.
Alors, peut-être faudrait-il se demander : qu'a donc dans la tête Dominique Césaro qui, l'air de ne pas y toucher, livre à autrui ses fantasmes, ses rêveries délirantes, des sortes de conflits spatiaux enfouis dans ses paysages-prétextes ; revient effectivement, au plan formel en exigeant de l'observateur ce qu'Ehrenzweig appelait "l'oeil baladeur" (¹) ; met chacun au défi de découvrir l'affinité cachée entre ces réminiscences de voyages effectués de visu aux compositions somme toute classiques et leurs substructures complexes : aller au-devant de l'évidence, constater que cette fragmentation superficielle n'est qu'apparente et recouvre en fait une cohérence profonde !
Jeanine RIVAIS
(1) : "L'Ordre caché de l'art" : Anton Ehrenzweig. NRF. Ed. Gallimard.
TEXTE ECRIT SUITE AU XXXe FESTIVAL "BANN'ART, ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI" DE BANNE 2017.