LE MONDE INTIME DE CATHERINE DUFRENE
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Telles les matières en fusion qui se bousculeraient en rayonnant autour du “trou” originel, les formes que crée Catherine Dufrene se propagent à partir d’un point central concentrant les “lumières” qui éclatent de toutes leurs nuances vers les limites de la toile, prêtes à en sortir, partir "vers" l’infini, en une sorte de grand orbe dont seul l’artiste aurait la vision totale. Car elle jette sur le support de larges flaques aléatoires, dont elle se contente d’assurer les complémentarités. Long travail de gestation au gré d’un hasard tout de même un peu provoqué, avec la conscience que ces couches successives disparaîtront pour l’œil, mais que leur présence sous-jacente lui permettra de faire vibrer celles qui achèveront ces surimpressions. Celles, en fait, d’où partira l’aventure.
Car il semble bien que Catherine Dufrene va passer un long moment à observer ces plages dont la contiguïté génère "un tableau abstrait". Mais, petit à petit, de même que le rêveur décèle dans l’in/défini des nuages, des formes concrètes, l’artiste repère sur ses taches, ici une amorce de bateau à multiples voiles ; là un jaillissement de lave, quelque tortue aquatique surgissant d'un courant ; ailleurs, le reflet d'une construction… Son regard s’y accroche ; son esprit encourage ce hasard ; détourne cette abstraction en prolongeant le mouvement entr’aperçu ; le transforme en figure. Tout en conservant un demi-flou qui empêche toute interprétation définitive, laquelle la ferait retomber dans l’académisme, alors qu'elle s’exprime en une figuration très libre, jamais réaliste... Là encore, elle a su se dégager de recherches appartenant à l'histoire de l'Art, et trouver sa ligne propre.
Et, à l’évidence heureuse, dans cette formulation sans entraves, où s’exprime pleinement son talent : peignant en demi-teintes, elle obtient des approches de couleurs de la plus douce harmonie ; des jeux de lumières aux subtiles compositions. Lesquels rejoignent et conditionnent la structure du tableau. Car désormais, le "sujet" est installé, occupant la quasi-totalité de l’espace. Les éléments sont composés sans que jamais un angle ne vienne suggérer la moindre géométrie ; des passages ont l’air de se catapulter, se chevaucher, s’enjamber, s’appuyer les uns aux autres… Avec, parfois des espaces "vides", comme pour créer, tout de même, une respiration. De sorte qu'au final, l’ensemble est statique, immobile et solide, structuré, équilibré, immuable dans sa certitude.
Le paradoxe de cette démarche si particulière tient à ce que, face au melting-pot dépourvu de perspective et totalement déraisonnable qu’elle a longuement élaboré, vient un moment où l’artiste estime la scène "équilibrée" et, satisfaite, arrête enfin son pinceau ! L’équilibre né du déséquilibre, en somme ! La composition semble, en effet, la préoccupation principale de Catherine Dufrene : Peut-être, par goût viscéral pour les "lieux" parfaitement ordonnancés ? Peut-être à cause de réminiscences inconscientes d’exigences inculquées à l’école ? Peut-être par besoin d'exprimer le monde intime qui bouillonne en elle ?...
Une fois résolu ce problème formel, la riche matière et les couleurs harmonieuses qui donnent consistance et vie à ses scènes, suggèrent la paix, voire la joie de vivre. Ainsi, de son sens de l’harmonie trouvé dans les tumultes de la toile ; de sa folie du chaos à l’éclat des couleurs et l’abondance de la matière au primitivisme des graphismes ; Catherine Dufrene est-elle la créatrice d’une œuvre généreuse, singulière, éminemment personnelle.
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU XXXe FESTIVAL "BANN'ART, ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI" DE BANNE 2017.