BANNE, 17 ANS D'HISTOIRE MARGINALE ET 30 FESTIVALS HORS-LES-NORMES
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NAISSANCE DE FESTIVALS MARGINAUX :
Fin du XXe siècle, de nouvelles tendances artistiques qui comprennent peintures, sculptures, écritures, collages, etc. naissent, sans être jamais incluses dans l’Art dit contemporain. Pourquoi cet ostracisme ? C’est tout simplement que, produites par des créateurs dont la plus grande partie étaient des autodidactes, elles n’ont jamais bénéficié d’aucune officialité. La réputation grandissante de ces œuvres a été le fait de personnes curieuses agissant individuellement ; plus récemment de musées créés par quelques-unes d’entre elle, exclusivement consacrés à ces créations marginales ; et de revues artisanales appelées "fanzines" qui en sont devenues la mémoire.
L'Art brut et l'Art singulier, désormais muséifiés commencent leur montée vers des publics proches de l'"Homme du commun". Leur reconnaissance va grandissant. Désormais, de nombreux artistes qui ne sont pas des malades mentaux, s'en revendiquent.
Et voilà qu'en 1990, l'une d'entre eux, Danielle Jacqui "Celle qui peint", soucieuse d'aider des artistes en mal de lieux d'exposition, décide de créer un "Festival d'Art singulier" biennal, qui se déroulera en divers lieux de Roquevaire. L'aventure est en marche. Qui va faire des émules !
En 1994, Louis Chabaud, décide de créer un second festival à Praz-sur-Arly, et obtient de Caroline Bourbonnais -laquelle anime la Fabuloserie créée avec son mari, Alain Bourbonnais- l'autorisation d'intituler son festival "Festival Hors-les-normes". Fort de l'implication de bénévoles et de la participation de nombreux Pralins, le festival durera jusqu'en 2013. Date à laquelle les bénévoles ayant déménagé, le couple Chabaud décide d'arrêter le festival devenu biennal et de continuer annuellement une exposition qui ne serait plus forcément hors-les-normes.
Ensuite, en 2000, Marthe Pellegrino, habitante de Banne, un petit village de caractère d'Ardèche du Sud et dont le mari, Jean-Claude Crégut est le maire, décide à son tour de se lancer dans l'aventure. Dénommée au départ, "Festival d'Art singulier", la manifestation deviendra 'Bann'Art, festival d'Art singulier, Art d'aujourd'hui", cette double dénomination impliquant que le festival se veut éclectique et accepte tant des marginaux que des artistes se revendiquant de l'Art contemporain.
La démarche ne sera pas facile, la majorité des autochtones ne se souciant pas du tout de ce festival qui va pourtant (ou à cause de cela) chaque année ramener dans leurs murs une cinquantaine, puis une centaine d'artistes.
Par contre, les postulants étant chaque année plus nombreux, Marthe Pellegrino décide que son festival deviendra bisannuel, voire trisannuel ! Un essai de l'élargir à deux villages voisins échouera d'une part, sera un succès de l'autre, mais le public habitué au seul village de Banne se fera rare et en 2016, le festival réintégrera les Ecuries, la Grotte du Roure, la Maison de la Cheminée et la Salle d'Art actuel. Banne aura repris les anciennes habitudes !
Juillet 2017 : Bann'Art fêtera son trentième festival. Des centaines d'artistes nationaux et internationaux auront jalonné son parcours. De magnifiques catalogues auront servi de relais et d'archives à cette aventure.
Ces trois démarches auront causé à leurs géniteurs, bien des soucis, mais aussi bien des bonheurs, et pour ceux qui ont dû arrêter, chacun sait quel crève-cœur aura été cette obligation. Ceci pour Danielle Jacqui, après les glorieuses années du festival transplanté à Aubagne (Ah ! la politique, que de déboires elle peut causer ! Et quand la censure s'en mêle pour ne rien dire des gens désireux de prendre du galon !...) et pour Les Chabaud (pour qui le combat a cessé faute de combattants).
Une chose est sûre, c'est que ces trois festivals, Banne surtout en raison de sa périodicité et de son endurance, ont servi de moteur à de nombreux autres. Moins grands, souvent. Moins conviviaux parfois. Suiveurs, évidemment.
Alors, qu’est-ce qui, en ce XXIe siècle, où la mouvance hors-les-normes avance désormais en rangs de plus en plus dispersés, où les subventions sont devenues pratiquement nulles mais la récupération galopante, génère encore une motivation suffisante pour animer un festival d’Art singulier ? Sans doute un intérêt depuis longtemps vivace, un brin de nostalgie, beaucoup de passion, et l’amour des artistes ? D'autres motivations, peut-être, mais il semble, en tout cas, que telles soient les raisons qui ont poussé Marthe Pellegrino, à s’investir de façon bénévole et, contre vents et marées investir son joli village perché à flanc de montagne ?
ET MOI, DANS CETTE AVENTURE, COMMENT EN SUIS-JE VENUE A FREQUENTER LE FESTIVAL DE BANNE ?
En 1988, lassée et insatisfaite de fréquenter des galeries d'Art contemporain qui, la plupart du temps, me laissaient sur ma faim ; ayant "changé de vie", je m'étais mise à fréquenter assidûment et à titre personnel, les réunions hebdomadaires organisées par Mirabelle Dors, sous le label de "Figuration Critique". Les artistes qui venaient à ces réunions pouvaient apporter des œuvres, des documents, et les présenter. Un jour, l'une d'entre eux avait apporté des photos de ses sculptures, tellement surprenantes, tellement chargées de psychologie que je lui avais demandé si je pouvais la rencontrer pour réaliser un entretien ? Et voilà que, sur sa table, je découvris une étrange revue, un fanzine en fait, qui ne parlait que d'artistes lourdement impliqués dans leurs créations, toutes plus psychologiques, voire psychanalytiques les unes que les autres. Enfin, après toutes ces années de manque, j'avais l'impression d'être "arrivée chez moi" !
Ce fanzine, c'était le "Bulletin de l'Association les amis de François Ozenda", créé et animé par les Caire, Jean-Claude et Simone. Je venais de faire un long entretien avec Philippe Aïni qui, à ce moment-là était dans les plus noirs ennuis à cause de sa fresque réalisée dans l'église de Flines-les-Raches. Je le proposai aux Caire qui l'acceptèrent sans restriction. Ce fut le début de dix ans de coopération, et d'une amitié sans faille. Et quel ne fut pas mon chagrin, lorsqu'en 2004, ils décidèrent d'arrêter, après vingt-huit ans, la publication qui leur coûtait vraiment trop cher sur leur argent personnel.
Ainsi, de juin 1994 à septembre 2004 mois fatidique de sa disparition, presque tous mes textes et entretiens parurent-ils dans cette revue. Rétrospectivement, j'apprécie d'autant plus ma chance de pouvoir y retrouver ces textes que ceux que j'avais publiés sur mes divers sites sont tous tombés aux oubliettes ! (Il faut dire que l'Internet n'était pas alors ce qu'il est devenu où il semble qu'un texte paru le soit pour toujours) !
Il faut dire qu'ayant commencé à fréquenter les festivals marginaux, j'avais pris la décision soit d'écrire des textes sur les artistes que j'y rencontrais, soit de réaliser des entretiens avec eux. Ainsi, lors du festival de Praz 1995, le "Bulletin…" me publia-t-il quinze textes. Au fil des années, parurent ceux concernant les Jardiniers de la Mémoire de Bègles, les expositions temporaires du Musée de Zwolle (Hollande), du Créahm de Liège, tous les comptes-rendus de mes diverses rencontres, et à partir de février 2003 trente-huit textes sur les exposants de Banne, 2004 trente-six entretiens, etc.
Car le Bulletin…, c'étaient des parutions trimestrielles puis semestrielles relatant la vie des artistes, les expositions marginales, analysant certaines œuvres, commentant certains festivals… La mémoire en somme de plus d'un quart de siècle d'Art brut, hors-les-normes, singulier !
Mais les Caire, c'étaient aussi des réunions annuelles des adhérents lors de l'Assemblée générale. Qui se déroulaient sous le magnifique sorbier de leur cour les années où le soleil était de la partie ; sinon dans la salle à manger. Après un bon repas, chacun pouvait présenter son travail de l'année, proposer des artistes jusque-là inconnus, discuter de tout ce qui constituait la vie marginale.
C'est là qu'en 2001, j'ai rencontré Marthe Pellegrino et Jean-Claude Crégut, fidèles eux aussi à ce "Bulletin… Ozenda". La discussion a porté naturellement sur le travail que j'avais ébauché concernant les artistes, et sur ce "festival de Banne" encore à ses balbutiements. L'idée et le côté aventure de cette entreprise m'ont plu, d'autant que je les avais côtoyés dans le même esprit à Praz. Et depuis lors, presque chaque année je me suis rendue à Banne, je m'y rends encore, d'abord en juillet lors d'un unique festival annuel, puis en mai en croisant chaque fois les doigts pour qu'il y fasse moins chaud ! Et s'il arrive qu'une année, il me soit impossible d'y aller, je ressens comme un sentiment de désertion, un manque du fait de n'être pas du tout là !
Par ailleurs, le "Bulletin de l'Association Les amis de François Ozenda" disparu, il me fallait désespérément trouver un moyen de publier tous ces écrits. Après la liberté totale dont j'avais bénéficié de la part des Caire, je ne voulais à aucun prix dépendre d'un quelconque "rédacteur en chef", ni d'une revue qui me censurerait, tronquerait mes textes, et autres désagréments… Je créai donc un site entièrement consacré aux artistes. Et depuis lors, bien souvent, lorsque je me présente à l'un d'eux, je m'entends dire : "Ah mais je connais votre site ! Je le consulte souvent !". Ce qui est une belle récompense pour tout le temps que je lui consacre !
Les années passant, nombre d'artistes revenaient à Banne la ou les années suivantes. Sauf dans le cas où leur œuvre aurait subi un total changement, il devenait impensable de publier chaque année un texte ou un entretien original. D'autant que le nombre de participants allait croissant, jusqu'à devenir exponentiel certaines années ! Je pris donc la décision de faire deux pages, l'une intitulée "La Page des anciens" dans laquelle je mettrais à côté d'une image nouvelle la référence permettant de retrouver le document originel. Et des "Pages des nouveaux", dans lesquelles apparaîtraient in extenso le texte ou l'entretien de l'année. Ainsi, des centaines de textes ou d'entretiens sont-ils venus se greffer sur mon premier site (http://jeaninerivais.fr), puis sur le second (http://jeaninerivais.jimdo.com/).
Pourquoi deux sites ? Parce que le premier avait été créé avec un logiciel qui, un beau jour ne fut plus commercialisé. Depuis lors, il reste accessible, mais je ne peux plus intervenir dessus. (Détail amusant, à trois reprises, des artistes m'ont contactée pour que je retire leur photo chapeautée. Ce qui m'a été impossible, et les voilà donc condamnés à figurer pour l'éternité avec le chapeau qu'ils avaient créé pour le vernissage !)
Pourquoi des entretiens plutôt que des textes ? Un texte engage son seul auteur. Et s'il est passé complètement "à côté de la plaque", (ce qui, heureusement, ne m'est pratiquement jamais arrivé), l'artiste peut être consterné ! Par contre, un entretien est un échange entre l'interrogateur et l'interrogé. Et, si leurs points de vue divergent, il y a matière à discussion. Et puis, sur un plan pratique, un texte exige au moins une trentaine d'heures pour être mis en forme à mon goût ! Tandis que repiquer un entretien demande environ quatre heures, non compris le temps de mettre en forme les images et de placer le tout en ligne ! Et puis l'entretien est l'occasion d'un échange, tandis qu'un texte est un travail solitaire.
LES DESTINEES DU FESTIVAL :
Il va de soi que les initiateurs du festival, Marthe et Jean-Claude Crégut ont porté au cours de ces dix-sept années, les destinées du festival de Banne. Les premières années, Jean-Claude Crégut étant maire du village, et farouchement "pour" le festival, les difficultés matérielles de l'organisation en trois lieux puis quatre étaient simplifiées. Et dans la mesure des moyens du budget municipal, une subvention annuelle permettait une certaine aisance dans la réalisation du catalogue.
Mais lorsqu'en 2008, il décida de ne plus postuler au titre de maire, il devait se douter qu'il n'allait pas simplifier les choses. C'est qu'en effet, la nouvelle municipalité ne manifesta aucun empressement à continuer l'aide apportée au festival. Désormais, il fallut faire "sans" !
Dans un beau texte publié dans le catalogue 2008, Jean-Claude Crégut raconte les prémices du festival, la création, puis l'évolution de cette manifestation : "Le catalogue 2008 sortira après les élections c’est donc mon dernier "mot du maire" que j’écris avec une certaine émotion, car à travers ce catalogue, reflet des XIe et XIIe festivals, c’est tout un cheminement et développement culturel que j’ai accompagné depuis les premières expositions, dans la salle du Roure, en 1990.
A l’époque je découvrais le potentiel du site et il était évident qu’il se prêtait parfaitement à des expositions d’arts plastiques. J’en parlai à Marthe et lui proposai d’occuper les lieux endormis. Son action dépassa mes espérances. Grâce à son énergie, son dynamisme et sa volonté, un grand nombre d’expositions se sont inscrites d’abord dans la salle du Roure puis aux écuries et dans la maison de la cheminée, voire la salle des fêtes et même l’église, occupant tout l’espace couvert disponible.
Un peu mégalomane elle a même réalisé un festival d’artisanat d’art qui connut plusieurs années durant une belle renommée, des concerts en tout genre, des représentations théâtrales, conférences, diaporamas…. Difficile d’être sur tous les fronts. Aussi maintenant, ne s’occupe-t-elle plus que de la réalisation du "Festival d’Art Singulier, Art d’aujourd’hui" qui est vite devenu bisannuel et la maison un véritable capharnaüm. Ce festival est devenu un évènement reconnu d’importance nationale dans le monde des arts plastiques, le premier par la renommée.
Cette année le centre d’art actuel ouvre ses portes, offrant un espace accueillant et bien équipé, permettant des expositions à thème sur une plus longue période avec une orientation pédagogique pour les élèves de l’école primaire et du collège.
Fondamentalement, ce festival nous renvoie à ce besoin immense d’ouverture, d’échange et de partage qui est une des fonctions essentielles du label "village de caractère" ainsi que la fonction de l’artiste comme créateur de signes, d’idées, d’utopie, d’imaginaire.
Dans la société du clinquant, de l’apparence, de la déshumanisation accélérée, le catalogue nous montre qu’il nous reste l’imaginaire pour résister et que le Festival d’Art Singulier est un refuge pour organiser cette résistance en nous recentrant sur l’humain : émotion, sentiment, intuition, imagination, intelligence, liberté.
Pour Banne c’est une chance et un formidable levier de développement, qui mérite l’attention et le soutien de tous". Jean-Claude CREGUT
Il faut également parler de l'importance de ces "hordes" d'artistes déferlant deux fois par an dans les ruelles de Banne ! S'attarder sur la façon dont leurs œuvres achevées, ils manifestent leur désir de prendre à témoin le visiteur de la richesse de leur imaginaire ? Du grand don de soi que représentent leurs créations ?
Et puis, se retrouvant côte à côte en un même lieu, leur rencontre ne s’articule-t-elle pas autour d’un désir commun de parler de leur sentiment d’évasion dans la création ; de la perte de soi et du témoignage de cette perte ; de la façon de se retrouver au bout du rêve éveillé, concrétisé et confié au regard des autres créateurs ?
Et n’est-ce pas, pour eux, chaque fois, une obligation de se remettre en cause, que ces "regards" croisés tellement différents ; ces patchworks d'expressions constructives, proposés au gré de ces rencontres si particulières ; ces talents qui s’illustrent à travers les questionnements profonds de leurs vies fantasmées ; ces interrogations sur la sincérité, l’authenticité de leur œuvre, à partir de leur moi profond étalé aux yeux de tous ; ces face-à-face fantasmagoriques, comme autant de façons de lutter contre la peur et la mort ?
Depuis bientôt deux décennies, les artistes qui se succèdent au Festival de Banne, à l’invitation de Marthe Pellegrino, ne sont-ils pas, pour la plupart, les illustrations complexes et vivantes de tous ces questionnements ? Et leur grand nombre n'est-il pas le moyen de déverser chaque année leur trop-plein de bouffées délirantes, de plénitudes apaisantes, de cassures tourmentées, de voyages intérieurs protéiformes ! Leur joyeux méli-mélo de représentations de mondes intérieurs, psychiques ou quotidiens ; d’univers traversés de couleurs chatoyantes et chaudes, ponctués d'humour ou de mal-être. Jouant parfois avec les mots comme pour illustrer la peinture tout en la prolongeant…
Au fil des années, d'ailleurs, certains artistes sont devenus de véritables "habitués", reprenant chaque printemps, chaque été, voire deux fois par an, le chemin de Banne ! Leur assiduité ne peut tout de même pas s'expliquer par le seul désir à tout prix de vendre leurs œuvres ! Il vaut mieux penser que le plaisir de retrouver d'autres créateurs devenus des amis, des visiteurs qui, comme eux, viennent et reviennent, explique leur omniprésence !
LE CATALOGUE :
Jean-Claude Crégut a raconté dans son texte de 2008, combien le catalogue était symboliquement important pour le festival.
Bien que certains artistes récriminent à l'acheter, malgré le prix modeste, sous prétexte que les exemplaires vont s'entasser dans un placard, nombreux sont ceux qui en ont compris l'importance. J'ajouterai qu'il est bien dommage que les réticents n'aient pas le sentiment de la beauté de cet objet. En plus de sa valeur d'archive, de mémoire. Mais tous expriment à peu près la même réserve : le regret que certaines années, trop de place soit réservée à certains artistes ; d'autres fois que les thèmes développés ne les intéressent pas (Ethiopie, Cuisine, etc.). Tous préféraient le temps où, après les préfaces évoquées ci-dessous, chaque artiste avait sa page. Point final.
Dès la première année, en effet, Marthe Pellegrino a publié un beau catalogue glacé, portant des textes de gens qui se préoccupaient de l'Art singulier (ses préfaces, celles de Jean-Claude Crégut, de Jean-Claude Caire, Pierre Souchaud, et moi aussi presque régulièrement, etc.). Consacrant à chaque artiste –sauf les années de restrictions budgétaires- une page entière avec une ou plusieurs images d'œuvres, accompagnées d'un texte.
Et puis, le parcours n'ayant pas été uniquement jalonné de belles histoires, le catalogue témoigne aussi de l'hommage rendu à ceux qui nous ont quittés. A chacun d'eux, un dossier a été consacré, rappelant la place qu'il avait tenue dans le parcours de Bann'Art. Et le regret qu'il n'en soit plus.
LE VILLAGE ET LES LIEUX :
Comme je l'ai dit plus haut, le fait que Jean-Claude Crégut ait, en 2008 renoncé à sa fonction de Maire, n'a pas simplifié la vie du festival.
La nouvelle municipalité n'a fait aucun effort pour témoigner d'un quelconque intérêt. Il a fallu en fait toute l'énergie indéfectible de Marthe Pellegrino pour conserver les lieux d'exposition ; gérer les documents écrits et les problèmes matériels notamment permettre aux artistes de se garer le plus confortablement possible, etc. etc. La salle de réunions de la mairie qui, certaines années, avait servi de lieu d'exposition, devenait dès lors lieu interdit ! Pour ne rien dire de l'église : utilisée une fois, les conséquences en ont été une vraie levée de crucifix !
Et les autochtones ? On en voit bien peu visiter le festival. Leur présence se manifeste surtout sous forme de déplaisir : Que les artistes n'envahissent surtout pas la Place de la Fontaine, parce qu'on ne peut plus jouer aux boules. Mais qu'ils ne stationnent pas non plus sur le parvis des Ecuries parce qu'ils gênent ! Impossible de lancer les gros travaux sur la voierie à un autre moment que celui du festival !…
Combien de fois le nouvel édile et ses conseillers sont-ils venus au vernissage ? Ou même simplement rendre visite aux artistes ? Il y a trop de doigts à une main pour les compter !
Quant aux quatre lieux, mise à part la Salle d'Art actuel qui date de la municipalité Crégut, et qui est prévue pour des expositions, les autres lieux n'ont jamais été moindrement modernisés ! Pas ou peu d'électricité ; et le toit des Ecuries fuit comme une fontaine au moindre orage ! Et pourtant, ces lieux chargés d'histoire -l'histoire de ce village de caractère- pourraient être idylliques pour des artistes !
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ceux-ci savent qu'il leur faut prévoir jusqu'au plus petit clou pour présenter leurs œuvres. Et il est devenu de tradition de porter une doudoune dans les écuries et la Grotte, de grosses chaussures dans la Salle humide du Roure… Et Marthe Pellegrino sait que les dessinateurs n'exposeront jamais là-bas !
Malgré tous ces inconvénients, le spectacle de ces multiples stands colorés, tous différents sans hiatus, est à chaque manifestation une véritable fête.
LE FESTIVAL. LE VERNISSAGE :
Les postulants étant chaque année très nombreux, les consignes de la Présidente figurent en fait sur le Net d'un festival à celui de l'année suivante.
Comment expliquer une telle surabondance de candidats, alors que le bouche-à-oreille fait que chacun est averti des conditions précaires des installations ?
Le fait peut-être, qu'ayant tenu contre vents et marées pendant dix-sept années, le festival ait acquis une solide réputation ?
Le caractère protéiforme des œuvres exposées ?
Le fait que, par sa double dénomination, il ne soit pas capital de se revendiquer de la mouvance marginale ?
Le fait que le prix de l'inscription ne soit pas prohibitif ?
D'autres raisons, peut-être, parlant d'amitiés et de rencontres ?
Une année, Marthe Pellegrino conçut l'idée que, pour rendre le vernissage moins traditionnel, plus pittoresque, il serait approprié de présenter chaque exposant chapeauté sur l'estrade des Ecuries. Et, depuis lors, elle-même montrant l'exemple avec beaucoup de décorum et de diversité, la plupart des artistes jouent le jeu et font preuve d'imagination débordante ! Le plus drôle est que certains ne réalisent pas que d'une œuvre faire un chapeau n'est pas une garantie d'équilibre sur la tête ! Ce qui donne parfois lieu à des contorsions inattendues et des rééquilibrages de dernière seconde ! Et il faut rendre un hommage particulier à Joël Bast qui, en 2016, s'est présenté avec une "Présence" qui était si bien devenue son alter ego qu'il était difficile de discerner le vivant de la figure !
L'AMBIANCE. LES REPAS :
Il y eut bien, parfois, des moments difficiles entre la Présidente et certains artistes ! Mais il faut croire que ni l'une ni les autres ne sont rancuniers, vu le grand pourcentage de retours et re-retours… Mais bon an mal an, l'ambiance reste au beau fixe, et la convivialité entre les artistes ne se dément pas !
Pendant plusieurs années, Marthe Pellegrino prenait préalablement au festival, le temps de préparer des repas pour les artistes. Menus variés et copieux. A des prix modiques. Mais peu à peu, les finances manquant, et la fatigue croissant, ces repas connurent des portions congrues, et un jour, le combat cessa, faute de combattants.
Et c'est bien dommage, car ces quelques heures de retrouvailles de tous les artistes étaient de grands moments de rencontre, d'abord, permettant à chacun de connaître tout le monde, quel que soit le lieu où l'on exposait. Et puis, c'étaient généralement des temps de franche rigolade !
MON ROLE ET MON SENTIMENT :
Je ne peux qu'admirer la constance du couple Crégut-Pellegrino, face aux difficultés que peuvent impliquer l'organisation et la répétition annuelle, bis-tris-annuelle d'une manifestation aussi importante dans des conditions souvent précaires. Car, là où leurs amis ont dû s'incliner face aux pressions négatives, ils se sont obstinés, ont tenu bon ; tiennent encore et toujours bon ! Partageant chaque fois à l’infini les regrets, les joies, les intimités de personnes venues de tous les coins de France ; choisissant chaque année de nouveaux thèmes qui relient leurs manifestations à des problèmes du monde ; tissant un lien entre les petites et la grande histoire.
Quant à moi, sans avoir la grosse tête, je crois pouvoir affirmer que, année après année, j'ai joué un rôle important dans la reconnaissance de Bann'Art ? Ces centaines de textes et d'entretiens voyagent à travers l'Hexagone, voire plus loin ; sont souvent une sorte de carte de visite pour les artistes, et d'affirmation que le festival a toujours bon pied bon œil. Et si l'intendance incontournable pour deux personnes (car Michel Smolec est bien sûr de toutes les aventures) est parfois lourde à porter… qu'importe, je répète à l'envi, "L'Art singulier, c'est ma danseuse" !
Car, inversement, mes rencontres avec ces multitudes de créateurs ont été pour moi depuis le début, génératrices de plaisirs, de richesse intellectuelle, d'amitiés souvent, de chagrins aussi, pour ceux que je ne reverrai plus ; et il faut le dire, de notoriété. Et puis, certaines créations me touchent si profondément que, chaque fois, j'ai le sentiment de repartir émue et ravie à la fois !
C'est pourquoi j'aurais vraiment beaucoup de peine si un jour Marthe et Jean-Claude, parvenus au bout du rouleau, décidaient d'arrêter le festival ! C'est pourquoi aussi, je tanne Marthe depuis deux ans (comme je l'avais fait pour les Caire et leur Bulletin…) pour qu'elle continue le catalogue. Malheureusement, si le festival semble avoir encore de belles années devant lui, il se pourrait bien que le catalogue de 2017 soit le dernier de cette belle aventure ! In memoriam !
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT EN AOUT 2016.