Pendant très longtemps j'ai réalisé des entretiens avec les artistes que je rencontrais pour la première fois et que j'appelais "Les Nouveaux".
Depuis trois ans, j'ai décidé d'écrire des textes sur les œuvres des nouveaux "Nouveaux" !
Mais certains entretiens remontant à dix ou quinze ans, certaines déclarations d'alors ne sont plus valables, l'œuvre des artistes variant parfois du tout au tout ! J'ai donc décidé, même si cela implique des mois de travail supplémentaire, d'écrire également un texte sur les œuvres de ceux qui avaient jusque-là un entretien.
Certes, ces textes pourront se périmer à l'égal des entretiens. Mais qui vivra verra !
En attendant, courage !!
Jeanine RIVAIS
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LES SAYNETES DE CHRISTELLE BEGUIN
Artiste d'Art-Récup', Christelle Béguin crée des saynètes où n'entrent pas en ligne de compte, comme chez tant de récupérateurs, la notion d'usure du temps. Simplement, elle récupère tout ce qui lui parle : boîtes à sardines ou à conserves, petits animaux, réveils, baigneurs, fleurs, moules à gâteaux, etc., quels que soient les matériaux dont ils sont composés. Tout cela petit.
Et voilà qu'avec un goût exquis, ce paraphernalia se combine, devient scènes de vie : Sur un socle métallique "en or", où s'étale une corbeille de fleurs les unes de couleurs vives, les autres pâles, de façon à créer des contrastes raffinés, "danse" "La Reine des poulettes", en juste-au-corps emperlé, cheveux entrelacés de rubans et tête coiffée d'une tiare. Ailleurs, jupe-moule inversé, torse-corbeille tressée teinte en bleu sur fond doré, nanti d'ailes blanches vaporeuses, fraise crénelée, tête de baigneur aux cheveux bleus frisés coiffés d'une chapka-marmite, bouche bée, se dresse un délicat éphèbe entonnant "Le cri de l'ange" ! Ailleurs encore, sur ses quatre pattes solides, posées sur un plat rond orné d'un collier de médailles, son nom suggérant qu'elle peut tourner, "La Girelle", girafe couverte d'un tapis coloré, tachetée de noir et blanc, tend vers l'horizon son cou interminable surmonté d'un visage-conque aux cheveux hirsutes. Enfin, sur des tablettes, se présentent côte-à-côte des boîtes dentelées renfermant des petits morceaux de vie, des animaux imaginaires, une grenouille coassante, des réveils habités…
Une œuvre pleine de rêve, agréable à regarder par la façon dont l'artiste a su, à partir d'objets banals, voire rustiques, créer des petites tranches de vie riches de fantasmagorie.
Jeanine RIVAIS
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LES PETITS THEATRES PEINTS DE ROLAND BIDEAU
Comédien, Roland Bideau raconte à son public des histoires qui donnent l'impression que tout peut arriver. Peintre, de même qu’au théâtre, il oublie le quotidien pour créer des personnages capables de le faire rêver, s'évader, s'inventer un univers, se créer une mythologie picturale : mettre en somme en relief cette théâtralité dans ses peintures. Tout cela de façon tout à fait spontanée. Sans aucun intellectualisme. En somme, peinture et théâtre lui sont aussi nécessaires l'un que l'autre et sont pour lui indissociables.
Longtemps, il a peint avec deux couleurs dominantes : le rouge et le bleu. Le rouge qui, vu de loin, créait la sensation d’une scène d’enfer ; mais qui, paradoxalement, vu de près, donnait l’impression de valeurs totalement inversées : que c'étaient les personnages qui étaient rouges, et que ce que l’on avait pris pour des flammes au départ, était dans des couleurs neutres. Paradoxe tenant au fait qu'il aimait travailler sur certains contrastes, sur certaines contradictions d’états, de ruptures, d’émotions justement.
Longtemps aussi, il a peint des dieux et des déesses, avec leurs drames personnels, leurs qualités et leurs défauts. Mais il en est venu aux humains dans leur humanité en général, dans ce qu’ils ressentent. Ses œuvres pour la plupart très grandes, donnaient alors souvent au visiteur le sentiment qu'il regardait un individu dans un milieu aquatique, au milieu de mollusques, gastéropodes, voire de monstres marins, en tout cas parmi des algues tellement réalistes qu'elles semblaient réellement bouger !
Les années ont passé. L'humain est toujours là, omniprésent. Mais le rapport a changé ! L'eau est là, également, mais paradoxalement, les gouttes qui recouvrent l'homme ressemblent plus à des fleurs qu'à de la pluie ! D'ailleurs, l'homme n'y est plus jamais seul : Il y est en couple, tendrement enlacés, se bécotant à qui mieux mieux ! même à plusieurs couples, parfois tellement imbriqués les uns dans les autres qu'il est impossible de préciser s'il s'agit d'une ruée "vers…", d'une scène de ménage où un personnage féminin semble hurler, ou de toute autre aventure ? Pourtant, d'autres fois, le drame éclate : l'eau devient mer, mer devient tempête, tempête signifie grosses vagues sur lesquelles tangue une famille en grand danger de perdition ! (Preuve que les scènes de théâtre ne sont toujours pas loin !)
Et puis, récemment, Roland Bideau s'est lancé dans les découpages. Mais que découpe-t-il donc ? Et c'est là qu'il trompe son monde, parce que de loin, chacun jurerait qu'il s'agit d'œuvres abstraites ! Mais de près, ce sont bel et bien des… humains bien sûr ! Mais ayant perdu tout réalisme ! Plus allusifs que vraisemblables, avec des têtes d'oiseaux, des corps vermiculaires parfois, et si fort tassés, serrés aux milieu de fleurs, d'yeux, d'oisillons à peine ailés, etc. que s'impose sur le tissu un véritable imbroglio difficile à démêler !
Il mène donc parallèlement les deux faces de son œuvre. Mais qu'il développe sa peinture sur toile ou ses peintures découpées, les saynètes de l'artiste se déroulent toujours dans de belles couleurs. Car Roland Bideau est un coloriste talentueux, sachant avec très peu de couleurs donner l'impressions d'une gamme à l'infini ! Les rouges carminés et les bleus sont toujours présents, mais ils côtoient désormais quelques jaunes, des verts et des bruns !
Et finalement, de ses toiles quasi-réalistes à ses découpages, ainsi le peintre a-t-il glissé vers une fantasmagorie doucement onirique, qui se rapproche plus du conte que du théâtre, et qui, toujours, fait foin des styles, des modes, des géographies et des temps. Un monde, SON monde, où il fait bon entrer, et rêver !
Jeanine RIVAIS
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LES SCULPTURES A LA SERPE DE DANIEL BONHOMME
A la serpe, carrément ! Quand ce n'est pas à la hache lorsqu'il est tellement en colère qu'il risque de tuer son meilleur ami ! Ainsi, Daniel Bonhomme réalise-t-il en bois ses sculptures ! Et c'est alors que le visiteur réfléchit à ce qu'il ressent lorsque les films d'horreur présentent à grands jets d'hémoglobine, les blessures dont sont capables une hache ou une serpe, et que, terrifié, il n'imagine pas que ces mêmes outils peuvent, dans des mains expertes, se faire caresse pour lisser le bois, fouir curieusement ses entrailles afin d'y trouver la forme évocatrice d'une bouche, une tête de mort… ; intailler ses nœuds et ses courbes pour former de nouveaux rythmes au gré de l'artiste.
La plupart du temps homomorphes, parfois animalières, l’artiste ne fait que suggérer la silhouette qu'il travaille, la laisse à l'état d'ébauche se contentant d'enlever à la gouge de minuscules copeaux qui suggèrent ici des plumes, là des plis… Suivant la courbe de la branche lorsqu'il crée une sorte de corne interminable ; générant une antithèse lorsque, ayant laissé à l'état brut évoqué plus haut, un socle/jupe, il peaufine, lisse à infini une jeune fille qui en émerge …; burinant à longs sillons une sorte de zancle aux yeux minuscules, etc.
Ce petit monde stylisé, d’apparence lourde et solide, aux membres raides mais aux allures paradoxalement mobiles, génère une création bon enfant. Un travail où l'artiste donne le meilleur de lui-même, à l'écart de toutes les modes, intemporel malgré sa connotation légèrement archaïque.
Jeanine RIVAIS
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CALMELS VALERIE
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS
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LES ARCHITECTURES FANTASMATIQUES D'ISABELLE DELIN
Il semble bien qu'Isabelle Delin soit artiste du monde entier, voire du lointain cosmos, elle qui crée des personnages animaliers, des animaux humanoïdes, des villes fantasmatiques toujours vides d'habitants, et dans des terres monochromes, penchées ou têtes tournées vers quelque "paysage" intérieur, des femmes demi-nues, aux courbes idéalement galbées, gentiment érotiques ; ou droites, supportant "leur" ville sur la tête, comme naguère les paysannes la cruche d'eau !
Il semble bien aussi, qu'elle poursuive deux démarches : celle du rêve, d'emblée évoquée ci-dessus, où ses villes imaginaires, toujours perchées tout en haut de "collines", sont construites sur le vide, donc. Et, qu’il s’agisse de personnages portant ces villes ou des collines nues, les plus grandes fantaisies ont pris corps, variant les formes, modifiant les textures, adjoignant peut-être des oxydants, émaux, glacis ou autres… pour en multiplier les couleurs, générer des nuances et des accidents ; le tout confié aux feux qui y ajouteront leurs irisations…
Par cette création, Isabelle Delin appartient à ces créateurs férus de méthodes ancestrales et d’archéologie, qui essaient de générer une "civilisation" personnelle, tout en gardant à leurs œuvres une connotation ancienne ! De sorte que la subjectivité et les cultures ataviques du visiteur font naître spontanément des images suggérant que ces villes sont issues de mondes fantasmagoriques où seules leurs rêveries pourraient les emmener !
D'autant qu'à ces créations, elle en ajoute d'autres, en grès blanc qui, de prime abord, semblent informes ! Mais l'œil du visiteur discerne bientôt une sorte de grotte à l'ouverture fantaisiste, et tout autour, parmi les mille minuscules alvéoles creusées dans le matériau, ou les petits débords striés, de fins visages en relief, situés de façon apparemment aléatoire sur les parois extérieures. Travail tellement fin, ouvragé, que le spectateur en reste bouche bée !
Quant à ses statuettes anthropomorphes miniaturisées, aux corps longilignes, personnages filiformes aux postures très expressives, ou ses animaux humanoïdes placés en léger déséquilibre sur leurs pieds soudés, leurs bras collés aux corps, celles-là sont beaucoup plus brutes que les précédentes, parce que livrées au raku dont elle accepte les brûlures aléatoires. Des œuvres non pas réalistes, mais aux têtes proches de la réalité, qui laissent apparaître sa passion et ses sentiments mélangés de gravité, d'érotisme peut-être, d'une pointe d'humour parfois. Chaque fois, elle sait rendre l’aspect métallique, noirci des minéraux ; jouer des contrastes entre la dureté, la raideur des uns, la rêverie inhérente à la solitude chez les autres.
Finalement, quelle que soit leur formulation, sculptures de terre rouge, de grès blanc ou de raku noir, simples ou sophistiquées, les œuvres d'Isabelle Delin sont, par leur totale adéquation entre réalité et fantasmagorie, porteuses d’un message intemporel d’une puissante poésie.
Jeanine RIVAIS
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BILLES DE CLOWNS ET AUTRES TETES, CHEZ NATHALIE DION
Nathalie Dion a-t-elle vécu avec des gens du cirque ? A-t-elle connu des artistes du cirque qui l'auraient impressionnée au point que peindre des têtes de clowns soit devenu présentement, le thème qu'elle aborde, en peinture, acrylique ou aquarelle ?
Têtes de clowns, donc, masculines ou féminines, parfois difficiles à sexer ! Car elle n'essaie pas d'être réaliste ; au contraire même, ses créations sont toujours stylisées ! Quelques traces lâches, faites au doigt, avec une raie au milieu et un épi bien droit au-dessus de cette chevelure ; un nez de travers ; deux grands yeux obliques ; une bouche petite, outrancièrement maquillée : voilà un clown pas rigolo, à coup sûr ; un peu triste, peut-être.
Mais tous n'ont pas cette abondante toison ! La plupart, même, sont carrément chauves ! Les uns ont des yeux ronds exorbités, d'autres les ont horizontaux, carrément verticaux… ; les uns ont une tignasse rouge, d'autres en tromblon, en rayures… ; les uns ont bouche cousue par deux étiquettes rouges, d'autres cachée sous de somptueuses moustaches, quand ce n'est pas carrément sous une bande musicale pendouillant de part et d'autre ! Nez droits, pincés, raides, biscornus… Gros sourcils, un seul, en triangle, remplacé par un soleil…
Bref, Nathalie Dion œuvre de toute son imagination pour varier la gamme de ses clowns ; joue des harmonies de couleurs, pures ou fondues.
Mais il est une autre gamme dans laquelle son imaginaire est moins débridé, puisque, ne travaillant que sur des formes, seuls quelques détails sont variables : Dessinées d'un unique trait qui souligne des visages surallongés, où deux "lobes" de cerveau tubulaires aboutissent aux yeux petits, sceptiques, gais, tristes, osés…, bleus toujours ; des oreilles ou pas ; une mèche évocatrice pour les cheveux. C'est tout, les bouches goulues, pincées, larges, étroites… accentuant les différences.
Une œuvre ludique, à laquelle pourrait s'appliquer cette citation de Catherine Ikam : "J’ai toujours aimé jouer avec l’apparence des choses. Ce qui m’intéresse, c’est le visage, lieu de désorientation".
Jeanine RIVAIS
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LES OISEAUX DE FRANCOIS-XAVIER DROMARD
Récupérateur, sur métal surtout, il semble bien que François-Xavier Dromard appartienne à ces bricoleurs aux talents protéiformes, incapables de rester en place et d’imposer un aspect définitif à leur travail : des explorateurs, en somme, de la sculpture. Ainsi, désireux de s’exprimer sans frontière, donne-t-il "vie" à de multiples figures allant des sièges aux animaux imaginaires, et, le plus curieux de sa création, aux oiseaux.
Il explore pour y parvenir, toutes sortes de matériaux qui lui tombent sous l’œil ou sous la main : objets informes ou parfaitement définis, etc., les uns l'obligeant à les retravailler, d'autres lui permettant de les utiliser tels quels ou presque : de sorte que ses œuvres sont tantôt des assemblages, tantôt des sculptures. Et, à partir de là, selon son humeur, il se lance en des constructions dont les seuls points communs seraient la légèreté, le sens de l'envol.
Car, tous les oiseaux de François-Xavier Dromard sont dotés de longues pattes, s'appuyant parfois sur les deux, mais plus souvent sur une seule ; et d'ailes immenses, toujours essorantes. Les corps sont très longs, ainsi que les cous minces, tendus, confirmant le battement d'ailes qui va envoyer l'oiseau dans les airs. En somme, presque tous ses oiseaux sont des échassiers ! Et toujours, l'artiste a laissé le métal tel qu'il l'a découvert, portant le témoignage de l'usure du temps, brun, rouillé parfois comme si sa création était souhaitée dans la contemporanéité, mais qu'une place de choix était tout de même attachée aux valeurs du passé.
Mais, au long de ce travail, quelques autres constantes jalonnent la démarche de François-Xavier Dromard : sérénité, caractère à la fois ludique et raisonnable, fantasmagorie d’un imaginaire débridé, esthétisme et originalité… toutes ces forces complémentaires générées ou assumées par l’artiste, sont autant de gages d’une création authentique et originale ; et finalement, tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ?
Jeanine RIVAIS
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FOGERON HERVE
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2012.
Et : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS
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GEDIYON ABIY
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS BANNE 2013
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS
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MAGIE ET RECUP' CHEZ ERIC LODI-TOLOMEÏ
Le travail d'Eric Lodi-Tolomaï implique-t-il une démarche de Récup' totale ? Il semble bien que oui, et que peu importe le matériau, métaux, plastiques, batteries, freins, etc., pourvu qu'il leur trouve un sens et une complicité avec d'autres qui attendent déjà de devenir tout ou partie d'une création inattendue ! Apparemment, peu importe aussi pour lui, la trace de l'usure du temps, vu que certains brillent d'un éclat tout neuf, comme l'engrenage de pédalier sous les godasses de Charlot, le collier au cou du cheval ou la brassière de son étrange cosmonaute féminine…
Il y a, par ailleurs, à l’évidence, chez ce créateur une grande volonté ludique d’être un sage ; de ne pas trop “agir” sur ces avatars métallo-météo-musico-moteurs ; de feindre d’ignorer le temps qui, malgré tout, a oxydé certains éléments, en a rouillé d'autres, comme d’une pirouette on se débarrasse d’une idée gênante ; dénoncer, dans le même temps, une civilisation qui rejette ses objets à peine consommés, dans un grand gaspillage de beauté et de sens patrimonial. Créer, en somme, à partir des rejets d’autrui, une poésie personnelle qui ressemble fort à un défi !
D’autant qu’à l’appui de cette provocation, Eric Lodi-Tolomeï transforme en objets ou personnages issus de son imaginaire, tous ces éléments arrachés à la destruction ; insuffle à l’ensemble vie et pérennité : il les intègre dans la composition d'une motocyclette en état de fonctionner, d'une cosmonaute tranquillement assise au bord de la Terre, ou de Charlot avançant de son pas si typique (tous deux déjà évoqués), d'une immense girafe, d'un contrebassiste et de son instrument plus vrai que vrai ; les dispose en des postures branlantes autour des petitesoeuvres…car il ne faut pas oublier les créations petites, fascinantes par la patience qu’elles impliquent, dont beaucoup sont plus allochtones qu'homomorphes, réalisées avec toutes les compositions possibles d'outils et autres ustensiles. Surprenantes aussi par le côté antédiluvien des machines qu'elles deviennent. Tout cela se chevauche sur la table : Et ces petits délires techniques et oniriques ; les uns réalisés pour leur esthétique, d’autres parce qu'ils possèdent une charge émotionnelle, rappellent au visiteur combien est vive l'imagination de tous ces créateurs d'Art-Récup', celle d'Eric Lodi Tolomeï en particulier…
Car cette réflexion mutagène entraîne cet artiste dans une démarche baroque ; à laquelle il faut ajouter un humour désopilant, une attitude bon-enfant, et des talents de magicien joueur de cartes : toutes performances qui laissent le visiteur bouche bée et admiratif !
Jeanine RIVAIS
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VILLES ET VILLAGEOIS
LES DIFFERENTES VIES DE LOUTSCHÖPPE
Lorsque le visiteur se trouve face aux immeubles de Loutschöppe, où est évidente l'absence de perspective, il se dit que, malgré leur aspect rectiligne, voilà des édifices bien branlants, que l'obsolescence à laquelle ils sont confrontés devrait amener les autorités à les détruire, les populations à chercher "ailleurs" ! Mais les quartiers de verdure placés aux abords, la façon dont des familles entières jouent ou prennent la pose, là, tout à fait à l'avant-plan, pour se faire immortaliser, lui prouvent qu'il a tout faux ! Que les couleurs gaies, les bleus céruléens du ciel, le jaune flavescent ou le rose des murailles attestent que l'artiste s'amuse beaucoup à cons/dé/truire ses architectures aux pieds d'argile ! Qu'elle avance au gré de sa fantaisie, de son inspiration, sans se soucier d’aucune démarche, d’aucune école ; et que, finalement, ces éléments géographiquement réduits sont peints avec une grande finesse d'observatrice amusée et toute la fantaisie d’une artiste qui aime profondément les " sujets" qu’elle peint.
Beaucoup moins d'humour, d'aspect ludique dans les portraits de personnages de Loutschöppe, qu'elle peint comme s'ils étaient dans l'obligation de se présenter : sachant que tous, seuls ou en couples, ils sont au centre de la toile, placés devant un fond non signifiant ou terriblement banal comme celui parsemé de petites fleurs violettes, et tournés face au visiteur. Dans le cas de ses portraits, l'artiste, à l’évidence, aime les scènes statiques. Elle passe et revient à larges coups de pinceau sur ces arrière-plans sans âme, s’y "promène " avec plaisir comme si, vides et impersonnels, ils laissaient toute la place à son imaginaire, subséquemment à ceux qu'elle portraiture.
Mais la facture de ses œuvres peut être très différente !
S'agit-il d'une femme seule,voilà le spectateur revenu à la mode de naguère : elle est assise, sa jupe ballonnant largement autour d'elle, tandis que le corsage aux manches et au bustier très ajustés, est strictement fermé par un ruban et qu'un large col de dentelle couvre ses épaules. Ses gants aux doigts coupés sont en coton noir crocheté. Aucun bijou, mais un oiseau délicatement posé sur son épaule, l'autre sur sa main gantée. Son visage allongé est dépourvu de la moindre ride, sa bouche pincée lui confère un air sévère que corroborent ses petites lunettes rondes aux verres reflétés sur ses joues et au cercle surmonté de sourcils épais. De sa chevelure frisée, abondante, qui cache les oreilles, nulle mèche ne dépasse, mais l'ensemble rebique bizarrement, comme si cette personne que l'on pourrait facilement traiter de "vieille fille" s'était tout de même autorisé une petite fantaisie !
Quant aux couples, ils sont, eux, résolument contemporains. Copains ados ou frères et sœurs, ou en âge d'être leurs parents, ils sont serrés l'un contre l'autre, mais la silhouette qu'ils découpent est loin d'être aussi accusée que dans le personnage solitaire. Aucun surlignage, en effet, n'atteste de leur personnalité. Dans ce cas, une telle récurrence ne témoigne-t-elle pas qu'il s'agit pour Loutschöppe, quotidiennement peut-être, de se confronter à ses choix, ses sentiments, ses volontés, ses déterminations, ses interrogations… ? D'autant qu'il est évident qu'elle a voulu prendre de la distance, parce que tous ses portraits sont stylisés ; à aucun moment, ils ne sont réalistes. Par contre, rien de vraiment "atypique" dans le nez busqué au profil convexe, ni aux sourcils très arqués. Pour cette série beaucoup plus fantaisiste et chaleureuse, l'artiste suggère plutôt qu'elle n'affirme, des vêtements sobres, sans nuances et sans élaboration, parfois à la limite de la dégradation ; donnant à ses personnages, des airs inachevés, ne traduisant alors que des impressions rémanentes, entrecoupées de sensations oubliées !
Ainsi, tour à tour, Loutschöppe passe-t-elle de la vie dans ses banlieues à l’immobilisme de ses portraits, de la légèreté et du foisonnement à une concentration austère, exprimant l’un ou l’autre au gré de sa fantaisie. Fantaisie qui la ramène à l'éternel problème : pourquoi le rapport au portrait la fascine-t-il tellement et tant d'artistes avec elle ? Peut-être parce qu'en la (les) renvoyant à l'"autre", il la (les) renvoie à elle-même (eux-mêmes) ? Parce qu'il renferme, en un rectangle restreint, réminiscences et images d'un passé plus ou moins lointain ? Parce qu'il oblige la peintre à se confronter à tout ce qui est intime et dormant en elle? Qui sait ?
Jeanine RIVAIS
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"TACHES" ET PORTRAITS DE LUNAT, peintre
Deux démarches semblent caractériser l'œuvre de Lunat, différentes en apparence, et néanmoins pas tout à fait contradictoires.
L'une que l'on pourrait rattacher au tachisme : sur un fond bleuté clair, parsemé de petites macules plus foncées sont étalées, lovées, tassées, de grosses taches uniques, occupant la majeure partie du support. Bizarres, ces taches teintes en noir, avec quelques maculatures grises ou rouges. Et puis, parfois, des coulures semblables à celles d'une bougie qui aurait longuement fondu, n'était qu'elles sont noires.
Etonné, le visiteur va se détourner pour passer à l'œuvre suivante, lorsque soudain, il aperçoit un œil brillant, près de l'une des bosselures extérieures de la tache, Et puis, n'est-ce pas des moustaches qui dépassent ? Pas de doute, ce qu'il a pris d'abord pour une simple tache est décidément un animal, une loutre peut-être même. Dont il va peu à peu détecter ici une oreille, à peine plus claire que le pelage, là un orifice comme l'extrémité d'un quelconque appendice. Il se dit alors que les coulures seraient sans doute la preuve que l'animal" revient de prendre un bain ! Ainsi SE construit-il peu à peu une aventure très subjective, à partir… de ce qu'il a pris pour… une tache anonyme !
La deuxième démarche est aussi une histoire de tache, mais différemment utilisée : Tout se passe comme si Lunat voulait à tout prix protéger ses personnages (car il s'agit ici presque exclusivement de personnages) en laissant autour d'eux un large espace blanc. Ce faisant, elle rejoint les poètes pour qui, bien souvent, l'importance de la marge conditionne la disposition du poème.
A l'intérieur de cette marge, en est une seconde qui est irrégulière, comme jetée en plusieurs projections de peinture, noire et/ou jaune, avec, là, au milieu, un ou deux petits poupons tout nus, très linéarisés, membres tout juste évoqués, yeux creux, et bouche ouverte comme s'ils criaient, tendus l'air de vouloir se jeter en avant !
Et, toujours avec une marge, une autre variante encore apparaît ; qui est rectangulaire bien définie, formant le tableau dans le tableau ; Ce fond non-“narratif” génère un espace clos, un grand vide psychique qui isole les personnages, en buste ou en pied. Les silhouettes anthropomorphes ou parfois animalières évoquent une solitude infinie. Non que cette solitude soit “exprimée” de façon lyrique par les visages ; mais il est saisissant de voir comment, à partir d’un “modèle” (qui, au fond, n’est “cherché” que pour se sécuriser), et “reproduit” sans souci de similitude, l'artiste réalise des personnages avec un étonnant respect de la gestuelle de l’image originelle ; réinvente le monde, en somme. Cette fois, le visiteur s'aperçoit que l'individu à l'intérieur est complètement différent des poupons évoqués à l'instant. Il s'agit de photographies voire de portraits bien "réels" ; ou factices, nés de son imagination. Tous sont placés de face, regardant ce visiteur qui se trouve en off. Jonglant ainsi entre fiction, onirisme, et réalisme, la peintre use de plusieurs artifices : à partir de pages imprimées, de petits objets divers, se succèdent sur le papier, dans un style absolument personnel ici une femme, visage bien réaliste, mais buste juste évoqué ; là une tête de jeune fille, grands yeux noirs et bouche menue ; ailleurs un phoque blanc à tête humaine, etc.
Chaque fois, la main réagit pour ciseler le découpage ; le pinceau se fait caresse pour peindre ces personnages “en attente”, saisis en une seconde d’immobilité, placés au centre de ces fonds abstraits ou inexistants. Mais il faut noter le côté un peu emprunté, un peu figé des personnages, réinventant les sensations passées, un peu rétros... plaqués à l’avant-centre du tableau, toujours en représentation, comme si justement, Lunat était en off, en train de les prendre en photo.
Ainsi réinvente-t-elle le monde, en somme. Un monde extirpé du contexte dans lequel elle l’a saisi sur un original ou tiré de son esprit ; et se livre tout entière dans la solitude de son atelier, à la volupté de l’action de peindre !... Se souvenir... et envahir la toile ! Faire de deux plaisirs...une oeuvre !
Jeanine RIVAIS
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LES SCULPTURES DE MANOYAN, EN TERRES CUITES, RAKU OU BRONZE
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Les sculptures de Manoyan, en terres cuites parfois livrées au raku, ou en bronzes patinés, sont féminines (souvent), masculines (parfois) ou animalières.
Lorsqu'il s'agit de femmes, elles sont nues ou vêtues de chemises amples, jambes croisées aux bottes montantes et moulantes, chapeau légèrement de guingois, rabattu comme pour cacher leur visage…. Nues, en terre, elles arcboutent leurs corps galbé, leurs bras qui se rejoignent au sommet de leur chevelure, leurs seins bombés, dévoilant chaque partie de leur anatomie provocante, striée des fines ridules du raku. En bronze, elles sont fines, voire longilignes, aux seins menus et dardés, aux têtes plutôt petites, tendues ou tournées "vers…" ; aux fesses souplement rebondies, et cuisses solides aux membres longs, aux épaules maigres lorsqu'elles étalent leurs bras l'air de dire "c'est bien ainsi, je l'affirme" ; au contraire joliment arrondies lorsqu'elles les replient, comme pour se protéger, cacher peut-être pudiquement leurs seins. Mais dans tous les cas, ces femmes sont un symbole de féminité, à la fois fortes et fragiles, d'une élégance émouvante.
Quant aux "hommes", ils sont fildefériques. Atteints de gigantisme, membres inférieurs roides, bras tendus, ils perchent leurs minuscules corps à l'extrémité de tremplins et se retrouvent en postures gymniques, comme prêts à faire le "saut de l'ange", plonger sur les femmes tout en bas !
Et les animaux, intéressent-ils vraiment Manoyan ? Peut-être, en manière d'humour, lorsqu'elle les réalise oiseaux minuscules, perchés sur un fil, comme prêts à entreprendre leur migration vers la… lune mordorée, énorme, posée à côté d'eux !
Ainsi donc, l'œuvre de Manoyan tourne-t-elle essentiellement autour de l'humain. Et toujours, terres ou bronzes, s'impose la relation entre surfaces et espace investi par chaque personnage. Combinant recherche de relief, de creux et d'arrondis, elle multiplie les variations de la lumière, donnant à ses créations une connotation poétique.
Jeanine RIVAIS
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MERCKY FRANCK
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique FESTIVALS : Banne 2013.
COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ EVAsions de la Peinture VILLY EN AUXOIS. Rubrique FESTIVALS 2018.
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS ; http://jeaninerivais.jimdo.doc/ SAINT-SAUVEUR EN PUISAYE : Rubrique ART DANS LES COURS ET JARDINS 2018.
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PORTRAITS ET AUTRES SUJETS D'EDMONDE MISTRETTA
Totalement autodidacte, il semble bien qu'Edmonde Mistretta, frisant la soixantaine, appartienne à ces dames âgées (comme M’an Jeanne en France, La Vieille Dame en Hollande, Martha Grünenwaldt, etc.) qui, un jour, tout à fait par hasard, se sont mises à dessiner. Et qui, incapables désormais de s’arrêter, ont couvert (couvrent) des dizaines de toiles de "dits" complètement libérés de tout souci de techniques ou de conventions
Et, depuis lors, elle a déployé une intense activité, allant de portraits de femme berbère, jeune Gitane… à des ponts, paysages campagnards, bouquets de fleurs, etc.
Le tout peint à l'huile, au couteau ou au pinceau, de couleurs vives, rappelant sans doute des épisodes de sa vie, ses rencontres, ses voyages ?
Jeanine RIVAIS
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LES MUSICIENS DE CENDRINE PANNIER
"La musique chemine en nous, c'est une grâce de se laisser toucher par elle. Je crois volontiers qu'elle adoucit nos cœurs et nos humeurs". Gaëlle Josse, "Les heures silencieuses".
"Ce ne sont pas des enfants", affirmait naguère Cendrine Pannier dans un entretien, "mais ils ont gardé leur âme d'enfants". Il semble bien que presque une décennie plus tard, rien –ou presque- n'ait changé dans son petit monde ! En effet, tous, hommes et femmes ont conservé leur air juvénile et ils continuent d'exercer leurs activités récréatives (ici, tous sont musiciens) en un temps où bêtes et gens se comprenaient, se parlaient : ainsi de la vache entre pianiste et flûtiste, qui participe à la partie de cartes ; ainsi des oiseaux-lyres ou simples oiselets sans nom qui volètent autour des musiciens, ainsi des homuncules batifolant, etc.
Si, de ce fait, les œuvres de Cendrine Pannier se définissent en un temps poétique, toutes se déroulent en un espace sans définition sociale, sauf que les protagonistes ont la chance de vivre pour et par le plaisir de la musique, ce qui ne serait sans doute pas le cas dans d'autres milieux ! Un espace, en tout cas sans géométrie ni perspective ; simplement, un "territoire" entouré –protégé ? – par mille petites étoiles ou fleurs qui brillent de façon que l'"action" se déroule toujours au “centre” et à l’avant-plan du tableau, dans des couleurs douces, mélanges de bleus, jaunes et verts avec ici et là une touche de rouge, sur fonds bleus ou violets dulcifiés.
Leur aspect juvénile, donc ! Toujours par deux, ils s'élancent, voguent dans le ciel façon Chagall ; se serrent l'un contre l'autre, s'étirent sur une large nappe, se retrouvent face à face… Et le temps n'a rien pu faire contre l’immutabilité des visages. Aucun pli ne vient les altérer, toujours maquillés, toujours aux mentons absents, toujours aux chevelures abondantes, toujours avec leurs cous d’albâtre aux courbes parfaites. Aucune ride sur les épaules altières de ces femmes ne témoigne du temps écoulé. Et comme le monde de Cendrine Pannier ne comporte ni enfants ni vieillards, il faut en conclure que ces femmes "sont" adultes à jamais et donc invulnérables… Tout de même, hommes ou femmes, leurs anatomies ne sont pas –plus ?- celles de jeunes premiers ! Certes, les femmes sont toujours coquettes, mais leurs ventres souvent arrondis (d'ailleurs certaines conduisent déjà un landau) témoignent qu'elles sont en "espoir de famille". Quant aux hommes, la plupart sont carrément bedonnants ! Malgré cela, leur leitmotiv est bel et bien beauté, immortalité. Et si leurs yeux fixés sur leur partenaire s'échappent parfois dans le lointain, peut-on en déduire que ces yeux sont capables de rêve ; que ce rêve est porteur d’une poésie qui est, subjectivement, à découvrir par chaque spectateur ?
Le monde de Cendrine Pannier semble donc bien un monde où elle déploie sur la toile des univers intimes de personnages qui se rencontrent, s’aiment, ou rêvent en attendant le moment de jouer de la flûte, du violon, du piano ou tout autre instrument qui embellit leurs vies et la vie de ces œuvres chatoyantes, chaleureuses et attirantes !
Alors, où situer cette créatrice, une fois précisé qu'elle est résolument "hors les normes" ou plus certainement "naïve" ?
"Hors-les-normes", elle l'est par la façon tellement personnelle dont elle peint ses scènes. "Naïve", elle l'est aussi, certes, par le grand souci de quotidienneté que, sous leurs apparents vagabondages, expriment ses peintures. Mais de cette tendance, elle n'a jamais la raideur caractéristique, ses personnages étant toujours en mouvement ! Naïve, elle le serait plutôt à cause de la "simplicité" des contours qui la ramènent par leur caractère apparemment simpliste mais leur véritable science du trait, à des états d'esprit d'autrefois, car ses œuvres ont un petit côté rétro ! Naïve encore, et si ludique, par son habitude d'étaler les rêveries de ses personnages et la façon dont ils s'entourent de petits riens (oiseaux déjà évoqués, fioritures embellissant ici des chevelures, là le bas d'une robe…).
Quel âge a donc Cendrine Pannier, qui peint ainsi de façon si naïve ses “musiciens” si particuliers ? L’âge, sans doute, où le talent aidant, une artiste peut s’amuser sans complexes de l’étonnement et la perplexité suscités par ses oeuvres où sont étalées au grand jour ses intimités tellement lyriques ; son patchwork de couleurs lumineuses et tendres, ses histoires intemporelles qui sont, chaque fois, de grands moments d’émotion jugulée.
Jeanine RIVAIS
VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS : BANNE 2011
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MONTMAILLER STEPHANE
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique FESTIVALS : Banne 2013
Et : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS
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LES LECONS D'ANATOMIE DE CAROLINE PIFFRE
Faut-il connaître l'anatomie pour réaliser des sculptures anatomiques ? Oui, sans doute, pour qui veut être réaliste. Mais est-ce bien le propos de Caroline Piffre ? Apparemment non ! Et, comme elle semble loin de se préoccuper de reprendre la musculature des héros de Fantasy, il devient évident que ses personnages lui sont personnels, et foin d'anatomies classiques !
Néanmoins, Il est non moins évident que son approche figurative explore le corps humain ; qu'elle en affectionne la figure hiératique, qu'elle progresse en multipliant dans ses personnages, les aléas des membres inférieurs, des corps, des têtes !
Ainsi, si aucune fantaisie n'intervient, l'homme de Caroline Piffre a-t-il des pieds énormes, des jambes trapues plutôt courtes, des cuisses solides, même lorsqu'il est en grand écart façon duelliste. Aucun état d'âme pour donner au sexe en légère érection, la place qui lui revient ! Viennent ensuite le modelé précis du corps, râblé, musculeux, tendu ; les épaules carrées, anguleuses ; les bras pendants ou sur-allongés comme pour affirmer la puissance de la touche ; la tête droite, façon mâle sûr de lui !
Même progression ascensionnelle pour les femmes ; et, quelle que soit leur silhouette vue des pieds à la tête (si l'on peut dire, car souvent ils sont transformés en riches efflorescences ou disparaissent sous des robes froufroutantes !), les jambes sont trapues, solides. Par contre, des différences essentielles surviennent avec le corps : fin, nerveux, noueux parfois, il devient d'autres fois massif, aux hanches larges, prêtes à la conception (d'ailleurs, il se peut que la femme soit de longue date enceinte, voire en train d'accoucher, car une large échancrure dans son ventre laisse voir le fœtus). Quant aux seins, si les uns sont menus, d'autres plantureux, tous sont dardés, le mamelon entouré d'une large aréole sombre. Passées les épaules larges, la tête s'orne d'une opulente chevelure frisée. Mais le visage n'est pas beau. Les yeux sont enfoncés et les pommettes saillantes ; la bouche tantôt élargie comme en pamoison, ou aux commissures tombantes d'un air de défi ou de tristesse !
Il arrive, pourtant, que les femmes de Caroline Piffre soient vêtues : jupes longues cachant les pieds, tantôt à volants, tantôt serrées sur les jambes et s'évasant aux hanches ; laissant nu le buste, mais s'accompagnant d'une somptueuse capeline. Luxueuses robes de soirée, fleuries, au corsage ajusté sur le buste, au large décolleté moulant parfaitement les seins…
Et puis, tout à fait inattendue, faisant pénétrer l'artiste dans une sorte de monde fictionnel, une femme contorsionniste, renversée vers l'arrière, les mains parvenant à une tête animalière proche de celles qui ornent certains lieux sacrés africains, entièrement perforée de cavités contenant des boules : un travail surprenant dont le visiteur se demande comment le faire cadrer avec les autres œuvres de la sculptrice ?
Tout cela en terre, car Caroline Piffre est céramiste, une céramiste qui aime jouer des contrastes entre terres brutes, émaux, etc. Des œuvres conçues à l'évidence sans modèles, avec la volonté de s'affranchir du réalisme, tout en en restant très proche, travaillant à l'instinct, au ressenti, à l'impatience de savoir ce que va devenir le modelé en gestation. Et puis, animée d'une grande sincérité, elle est l’auteure d’une œuvre un peu naïve, mais déjà très personnelle ; une œuvre où la main rejoint le cœur ; où la profondeur va de pair avec l’esthétique. A suivre.
Jeanine RIVAIS
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Autodidacte, Francine Quillait en est venue tardivement à la création artistique.
D'abord, elle s'est lancée dans la peinture, souvent le portrait : jeunes filles menues aux longs cheveux, prenant des poses de stars, totalement inventées ou images copiées de cartes postales, yeux bleus perçants de Laurence d'Arabie, et puis grosses femmes rebondies de tous côtés, mais dynamiques, gesticulant sur les fonds neutres des tableaux ; et enfin toute une faune exotique de perroquets,singes, hiboux, etc.
Mais, parallèlement à cette création, Francine Quillait a un jour abordé la sculpture. Petites œuvres de terre, animalières ou architecturales. Mais ce qui fait l'originalité de cette artiste, c'est sa passion, devenue en fait obsession pour le recouvrement de ses terres avec des fragments de coquilles d’œufs qu'elle peint au gré de sa fantaisie. Millions de petits éclats de coquilles collés côte-à-côte en ne laissant qu'un infime espace entre eux, afin que l'artiste puisse passer des couleurs, délimitant les coquilles .Se côtoient ainsi volatiles ventrus, bi- ou multicolores, chouettes aux yeux écarquillés... Sans parler de villes blanches ou ocrées, toitures rouges, entièrement conçues avec ce procédé.
Une œuvre toute simple, témoin d'un univers familier créé dans des tons doux, en demi-teintes, attendrissante par sa fraîcheur, et la facture naïve de ce "Coquill'Art" conçu par Francine Quillait.
Jeanine RIVAIS
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SVETLANA RASTOSHANSKAYA, dite SVETLANA RASTO,
Créatrice de figures humanoïdes et animalières
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« De l’or ! De l’or ! De l’or ! De l’or ! Jaune et brillant, dur et froid ! »
Thomas Hood (1799 – 1845)
Dès sa prime jeunesse, en Russie, Svetlana Rasto a aimé dessiner. Puis, élève des Beaux-arts de Moscou, elle s'est adonnée à la peinture. Mariée, elle a beaucoup bourlingué entre la Russie, Cuba, et enfin la France où elle a posé ses bagages.
Est-ce un brin de nostalgie ou de solitude qui l'a amenée très vite à s'entourer de poupées, les unes en papier mâché, les autres en céramique, représentant des animaux humanisés, marchant sur leurs deux pattes postérieures, cochons, lapins, coqs… qui roses et gras élégamment cravatés, qui vêtus d'un costume de marin en goguette, qui s'égosillant… tous prenant la pose auprès des humains.
Les humains. Pour lesquels étaient rassemblés tous les aspects de la vie adulte (personnes dans leurs activités quotidiennes, musiciens, chanteurs, simples promeneurs, sans oublier une magnifique Fanny aux longs cheveux frisés, robe froufroutante, déployant pour l'éternité son adorable postérieur…
Mais l'essentiel de sa création, c'était la famille qu'elle était si boulimique de faire prospérer, qu'elle ramassait pour l'en décorer tous les objets lui tombant sous la main ! Simple couple, avec (tout de même) une poupée à ses pieds, homme et femme côte à côte, suggérant qu'ils sont à égalité… Ce qui ne laisse pas de surprendre, parce que, dans la famille composite, proposant trois générations en sept membres, seules les femmes avaient droit de cité… De même pour celle qui était entourée de sa multiple progéniture dont le ou les mari(s) était (ent) irrémédiablement absent(s) !!
Petite pointe de nostalgie, aussi, peut-être, du fait que, si la plupart des femmes semblaient avoir adopté la mode occidentale, certaines avaient néanmoins conservé le sarafane, la somptueuse chapka ou la tiare de la tsarine… et les hommes (car il y en avait quelques-uns !) étaient vêtus d'une casaque dûment ceinturée, l'accordéoniste avait enfoui dans ses bottes les jambes bouffantes de son pantalon, etc.
Les années ont passé. Les poupées sont devenues sculptures.
La création de Svetlana Rasto est devenue résolument baroque du fait de son caractère obsessionnel et non-conformiste. Mais si, de cet imaginaire culturel excessif, elle corrobore son goût pour l’ornementation paroxystique en collant à l'infini perles, saynètes, chiens, pierres naturelles, fleurs en tissu ou en celluloïd, colliers, etc., tous ces éléments vont chez elle jusqu’à la manie picturale, car tout doit être absolument en place pour que l'œuvre soit, à son goût, harmonieuse ! Si elle orchestre sur chaque "corps", de savantes chorégraphies picturales et sculpturales, d’une richesse et d’une profusion inouïes de détails ; si l’affluence de sa flore et de ses petits baigneurs ou simplement leurs têtes y créent une sorte de cohabitation inusuelle et sophistiquée ; si, par cette exubérance visuelle, elle semble même entrer de plain-pied dans les définitions de l’art “rococo”, en revanche rien dans son oeuvre n’en rappelle les chromatismes délicats : car l’univers sculptural polychrome de Svetlana Rasto propose un ruissellement de couleurs violentes, de plages de rouges carminés ou vermillon, de bleu turquoise, de violines que l’artiste conjugue jusqu’à obtention d’une irisation idéale à ses yeux... Le tout rehaussé de médaillons et autres camées, "d’or" et "d’argent" à profusion, inondé de lumière électrique qu'elle fait onduler sur le support de ses oeuvres, au point que le visiteur interloqué se demande comment il a pu se laisser fasciner par une création aussi aberrante !
Mais un décor tellement kitsch ne peut laisser indifférent : à son corps défendant, ce visiteur revient, se laisse séduire par la volonté manifeste de l’artiste d’étonner, éblouir, créer l’illusion, jouer des contrastes, des éclairages, des effets de masse ; bref, à travers la théâtralité statique de ses compositions, démontrer son besoin d’évoluer au sommet de l’emphase, assumer allègrement son goût du bizarre, de l’étrange, de ses personnages ou animaux hors du vraisemblable.
Tout cela, petit. Travail intime, de grande implication, où l’œil de l’artiste est proche du support sur lequel elle déploie les aléas de son "récit" : les yeux dans les yeux, en somme, avec la protéiformité de ses créatures ! Des êtres féminins jamais réalistes, comme un dormeur décrirait incomplètement les personnages de son rêve : des femmes suffisamment mutines et provocatrices pour conforter la complicité de l’artiste avec elle-même. Car tant de passion ne saurait être vaine ! Et c’est la force de Svetlana Rasto de ramener vers ses œuvres quiconque s’en serait détourné*, l’obliger paradoxalement à admirer ses créations ; à en venir par une pirouette psychologique consciente ou non, à respecter ce délire miniaturisé, ce triomphe de l’abondance ! Car sous l’apparente outrance volontaire, s’impose l’idée que pareille oeuvre, élaborée sur plusieurs années, ne peut être que la concrétisation des fantasmes d’une visionnaire ! De rêves où quelque orfèvre un peu fou aurait agencé perle à perle, pétale à pétale... les milliers de fleurs, nacres… de ces créations épousant strictement les formes voluptueuses des femmes aux bouches et aux yeux lourdement maquillés, masqués parfois.
Car, Svetlana Rasto semble indéfiniment satisfaire son imagination pétulante, en déclinant en toutes couleurs, tous aspects, ses créatures. Et il y a finalement, de la part du spectateur déjà évoqué, une sorte de jubilation à l'imaginer toujours, le nez collé dessus, déployant son imagination pour les embellir, les piqueter d'infimes pointillés, les agrémenter de mille constellations minuscules, les fleuronner, les incruster, les ornementer en somme... Une imagination où le plaisir de la trouvaille et de l'ajout garantit la sérénité de la créatrice, où l’obsession du merveilleux génère une personnalisation hors-les-normes, une singularité irréductible à toute dénomination déjà connue !
Jeanine RIVAIS
Courson-les-Carrières juillet/août 2019.
*Le risque de semblable surabondance est que certains visiteurs le trouvent (pour parler populaire), "trop chargé" !
VOIR AUSSI :
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS: Site : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS, BANNE 2013.
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " CREATRICE DE FIGURES HUMANOÏDES ET ANIMALIERES ". http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique festivals banne 2019.
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ABSTRACTION ET/OU FIGURATION CHEZ CHRISTELLE RICHARD
Il semble bien que Christelle Richard ne parvienne pas à déterminer si elle est abstraite ou figurative ? Que son travail reflète la lutte que se livrent en elle ces deux possibilités ?
Figurative, seul l'humain l'intéresse. L'humaine, plutôt, car l'homme est totalement absent de ses créations. La femme, soumise à de multiples situations dues à ses morphologies hors normes. Quelle que soit sa posture, elle est toujours nue, tout au plus vêtue d'un string qui fait ressortir ses hanches plantureuses, et met d'une part en évidence la décroissance vertigineuse de son buste très réduit, et d'autre part, la longueur de ses jambes collées l'une à l'autre. Au-dessus du cou surallongé, portant une coiffure énorme, la tête est petite, à se demander si l'artiste ne vit pas dans un monde de tabous, où ses femmes auraient des anatomies corpulentes, et des "cervelles d’oiseaux" pour employer une expression toute faite ?
Parfois, pourtant, son physique semble plus "raisonnable", elle est très féminine, presque réaliste. Elle n'est alors qu'en buste, ses seins menus dardés, son estomac résolument plat. Son visage triangulaire se termine par un menton très pointu, au-dessous d'une bouche lippue, boudeuse, d'un nez démesuré à la grecque, et de deux yeux d'un bleu vif. Et toujours son cou excessif, sa chevelure abondante, fuyant vers l'arrière.
Abstraites, les lourdes compositions de Christelle Richard sont élaborées sur fonds lépreux de couleurs appliquées en couches épaisses, ou au contraire avec un pinceau sec, regrattées pour laisser apparaître les accidents de la toile… Le tout, dans ce qu’il est habituel d’appeler des "couleurs malades", violines éteintes ; gris mêlés de bleus violacés ; avec au centre, une ligne verticale rouge lie de vin, fine et irrégulière, ressemblant finalement aux bords enflammés d'une plaie ; à mi-hauteur de laquelle, s'impose perpendiculairement, ce qui pourrait être la silhouette d'un moulin ou un gerbier au sommet pointu ? Ou bien, surgit peut-être (toujours "peut-être", dans ces supputations !) un individu traînant une luge (?), perdu au milieu de l'immensité du tableau.
Mais parfois, l'artiste éprouve le besoin de structurer ses compositions et présente alors des œuvres formées de "quadrilatères" de diverses tailles, orientations, couleurs, parfois imbriquées les uns dans les autres. Les harmonies de couleurs varient grandement : tantôt Christelle Richard reste dans les teintes pâles de bleus ou gris, pouvant s'allier à des bordeaux incrustés de jaunes ; tantôt, comme si elle avait besoin de géographies plus intimes, il est difficile de délimiter les formes car elle autorise certaines couleurs à dépasser leurs limites, chevaucher les frontières, vivre en deux lieux à la fois ; apporter une respiration à cet univers strictement fermé : de contrevenir, en fait, à l’ordonnancement préétabli ! D'autant qu'il s'agit alors de couleurs vives : des rouges éclatants, des jaunes bouton d'or vibrants, mêlés à d'autres plus acidulés, quelques pointes de bleus (jamais de noir dans ses œuvres) la trame de la toile transparaissant, comme si elle avait gratté tout excès de matière.
Ainsi, de ses femmes très figuratives à ses œuvres semi- ou complètement abstraites, Christelle Richard passe-t-elle de moments parmi lesquels elle peut retrouver, pour s'évader en rêve vers des univers plus conviviaux que ceux où se déroule son quotidien ; à cette période exploratoire, très gestuelle, très rapide, relevant d’une lecture cérébrale, psychologique, forcément subjective, au cours de laquelle elle doit se contenter de résultats aléatoires... Où se sent-elle le mieux ? Glissant d'un style à l'autre au fil des jours, le sait-elle elle-même ?
Jeanine RIVAIS
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MASQUE, MENSONGE ET APPARENCE
LES MASQUES DE SAHA
"Qu'il est étrange", écrit Michel Revelard, "que le masque évoque la dissimulation alors qu'il révèle et manifeste ! La beauté d'une culture, ses pratiques religieuses, festives et sociales y transparaissent. Le masque, visage de l'homme face aux dieux et à la nature, prend de nombreuses formes..."
Depuis l’Antiquité, le masque a été, avec des variantes peu importantes, un accessoire spécifique du costume, surtout dans le théâtre grec et romain ou la Commedia dell’arte. De nos jours, il encore très vivace dans les théâtres orientaux.
Qu'en est-il pour Saha qui créait naguère de délicieuses maternités où des mères serraient tendrement leur enfant dans leurs bras ; et qui (est-ce de côtoyer des masques depuis qu'elle vit en Afrique où elle a élu domicile ?), s'est lancée en des séries de masques de terre traités au raku.
Certes, elle exécute aussi des chats, des animaux, de beaux oiseaux exotiques au corps bleuté chatoyant, des boîtes très décoratives... alimentaires ; mais l'essentiel et la partie la plus originale de sa production concerne les masques.
Les masques de Saha sont en terre, ce matériau qui, depuis l'aube des temps, a fasciné les hommes, a enchanté leurs mythes et apeuré leurs vies ?
Il est évident que, dans ses créations, Saha aime l’idée du masque, les variations qui lui permettent de modifier leur "dit", au gré de sa fantaisie. Evident aussi qu'elle est, dans son travail, à la recherche de l’être humain, homme exclusivement… Evident encore, que chaque "sculpture" a "un physique" différent : les unes sont banales, d’autres sont beaucoup plus théâtrales. Certaines sont même très élaborées. Mais toutes sont soit triangulaires, lorsqu'elle a élargi le front pour y implanter une chevelure frisée, soit ovoïdes lorsque cette chevelure se termine en calotte prolongeant directement le visage, Mais toutes ont un menton saillant qui appartient, affirment les visagistes, "aux personnes qui ont confiance en elles, positives, enthousiastes et loyales". Les bouches sont entr'ouvertes, aux lèvres toujours lippues ; elles s'arrondissent souvent en O et lorsqu'elles s'étirent, les commissures sont tantôt vers le bas, tantôt vers le haut, selon que le visage est triste, irrité ou au contraire joyeux ! Les narines épatées sont très bas au-dessus de la bouche, mais le conduit nasal est démesurément long, terminé par une arcature qui devient le sourcil de l'oeil gauche, courbé haut sur le front, Ce qui crée un déséquilibre avec les sourcils de l'oeil droit très peu accentués, et situés juste au-dessus de l'oeil. Les yeux sont tantôt exorbités, tantôt clos, comme si le personnage, introverti était replié sur lui-même. Les joues sont presque plates, les oreilles absentes ou ne présentent qu'un infime décrochage dans la ligne du visage.
Toutes ses œuvres présentent une tension dramatique, une ligne épurée : les visages sont pensifs, fins et anguleux, le modelé précis et nerveux. L'aspect final est différent selon que Saha a longuement peaufiné son œuvre, lissant l'ensemble ; ou qu'au contraire, ayant ajouté quelques taches de pigments bleus, et généré de légers reliefs et champlevés aux motifs répétitifs, elle a donné à ses visages un aspect granité. Mais pour tous, il lui a fallu tabler sur et se plier aux aléas du raku dont chacun sait qu'il est impossible de l'apprivoiser.
Chaque étape de cette œuvre est donc un mélange de la sobriété de quelques passages et l'explosion des dorures de quelques autres qui, issus de l'Art-Récup, et de l’expérimentation continuelle des matériaux de la sculpture (bois, pelles artisanales…) laissent le spectateur sceptique sur leur rôle de masques et sont plus vraisemblablement des décorations atemporelles ! Combinaison si bien pensée, qu'en fait la démarche se fait antithétique entre les masques de terre d'une précision remarquable, et les masques de métal beaucoup plus rudimentaires.
Bien sûr, Saha ne se préoccupe pas de savoir si ses masques sont religieux ou profanes, portables ou seulement beaux ? Ils "sont" et cela lui suffit. Mais à l'heure où chacun est envahi par des images, imprimées, numériques, virtuelles, les œuvres qu'elle crée sont dotées d’une inquiétante étrangeté. Elle joue sur l'apparence. Et puisqu'elle passe désormais presque tout son temps en Afrique, comme il est dit plus haut, peut-être veut-elle exprimer des réminiscences de civilisations anciennes… réalisées avec la fausse naïveté d’une artiste soucieuse de styliser ses visages pour mieux dire l’essentiel ; affirmant les qualités plastiques et esthétiques du primitivisme recueilli parmi les cultures qu'elle côtoie ; d'une grande contemporanéité, malgré l'atemporalité évoquée ci-dessus?
Jeanine RIVAIS
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LES CREATIONS D'ART-RECUP' DE SEDNA
Artiste d'Art-Récup', Sedna se sert, pour ses créations, de tous les matériaux qu'elle peut découvrir au cours de ses glanes : (bois, pierres, métaux...) auxquels elle ajoute du papier, et des feuilles d'or ou d'argent ; les combinant, les croisant, les adjoignant pour en faire des objets aux aspects et destinations très divers.
De ses pierres burinées, creusées par l'érosion de l'eau et des vents, elle crée des sortes de monolithes sur lesquels elle ajoute soleils, croix, menus objets sans destination précise.
Au-dessus de ses bois, morceaux de branches ou de vieux manches d'outils tronçonnés, elle ajoute un fil de fer arrondi qui constitue une tête, tandis qu'une barre métallique transversale offre à son personnage une paire de bras, qu'un disque gravé, collé par-dessus ses scions représente un ventre ; et que des fils multicolores font office de membres inférieurs. Ou bien, d'un vieux bois allongé, rongé, elle crée une sorte de dauphin, qu'elle dote d'un œil doré, et d'une rangée de dents presque blanches ressortant férocement du brun du vieux bois. Enfin, et par opposition aux bois sur lesquels elle a conservé les traces de l'usage du temps, elle crée des sortes de tableaux abstraits, tantôt géométriques aux petits quadrilatères accolés de façon à s'emboîter les uns dans les autres et qu'elle recouvre de feuilles d'or ou d'argent ; ou bien sur un cercle de bois d'apparence neuve, elle colle sur un second support dont le matériau n'est pas très défini, un mélange de cercles dorés et de formes brunes géométrico-abstraites.
Partant de vieilles tôles rouillées, érodées, elle fabrique des boîtes qu'elle orne de petites pastilles bleu-clair qui crée l'illusion de coffrets précieux.
Enfin, avec du papier, elle fabrique des petits sacs ansés, sur lesquelles elle peint des végétaux fantaisistes très décoratifs. Et elle dispose l'ensemble comme les éléments d'un tableau dûment encadré.
Ainsi, Sedna passe-t-elle avec une grand vitalité, d'un matériau à l'autre ; la façon dont elle les conjugue lui offrant de multiples possibilités, et une grande liberté de concevoir, construire, créer, faire de la recherche et développer. Un travail de passion auquel elle consacre la majorité de son temps.
Jeanine RIVAIS
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LES PAYSAGES DE JEAN-CLAUDE SOULIER
Deux centres d'intérêt semblent caractériser la peinture de Jean-Claude Soulier : les régions rocailleuses voire la montagne ; et le ciel et ses nuages.
Rocailles ou montagnes qu'il propose à longs traits du pinceau chargé de matière, générant une couche lourde, décomposée en une application de taches et de traits épais, qui néglige l’illusion de la perspective, au profit d’un espace où tous les éléments du paysage se retrouvent agglomérés en une sorte d’intimité géographique. Souvent couverts de neige, les reliefs restent parfaitement reconnaissables en raison des nuances colorées qui différencient les épaisseurs de couleurs pâteuses s’étalant généreusement en aplats méticuleusement appliqués.
Chaque tableau, où les escarpements sont toujours vus de près, se présente comme ayant sa propre lumière, jouant sur les surfaces tourmentées d’harmonies contrariées… Parfois, de manière inattendue, surgit noire au milieu de la couche neigeuse, une femme retenant d'une main son foulard, de l'autre portant un fagot de bois, toutes les lignes de sa silhouette extrêmement simplifiées, tendues vers sa maison troglodyte aux ouvertures noires ; corroborant par leur raideur, la lourdeur du paysage qui écrase la majeure partie du tableau. Inattendue et étonnante, car l'essentiel des paysages de Jean-Claude Soulier est vide de toute vie, la végétation elle-même n'y étant qu'allusive. Et, lorsque les ciels y sont visibles, ils sont lourds, chaotiques, dans des bleus très foncés de nuages porteurs d'orages, dominant les crêtes noires qui ferment l'horizon.
Nuages qui se retrouvent comme éléments uniques du tableau. Et là encore, deux options s'offrent au spectateur :
Tantôt l'artiste se rapproche de la démarche des peintres nuagistes, la charge émotionnelle du geste restant alors soumise à un dynamisme suggestif, plein de subtilité retenue ; formant une sorte de bande enserrée par deux espaces de ciels bleu gris. Ce spectateur remarque alors d’emblée que les nuages conçus en des bruns allant du noir au bistre, mordent sur ces plages monochromes, s’étirent, se bousculent, s'enchevêtrent, obligeant le regard à circuler visuellement entre les différentes parties de la peinture, de bas en haut. Les "deux ciels" qui ceinturent cette partie tourmentée lui confèrent par leur statisme, une douceur et une souplesse tout en atténuant son aspect mouvementé ; génèrent ici et là une consistance fluide et évanescente.
Tantôt au contraire, l'artiste peint par grands balayages les trois plages horizontales qui emplissent le tableau. Les coups de pinceau s'allongent et s'allègent pour rendre au plus près l'idée du mouvement. Toute fantaisie a disparu. Les nuages évanescents sont devenus plaque intermédiaire d'un jaune aux nuances longilignes ; tandis que les deux parties de ciels, carrément gris orageux la cernent, Car, "paysagiste abstrait", la matière est primordiale chez Jean-Claude Soulier. Les épaisseurs sous-jacentes font vibrer les lourdes couches, travaillées au couteau, à la main peut-être ; à la recherche toujours des jeux de lumière. Les rives, irrégulières comme les bords d'un fleuve sapées par l'érosion, sont par instant jalonnées de taches noires, informes, sans que le spectateur puisse affirmer s'il s'agit d'éléments précis, ou si l'artiste a simplement voulu créer des disruptions pour éviter toute monotonie ? Cette tendance de son œuvre se regarde donc de loin, là où les vibrations des couleurs génèrent des formes fragmentées, des ambiguïtés spatiales, des effets de transparence, amenant l'œil du spectateur à recomposer subjectivement son propre monde.
Finalement, chacune de ces trois étapes de l’avancée picturale de Jean-Claude Soulier est porteuse d’une même introversion infiniment dense : trois volets d’une unique vision ; un affrontement de l'ordre et du désordre entre les paysages sauvages et rocheux de montagnes et la linéarité des ciels et des nuages. Et même si l'abstraction se fait, dans certains tableaux, toute relative, cet artiste peut tout de même être rangé dans la lignée des peintres du Naturalisme abstrait.
Jeanine RIVAIS
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LES PEINTURES EXPLORATOIRES D'YVES TUBRY
A en juger par la disparité entre ses oeuvres, il semble bien qu'Yves Tubry soit dans une phase exploratoire, en attendant de trouver un thème définitif ? Ainsi va-t-il d'un personnage stylisé, placé de profil dans le trou d'une serrure ; à un cercueil sur lequel est tombé un avion, dans une palmeraie ; à ce qui pourrait être une tête passe-boules ; ou encore à un masque stylisé perdu dans les nuages où une échelle lui a permis de monter ? etc.
Des tentatives, en somme, témoignant de son désir de peindre. Bonne chance à cet artiste naissant!
Jeanine RIVAIS
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PERSONNAGES HOMOMORPHES ET ALLOCHTONES D'OLIVIER VEDEL
Il semble bien qu’Olivier Vedel appartienne à ces créateurs aux talents protéiformes, incapables de rester en place et d’imposer un aspect définitif à leur travail : des explorateurs, en somme, de la peinture ou de la sculpture. Ainsi, désireux de s’exprimer sans frontière, donne-t-il "vie" à de multiples figures, explorant pour y parvenir, toutes les influences qui le titillent, les adoptant en pensée peut-être, et faisant sienne leur originalité, pour en venir à ses œuvres éminemment personnelles Et, à partir de là, selon son humeur, il se lance en des constructions hétérogènes, presque toujours homomorphes, même si quelquefois la ressemblance avec l’humain est évasive. Regarder les œuvres d'Olivier Vedel revient donc à "rencontrer" toutes sortes de variantes anatomiques, dont les seuls points communs seraient la verticalité et la résonance xénophile des individus qui les affectent.
Mélange d'influences africaines et de codes personnels, les œuvres d'Olivier Vedel sont présentées sans contexte, susceptible de situer les individus nés sous son pinceau ou du travail de ses mains : Peintures, ses personnages sont placés à l’avant-plan d’un fond non signifiant, bleu ou bleuté généralement. Sculptures, elles sont exécutées en pyrogravure, découpées à la scie, peaufinées à la main. Et peintes, dans l'un et l'autre cas, avec peu de couleurs : l'ocre de la terre à la fois chaleureux et dur, le bleu du ciel, et des bistres allant du blanc crème au cuivré. Et toujours, comme il est dit plus haut, représentant l'humain. Jamais l'homme... La femme, quotidienne ou déesse, étonnante combinaison d'éléments rituels et de sa culture occidentale. Non que ses peintures ou sculptures "ressemblent" à des peintures ou des statuettes tribales. Mais elles offrent au spectateur un calme et un hiératisme si puissants, qu'elles semblent restituer la vitalité rentrée, la jouissance implicite et la force sous-jacente des créations primitives dont elles seraient les héritières.
Par ailleurs, le visiteur peut se demander si ses sculptures ne servent pas de point de départ à ses peintures ; si elles ne deviennent pas le sujet de la peinture ou inversement, tant le sujet des unes corrobore celui des autres ! Sur toutes, l'artiste a "scarifié", "tatoué", dessiné corps et visages en les recouvrant de mini-cercles, lignes parallèles, traînées colorées ; infimes ponctuations, géométries ténues ornant ici un cou, là une poitrine ; minuscules tracés aléatoires ; multitude d’entrelacs décorant artistement un ventre ou une paire de fesses... tout cela générant des vibrations qui donnent vie au personnage.
S'agit-il, pour Olivier Vedel, de s'attacher aux primarités et à la sagesse tribales face à la folie et à l'agitation inhumaine de notre civilisation; à la beauté et l'exotisme de sa statuaire ou de sa peinture et leur surprenante proximité avec les images inconscientes enfouies en tout être humain ? Le champ des possibilités semble infini, D'autant que, parfois, il devient récupérateur et crée alors des masques dont la forme appartient à ses symboles : un ovale cassé, avec deux phases. Enfin, il crée des bas-reliefs, intermédiaires entre peintures et sculptures en ronde-bosse.
Mais, toujours, l'artiste crée des œuvres fortes, vivantes, qui interpellent le visiteur.Tous éléments qui confirment, au fil du temps, qu'il a préservé son identité culturelle, son intense créativité originale, son inspiration issue d’un quotidien ancestral revisité… Qu’il a généré, en somme, hors de toute orthodoxie et de tout apport allogène, un univers pictural mystique, à la fois posé et exubérant. Tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ?
Jeanine RIVAIS
VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS Banne 2014.