MARIE-CLAUDE SALOMON, sculptrice

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Marie-Claude, je suis surprise par le format de vos sculptures.

Marie-Claude Salomon : Je vais du petit format au grand format ! 

 

J.R. : Quand vous réalisez de grands formats, chaque œuvre devient une petite histoire. Les petits bustes sont esthétiques, mais ne racontent pas d'histoire.

M-Cl. : Ah oui ! C'est le frère et la sœur…Elle qui est sage, posée, et lui qui est un petit diable.

 

J.R. : Si je comprends bien, c'est une histoire de famille ? Comment en êtes-vous venue à quelque chose d'aussi personnel ? Je ne parle pas de la facture, je parle de votre relation à vos histoires. 

M-Cl. : En fait, comme toutes les grands-mères, j'adore mes petits-enfants. Ils habitent loin, je ne les vois pas très souvent. C'est donc ma façon de les posséder. 

 

J.R. : Ce seraient donc des fantasmes pour combler des vides ? 

M-Cl. : Pas des fantasmes ! 

J.R. : Oui ! Parce qu'ils sont bien réels. Mais je voulais dire qu'à partir du moment où ils sont loin de vous, c'est là que vous commencez à les sculpter ? 

M-Cl. : Voilà ! Je fais beaucoup de photos d'eux. Mon mari aussi. Et il y a des photos qui m'inspirent. Qui me rappellent des moments heureux que nous avons vécus ensemble. J'ai envie de les utiliser et au bout d'un certain temps, l'idée commence à mûrir. Quelquefois, c'est plus long, parce que sur le plan technique, elles me posent des problèmes. Par exemple, pour la petite fille qui soulève sa jupe pour regarder ses chaussures, j'ai mis longtemps à trouver comment la faire tenir sur les jambes. Une fois résolu le problème technique, je me lance ! 

 

J.R. : C'est donc de la terre. Que vous cuisez à quelle température ? 

M-Cl. : A 1100 degrés. 

 

J.R. : Pour certaines sculptures, vous avez imité le bronze. Pour d'autres, vous avez gardé la terre brute. Une terre très chamottée, comme les deux grands personnages ? 

M-Cl. : Oui. J'ai un défaut, je veux trop lisser mes créations. Avec cette terre, je les laisse plus rugueuses.

J.R. : Mais quel que soit votre choix, lisser ou ne pas lisser, vous jouez de la lumière. Parce qu'il est évident que vos petits personnages, très lisses, captent la lumière et ont des matités et des brillances évidentes. Alors que les deux grands personnages ne le font pas.  

M-Cl. : Non, mais tant pis ! J'ajoute que les grandes sculptures sont toutes dans mon jardin. Je les laisse dehors ! C'est pourquoi elles ont des couleurs différentes, petit à petit le soleil les patine. 

 

J.R. : Parfois, vous débordez le cadre familial, comme avec votre faune. Qu'est-ce qui fait que vous parvenez à "vous échapper"? 

M-Cl. : J'admire infiniment la sculpture grecque. Vous avez dû reconnaître dans le faune une sculpture qui se trouve à Olympie, celle de Praxitèle. Je crois que c'est le désir d'avoir chez moi beaucoup de choses que j'admire. Je pars ensuite de cette idée-là, d'autres idées me viennent. Qui évoluent au fil de la sculpture.  

 

J.R. : Pour en revenir à votre couple qui est assez typé, tous deux sont filiformes ! Par contre, elle a des seins plantureux, mais elle met ses mains devant son sexe, alors que l'homme a un sexe très en évidence. C'est un jeu de pudeur et d'impudeur ? 

M-Cl. : Oui. Mais c'est "Adam et Eve" ! Quand mon mari les a vus, il m'a dit que cela lui faisait penser à une citation de Baudelaire : "Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre". 

J.R. : Quand vous travaillez la sœur et le petit frère, vous travaillez d'après photos, comme vous l'avez suggéré tout à l'heure ? 

M-Cl. : Oui. En fait, j'ai fait poser mes petits-enfants et je les ai photographiés. Puis, j'ai pris beaucoup de détails, des mains, des visages, etc. Tandis que les autres sont des photos au vol. C'est donc plus difficile, parce qu'il y a certaines choses que je suis obligée de reconstituer. Pour bien travailler une statue, il faut avoir deux profils, la face et le dos. 

 

J.R. : Que préférez-vous ? Travailler "de visu" ou travailler d'imagination ? 

M-Cl. : Tout dépend des moments. 

 

J.R. : Par contre, vous avez une série de toutes petites sculptures que vous avez également faites en terre très chamottée. 

M-Cl. : Une partie seulement, les autres étant en terre moins chamottée.

J.R. : L'une d'elles ressemble à un Botero couché ! 

M-Cl. : Non, pas Botero, mais vous savez, personne ne commence avec une page blanche ! Chacun a des images dans la tête.

 

J.R. : Certes, nous n'en sommes plus à l'époque où Dubuffet parlait de gens "acculturés" ! 

M-Cl. : Et puis, je ne me prends pas pour une grande artiste ! 

 

J.R. : Mais ce qui est intéressant dans votre travail, c'est que c'est du ressenti ! 

M-Cl. : Oui, là je suis d'accord. Mais chaque fois que l'on fait une oeuvre, l'impression est personnelle, ensuite quand une autre personne la regarde, son impression peut être tout à fait différente ! 

 

J.R. : Sur un plan pratique, il vous faut un four immense, pour cuire de si grandes sculptures.

M-Cl. : Elles sont toutes cuites en deux parties. 

 

          J.R. : venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

          M-Cl. : Non, l'ensemble me convient.

 

J.R. : Tout de même, parlons de cette petite sculpture avec un petit personnage avec sa houppe de cheveux et ses yeux bridés. Il ressemble à  un Asiatique.

M-Cl. : C'est une remarque que l'on me fait souvent. Egalement sur les grands personnages. Mais mon petit-fils est asiatique. Ce qui peut justifier l'impression. 

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.