SCULPTURES ET PEINTURES ANTHROPOMORPHES D'ANNIE BOUMAZA

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          La terre, cette matière noble qui reprend vie entre les doigts de tant d'artistes, donne, chez Annie Boumaza, naissance à un monde de têtes féminines, raffinées et structurées ; ou à des femmes dans leur entièreté, longilignes, minces, vêtues de longues robes moulantes, allant de la fillette, à la demoiselle, à la femme adulte et même à la petite grand-mère ressemblant comme deux gouttes d'eau, avec son ensemble noir et son réticule, à la poétesse Marie Noël (¹) : bref, les quatre âges de la femme ! Avec parfois une incursion dans le monde masculin : ici un petit écolier, là une tête seule au bout de son étagère… 

          Mais quel que soit son choix, il lui permet de souligner, de scander des rythmes, de galber des corps pour accentuer formes et volumes et créer le mouvement qui fait vivre ses créatures au gré de son imaginaire.

         Cheveux frisés ou au contraire plats comme appliqués par quelque gel ; nez busqués, sourcils arqués au-dessus d'yeux ronds comme des billes, bouches maquillées tant pour les têtes que pour les corps complets, ouvertes en O, parce qu'elles chantent ! Une sorte de chorale, en somme ! 

    Quelle que soit leur "anatomie", elles sont alignées sans mise en scène sur des étagères, Car il ne semble y avoir de la part d'Annie Boumaza, aucune volonté ludique : sérieuses, graves, dubitatives ou dominatrices, ses femmes sont là, comme par instinct, témoins à la fois protéiformes et, par la récurrence de leurs traits, conçues avec une grande unité.

 

         Autre témoignage du souci récursif d'Annie Boumaza pour la présence homomorphe : ses peintures. Œuvres conçues dans un esprit différent des sculptures, visages enfermés dans de petits espaces clos strictement géométriques, ou semblant émerger côte à côte d'une sorte de magma ; leurs grands yeux ronds fixés sur le spectateur. Est-ce l’instinct grégaire qui les place ainsi de façon tellement dense ? Sont-ils, néanmoins, si égocentriques qu’aucune place n’est dévolue à d’autres dans leur cadre, ne pourrait s'ajouter à l'espace qu'ils se sont conquis ? Sont-ils de purs esprits, que nulle connotation sociale, géographique, temporelle… ne permette de les situer, d’imaginer pour eux la moindre vie hors de ce cadre ; ni entre eux la moindre relation ? Ont-ils le sentiment d’être universels, que leur regard sur leur vis-à-vis en off soit tellement direct, presque provocateur, faisant de lui "regardeur", le "regardé" ? Sont-ils, finalement, les mille facettes subjectives d’un unique individu qui serait, pourquoi pas, leur génitrice : Annie Boumaza et ses multiformes (mais combien "similaires") alter ego ?

          En somme, les deux expressions artistiques que sont la peinture et la sculpture se sont apparemment imposées d’elles-mêmes au fil du temps, au service de ses émotions instantanées, de ses vécus sans doute. Elles lui permettent de jouer tour à tour avec les matières qui se plient à la volonté de ses mains, la répercutent dans les brillances des pigments et les reflets métallisés du raku ; et les couleurs fondues, épaisses, mêlées sur la toile ; tous ces apports lui prodiguant le plaisir d’une alchimie improvisée.

JEANINE RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL BANN'ART DE SEPTEMBRE 2017.

(¹) La statue de Marie-Noëlle orne l'une des rues centrales d'Auxerre (Yonne).