Abel est belge, sorte de poulbot grandi parmi les terrils des mines de charbon. Personnage qui, après avoir frôlé la mort pour cause d'éthylisme, de folies quotidiennes… a été gagné par la sagesse. Laquelle l'a un jour amené à la création.
Ce jour venu, Abel est-il parti en guerre contre l'hypocrisie et la bigoterie de son entourage, que son œuvre pleine d'une insolite poésie l'a conduit à s'entourer de crucifix réalisés au moyen de déchets extirpés des poubelles ?
Et il vrai qu'ils sont "beaux" à leur manière, puissamment impressionnants, porteurs sans concession des tabous du monde, les crucifix faits des reliefs de vieilles planches, vieux morceaux de métaux, ligatures métalliques ou torons végétaux… couverts de pigments ocre cru, rouge vif… et toujours mats. Tantôt revenant au rite, porteurs d'une bouteille/Christ (bien noter le paradoxe entre le vice et la vertu) ! Tantôt pacifiquement nappés de fleurs dans de belles couleurs douces (noter le contraste entre une croix rouge sang et une autre rose tendre et vert suave) ! Tantôt encore "à roulettes", transportés sur un camion/jouet (noter l'opposition entre jouet enfantin et symbole christique) ou homme-loup/cyclope, colleté de multiples brimborions (noter la relation antithétique entre le symbole lycanthropique et l'innocence des petits rien décoratifs) ! Tantôt muraux couverts de "soldats" minuscules, d'hommes dans le fort de la bataille, tordus, déjetés, écrasés… Tous éléments si drus chaque fois qu'ils ne permettent pas au spectateur d'imaginer pour eux, le moindre souffle libérateur. Et cependant, à les contempler longuement, la surprise et le malaise s'estompent et le sentiment émerge peu à peu qu'en jetant sur ses œuvres tant de déchéance, l'artiste libère ses propres misères. Il ennoblit, ce faisant, les objets rejetés par autrui ; parvient en somme "avec de la boue, à faire de l'or" ; réalise par cet étrange va-et-vient une totale adéquation entre œuvre et imaginaire ; impose par ses assemblages inattendus SA conception de la beauté universelle.
Une sorte de message, finalement, intemporel, fait d'une vision objective de la vie, sans mièvrerie ni tricherie : une recherche de la beauté dans la vérité. Tant pis pour quiconque ne saura pas déceler cette beauté sous les oripeaux !
JEANINE RIVAIS