Qu'est-ce qui suscite chez un individu le besoin de créer un monde fourmillant, qui ne laissera autour de lui, aucun espace vide ? Simone Le carré-Galimard (¹) qui avait créé, pour ses œuvres, le mot "Accumulations" disait qu'elle avait toujours entouré sa solitude enfantine d'une foule d'objets qui la rassuraient. Pour Mauro Anesi, il semble bien que l'enfermement et la solitude qu'il implique, soient à l'origine de ce qui est devenu une véritable création monomaniaque instinctive ? 

          Qui dit "Accumulations" pense à une sorte de rébus où il est difficile, voire impossible, de trouver les points de départ et d'arrivée. Pourtant les tableaux de Mauro Anesi sont aisément déchiffrables une fois que l'on a trouvé le personnage, souvent central, et celui légèrement latéral, le second étant toujours complémentaire du premier : ("Marie avec Enfant" / ange en majesté). Les deux étant toujours plus clairs que le reste du tableau. Et le plus souvent religieux ("Jésus-Christ", "Marie avec Enfant"), sociologiques ("Cage avec femme")… 

         De ce point central surgissent des populations de têtes humaines ou animales, autour desquelles gravitent d'autres personnages en multiples postures. Pour arriver aux bords extrêmes, couverts de très inquiétantes bombes atomiques, de sortes de ciboires à étages crachant des yeux, feux gigantesques, etc. Comme si, pour cette agrégation protéiforme, le danger venait toujours de l'extérieur. 

          Ce faisant, l'artiste s'est libéré d'une exigence de proportions ou de formats du tableau qui peut désormais présenter n'importe quelles dimensions, sur n'importe quels supports ! Aucune géographie, dans ses œuvres ; aucune partie qui soit privilégiée ou oubliée : l'œil ne peut s'attarder sur aucun point précis de la composition. Il s'accroche, vagabonde, se perd dans les détails… De là, naissent une poétique, une harmonie, à partir d'un effet de saturation. Jeu du hasard ? Question de rythme ? Les apports ne sont pas prévus d'avance, mais trouvent leur place au gré de la fantaisie de l'artiste et/ou de son sens de l'équilibre. 

         "Foule", donc. Mais composée. L'œuvre, en quelque sorte devenue pénétrable, est désormais destinée à arriver au bout de la "narration". Quelques dessins, des collages à l'infini se sont mis à cohabiter sur le fond pictural. Il semble que, inconsciemment sans doute, Mauro Anesi ait appliqué ce qu'à l'époque du Nouveau Réalisme, Pierre Restany appelait "le geste d'appropriation (qui) est l'agent absolu de la métamorphose, le catalyseur de la révolution du regard" "…).

        Il faut aussi parler de la couleur, dans l'œuvre de ce collagiste ! Car il est un authentique coloriste. Certes, il ne peint pas ce qu'il colle, mais il lui faut un œil remarquable pour trouver dans les multiples revues qu'il met sans doute à mal, les éléments (toujours de petite taille) qu'il fait cohabiter ! De teintes variées, parmi lesquelles des plages de rouges, rouge-orangé semblent servir de faire-valoir aux  autres couleurs, des bleus surtout, repris sur les fragments infimes de fonds qui surgissent ça et là, entre les collages : Des œuvres toujours vives, donc, sans jamais être agressives.  

          Ainsi Mauro Anesi est-il l’auteur prolifique d’un travail obsessionnel, dont la répétitivité et l’immutabilité, la charge psychologique sont d’emblée perceptibles ! Cette œuvre, conçue avec une grande spontanéité, le libère-telle d'un mal-être qui semble exsuder de la récurrence de ces visages multiples, ces anonymats qui, pour lui, n'en sont peut-être pas ? Lui seul connaît la réponse ! Du moins la cherche-t-il !

Jeanine RIVAIS

 (¹) Simone LE CARRE-GALIMARD : Voir ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : "QUAND LES POUPEES DE SIMONE LE CARRE-GALIMARD SE DONNENT LA MAIN" : FEMMES ARTISTES INTERNATIONAL N° 17 de JANVIER 1996. Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART BRUT