LES POPULATIONS D'OBJETS/VIE D'ERIC BLESIN

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          Eric Blésin est un sculpteur d'Art-Récup'. Mais n'est-il pas aussi un peu bûcheron ? Car, s'il trouve au long de ses glanes, les ingrédients à ajouter à ses "corps" (langues, triangles ou rectangles oblongs pour les oreilles, boules pour les yeux, etc.) où trouve-t-il les rondins et branches essentiels à ses personnages ? Dans les bois, assurément ! 

          Et le voilà donc libre de créer des êtres en marge de tout classicisme, avec le bois comme matériau de prédilection. Le façonnant, le métamorphosant et le transcendant.  Devenu, au fil des années, créateur de populations d'objets auxquels il a su donner vie. Tantôt humanoïdes, tantôt animaliers, tous étant parvenus à la station debout ! 

 

          Mais comment le spectateur peut-il décider que celui-ci est humain, celui-là animal ? Ce n'est pas par leurs pattes qui vont de deux à quatre ou plus, avec parfois un unique solide appendice caudal ; toujours  issues directement d'une branche à plusieurs rameaux que l'artiste a rendus parfaitement  lisses par des heures de ponçage. 

          Ce n'est pas par les corps, ils sont réduits à des sortes de tronçons tantôt dans le prolongement des jambes/pattes, tantôt prédécoupés et rajoutés ; en haut desquels se détachent de minuscules bras.  

          Ce n'est pas par les têtes : toutes sont des rondins découpés par l'artiste ; avec parfois, hasard de ses trouvailles ? une demi-sphère puissamment encornée, et un œil unique qui fait de cet individu un cyclope. Rondins auxquels il a ajouté à chaque fois des oreilles (grandes), des cornes (longues, tordues ou simplement courbes comme chez les bovins), des gros yeux saillants…

           Ce n'est pas par les yeux, justement, car en effet, chez tous ils sont proéminents, globuleux, énormes ! 

         Ce n'est pas par les sexes : car si nombre d'entre eux arborent un évident phallus, les classant par voie de conséquence, de sexe masculin ; d'autres ont une minuscule protubérance suggérant qu'ils sont féminins ; d'autres encore ont un entre-jambe lisse donnant au visiteur le choix de leur sexe ! 

          Alors, peut-être la différence viendrait-elle des détails : du nez, à la Pinocchio chez les "humains" ; mufle chez les "animaux" ? Et à la bouche menue, simple parallélépipède par rapport aux mufles qui laissent voir de nombreuses et grandes dents pointues ? 

          Toutes décisions, donc, pour lesquelles l’objet que sculpte l’artiste n’est jamais, une fois devenu "vivant", littéralement réaliste mais au contraire uniquement allusif : Une sorte de bestiaire hybride, biomorphique, généré par une mythologie personnelle où le plus anonyme des éléments devient objet de réflexion. Où chaque œuvre a conquis sa part de vie.

 

          Et il faut en venir à une bande "à part", où les personnages sont vraiment humanoïdes, vêtus qui de costards à rayures, qui de shorts et pulls à cols roulés… chapeautés ou arborant une épaisse chevelure… aux pieds chaussés immenses ou carrément griffus… expressifs, certains ne cachant même pas leurs intentions mauvaises, puis qu'ils brandissent un pistolet ou (de rage ? ) crispent leurs mains aux doigts crochus : ceux-là seraient-ils destinés à devenir les protagonistes de quelque bande dessinée qui se… dessinerait dans l'esprit d'Eric Blésin ? 

 

          Il faut aussi en venir aux couleurs, car tout ce petit monde est coloré : monochromes et ils sont dans des ocre foncé où seul contraste le blanc des yeux ! Beaucoup de vert, allant du vert prairie, vif, à un vert pâle, un peu "malade" pour ceux de la "bande à part" ! Une touche de bleu, rare. Et puis des violines, des gris clairs presque de la couleur naturelle du bois séché. Des cornes rouges, vertes, polychromes… bref un joyeux méli-mélo paradoxalement très harmonieux ! 

 

Un travail minutieux, en somme, pour lequel Eric Blésin montre qu'il a, avec le bois, trouvé son matériau idéal, grâce auquel il s'est lancé en une véritable ode à la vie ! D'impressionnantes  sculptures empreintes de poésie et d’un sens très personnel de l'évasion.

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.