LES SCULPTURES A L'AIGUILLE D'ISABELLE CELLIER dite ISE

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Broder, c'est s'offrir le luxe du temps

Chaque croix est un instant d'éternité. 

(Une brodeuse anonyme)

 

          Depuis la nuit des temps (puisque le chas d'aiguille, les tendons d'animaux servant de fil remontent au Paléolithique), aucun domaine n'a été soumis à autant d'interpénétrations que la broderie ; aussi bien œuvres de nomades préhistoriques que "broderies" de dames attendant le retour de leur seigneur au Moyen-âge, pour ne rien dire de la Tapisserie de Bayeux ou des magnifiques déguisements annuels du Carnaval de Venise ! 

          Il semble bien qu'Ise soit atteinte d'une telle passion pour la broderie que son œuvre entre dans l'histoire de l'Art textile. En tout cas, cette passion lui permet de concevoir ses propres créatures vêtues de somptueux atours brodés des plus fines incrustations, des plus élégants plumetis à motifs diversifiés. 

          Elégance pour laquelle elle a d'autant plus de mérite que tout provient de ses glanes. Car Ise est avant tout une artiste d'Art-Récup'. Chaque carré de velours, chaque feston, chaque dentelle ou fil d'or a été trouvé, pieusement  mis de côté, attendant le moment où l'imagination de la créatrice l'associera avec tel morceau de brocart, de cotonnade… les uns rigides, les autres mous et fluides, certains transparents, d’autres opaques… Car tel un sculpteur qui a l'œil pour savoir quelle pièce convient à telle autre, elle "connaît" ce qui rendra exactement le résultat qu'elle souhaite ! Et sachant que la multiplicité des points offre autant de possibilités de décoration, elle peut passer du point de Palestrina au point de chaînette ou de bourdon, voire au banal point arrière… Ce qui fait de son travail autant une réalisation plasticienne qu'un travail de couturière ! 

     Ainsi, depuis longtemps, Ise brode, orne, agrémente… parvenant à ce qui semble être la quintessence de sa création. Chaque détail attestant de la prouesse technique et de l’infinie patience indispensables à l’ornementation de surfaces parfois très grandes ; à l’imaginaire que supposent ses dynasties de princesses couronnées d'or et trônant sur un fauteuil orné d'aigrettes ; cette sorte d’entité dont la fraise relevée devient chapeau à larges volants ; ce petit être au visage naïf doté de deux ailes ; ce papillon dont les fleurs tiennent lieu d'ocelles ; ou encore cette sorte d'évêque dont le camail est surbrodé de minuscules carrés à leur tour ornementés, et dont la soutane violette incrustée de fils générant des motifs divers supporte une scène d'élévation, à tout le moins d'offrande ! 

 

          Alors, faut-il appeler “sculptures” les œuvres de cette artiste ? “Sculptures”, si l’on considère leur originalité et l’important travail de mise en forme, visant à donner à chacune des traits si spécifiques, qu’un seul coup d’œil suffise à les lui attribuer, parmi les autres créations voisines.

          Il reste que ces compositions polychromes sont un régal pour les yeux du visiteur, qu’immense est son respect pour le talent et la constance d’une telle création. Car il a très vite conscience que ce travail éminemment personnel lui parle du vécu d'Ise, qu'il permet à la brodeuse de dire, se dire, l'emmener dans son monde féerique dont la rémanence l'accompagnera longtemps après qu'il aura quitté l'exposition.

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.