LES CONSTRUCTIONS D'ERIC VAILLY, NAUTONIER HORS-LES-NORMES
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Depuis l'aube de la création, les hommes ont été tentés de franchir les distances qui les séparaient de l'inconnu, la mer en particulier si farouche depuis que le capitaine Némo l'a affrontée.
Dès lors que des artistes ont compris que leur seul loisir de "voyager" serait de recréer à leur échelle les véhicules susceptibles de les emmener vers des "ailleurs", ils se sont évertués à copier les "vrais," trop grands pour leur réalité et à les adapter au gré de leur imagination : Des drakkars de Vikings fantasmés, des bateaux du Chinois Chen Tsu-Chang sculptés dans des noyaux de canariums sous la dynastie des Qing ; des galions de l'Anglaise Ann Carrington prêts à voguer sur les sept mers ; des barques en granit qui naviguent, et de mille autres… aux épaves de Lionel Tran ; les artistes, toutes fantasmagories claquant au vent, ont "pris la mer" !
Parmi eux, Eric Vailly !
Cet artiste a-t-il réellement voyagé de par le monde ? Ou bien possède-t-il dans ses gênes de lointains ancêtres qui l’emmèneraient depuis des décennies en des endroits de fantaisie ? Ou bien encore sa curiosité, son imagination et son talent l’ont-ils poussé à recréer des moyens bien à lui d'imaginer un ensemble de constructions pour lesquelles il collectionne toutes sortes d’objets arrachés aux rebuts d’autrui : filtres ou tubulures, crânes blanchis par le soleil, coquillages, pierres et bois dont les formes burinées par le temps ont conquis son œil, métaux, vieux pans de véhicules, etc. ? Toujours est-il qu’il est l’auteur, en une très abondante œuvre sculptée, d’un foisonnement de bateaux pour faire rêver ses visiteurs.
En fait, tout commence avec une tôle d’acier. Un matériau plutôt malléable, découpé, déformé, soudé, qui prend peu à peu la forme de coques de bateaux. Mais pas n’importe lesquels : tantôt des bateaux grignotés par le temps et les éléments ; tantôt des paquebots rutilants surmontés de plusieurs ponts sur lesquels ces visiteurs imaginent des voyageurs de luxe en train de se prélasser. Car si, dans un premier temps, Eric Vailly réunit les matériaux qu'il assemble, bricole, ficelle, ligature, soude… à d’autres moments, il a besoin de construire, dessiner, imaginer, réaliser des formes pour rendre son bateau crédible. Mais toujours en gardant l’idée de façonnage un peu "avec les moyens du bord" (sans mauvais jeu de mots). Il cherche et il travaille. De sorte qu'à la fin, la figure de proue est en place ; les cheminées sont dressées ; les hélices sont prêtes à tourner (ou à barboter quand il s'agit de jambes de baigneur ! ) ; les antennes multicolores sont érigées ; les ancres sont levées ; les radars tournent à qui mieux mieux ; et le drapeau flotte fièrement en haut du mât où se trouvent également les hunes qu'il réalise parfois séparément ! Tout cela conçu avec une grande unité, des associations inopinées surgies de l’imaginaire de l’artiste, et de nombreuses années de recherches formelles et de fantasmagories poétiques !
Pourtant, tout n'est pas joyeux dans l'univers maritime de cet artiste : Il pense aussi aux travailleurs de la mer ! Et lorsqu'il réalise un bateau de pêche, il sait à quels aléas sont soumis ces "outils de travail" dans la réalité ! C'est alors que de ses frêles esquifs se tendent des mains de matelots en détresse !
Néanmoins, bateliers de luxe ou nautoniers en perdition, les sculptures d'Eric Vailly sont très "tactiles". En raison de leur pseudo-réalisme, avant même de les toucher, il y a une sorte de jubilation à les voir. Et, immanquablement, il fait sourire le spectateur. Lequel s’attendrit un peu et se dit : "Tiens, à son âge, il fait des choses amusantes…". Sans se douter avec quel sérieux l'artiste a fantasmé ses œuvres !
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2017 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.