LES INOUÏS CURIEUX
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IIIe EDITION MARCHE DU CÔTÉ SAUVAGE
FESTIVAL D'ART BRUT/SINGULIER/OUTSIDER
16* 17* 18 septembre 2022
Vernissage le vendredi 16 septembre à 19h30
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Maison des Carmélites / Espace Bouchardon
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ARTISTES EXPOSANTS : AGATHE YOU Martha ARANGO BONDIEUSERIES & CO Nadine BOURGNE Jean-Christophe BRIDOUX Nancy CARDINAL Christian CHAMPAGNE Fabrice DE PAOLA Federica DE RUVO Etienne DUPÉ ÉOA FONTENCOMBLE Elise GEOFFRION Ghislaine HATÉ Paul HÉRAIL INSOLO Pierrick LASCO Inès LOPEZ-SANCHEZ MATHÉLY Christel LUDOVIC Annie Gabrielle MALLET Eva MIFSUD Stéphane MONTMAILLER Eric MUGNIER Elodie NICOLAS Corinne PIRAULT Sébastien RUSSO Elisa SABBAN Dominique SAUVAGE SEBALO Kokou SENAVO Michel SMOLEC Claire TEMPORAL Sandrine VACHON-THEBAUT
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D'abord, ils ressemblent tous à des animaux ! Des insectes, le plus souvent : des punaises (!!!) au large dos posé sur leurs pattes fines ; des vrillettes à la tête encapuchonnée et à la taille de… guêpe. Mais aussi à des poissons, des zancles bien ventrus ! Voire un chat, sorte d'arche de Noé courant sur ses pattes poissonneuses, vers quel refuge ?
S'ils sont insectes, ils sont vus de dos ! S'ils sont poissons ou chats, ils vont tous vers la gauche montrant ce côté bien étalé, comme si Martha Arango avait besoin du maximum de place pour manifester ce qu'elle veut exprimer !!
Chacun sait que tout ce qui vit se transforme ! Jouant les transformatrices, l'artiste devient tatoueuse, auteure d'un paysagisme féérique. Mais, chose surprenante, ce paysagisme n'est que de façade ! Ces bêtes deviennent d'étranges supports de vies humaines : personnages de plain-pied côtoyant des animalcules ou dissimulant de petits êtres bizarres ; toujours implantées dans des flores aux couleurs vives qui, d'ailleurs parfois deviennent prédominantes par rapport à ces créatures vivantes, couvrant de leurs dentelles arachnéennes le thorax et l'abdomen de l'insecte ; ayant parfois bien du mal à s'affirmer au milieu d'oiseaux exotiques ou sortes de bêtes indéfinissables ! Ou, enfin, disparaissant sous de multiples humains cramponnés les uns aux autres !
Parfois, comme pour montrer qu'elle connaît parfaitement l'anatomie de ses bestioles, Martha Arango les retourne carrément, dévoilant, entre leurs ailes noires dentelées et éployées, leur abdomen couvert de fleurs, oiseaux… Mais c'est alors le visage qui crée la surprise : tantôt à trois rangées de paires d'yeux, au-dessus d'un menton piqueté de fins entrelacs noirs et blancs, au milieu d'une chevelure en étoiles et fleurs ; tantôt couvert par un petit personnage qui remplace tous les éléments habituels : tantôt, bouleversé peut-être par quelque cataclysme, car les yeux sont par-ci ; la bouche par-là, en un salmigondis indéchiffrable !
Toutes ces petites œuvres sont créées en céramiques, objets de récupération, peintes selon des techniques traditionnelles, occidentales ou apprises sous de lointains horizons ; couvertes parfois de textiles divers, perles, etc. Ce qui prouve la faculté de l'artiste à s'adapter à toutes sortes de techniques.
Face à cet étrange bestiaire, faut-il, avec un peu d'humour, conclure que Martha Arango est atteinte de thériophilie, ce mot savant qui se définit par l'amour des animaux ? Un tel choix obsessionnel témoigne en tout cas qu'elle est animée d'un sentiment double à l'égard de ceux dont l'esthétique la hante : Elle pratique à sa façon l'hybridation en les transformant en socles de vies humaines, florales, minérales bien sûr ; d'où, comme l'affirmait Montaigne, un rejet et une fascination, une solidarité avec l'animal et la hantise d'une confusion avec le règne animal. D'autre part la certitude de la supériorité de l'espèce humaine : pour les Franciscains qui ont le sens du sacré, l'homme a la parole alors que l'animal n'a que le cri, sauf pour les poissons (mais sait-on jamais ?!) et les insectes qui n'ont que le bourdonnement, et encore pas toujours !! Les choix de Martha Arango, férue d'animaux pour la plupart quasi-silencieux, est-il aussi innocent qu'il y paraît !! Cachés sous son talent créatif, qui sait ?
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.
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Combien d'artistes, de Millet à Dali, se sont attaqués aux symboles religieux, soit en toute "bonne" FOI, soit pour expurger des mal-être, des haines, etc. Sans parler des parodies de croyances consistant, pour le commun des mortels, à acheter et adorer les saint-sulpiceries qui sévissent aux abords de tous les lieux de culte(s) et qui, finalement, fabriqués sans vergogne en séries, confinent au paganisme !?
Il y eut, dans un passé récent, Cecilia Gimenez restaurant si mal le Christ que chacun se demandait si elle ne l'avait pas fait exprès, parce qu'arriver à ce degré de vulgarité, comme dit la vindicte publique, "il faut le faire !". Il y eut, plus loin de quelques années dans le temps, Marie Martinez qui était l'auteure "raisonnée et déraisonnable" d'une figuration pseudo-mystique avec ses christs, ses curés, et autres bondieuseries sur lesquels elle avait effectué des ajouts qui détournaient ces objets de culte.
Dans le même esprit, il y a eu, au festival des Inouïs curieux une artiste qui pousse l'humour noir jusqu'à cacher son nom sous celui de ses créations, et s'appeler "Bondieuseries and Co" (le "And Co" laissant supposer qu'elle est sûre de ne pas être seule dans l'appréciation de ce détournement d'objets cultuels appartenant au quotidien !). Comme la créatrice précédente qui, elle se prénommait Marie, s'inspirant de l'Art populaire, y joignant la récup’ de ses glanes, tout ce qui est kitsch, tout ce qui ajoute un petit rien à l'ensemble et peut renforcer l'illusion, elle est parvenue à une création obsessionnelle qui oblige le visiteur à mettre une majuscule lorsqu'il parle d'elle ; et s'abstenir quand il parle de ses… bondieuseries !
Anne-Laure Zwilling, sociologue des religions, affirme : "La Vierge et le crucifix peuvent être transformés et avoir un autre usage, mais ils gardent malgré tout une certaine aura". Il semble bien, en effet, côté aura, que le sujet favori de Bondieuseries and Co soit la Vierge qu'elle fait cohabiter sur ses cimaises, peinte en jaune, vert, bleu, blanc parfois parce qu'il faut bien préserver les tabous… Et Jésus : s'ensuit alors une litanie de christs qu'elle soumet à de multiples épreuves : violet, orange, etc. poussant la provocation jusqu'à les mettre en croix, de belles croix peintes, couvertes de fleurs, minuscules personnages de plastique, cœurs et inscriptions, véritables assemblages à la Simone Le Carré Galimard !! Et puis, comme il se doit dans la liturgie, couronnant le tout, le Pape, sous une cloche de verre maritale !
Comment intervient-elle pour détourner ces objets de "culte" ? Les formes originelles restent intouchées, les personnages usinés ou trouvés peut-être aux abords des cimetières, représentant très fidèlement ce que les rites religieux ont transmis depuis des siècles, à l'œil et à l'esprit du croyant ! Elle pousse même son implication jusqu'à présenter christs et vierges dans des boîtes rectangulaires, ovales, etc. qu'elle a tapissées, ornées de fleurs faites maison ou récupérées, et dont elle a rebrodé les bords avec beaucoup de talent. Une façon très personnelle de paraître honorer ses "sujets", mais en fait de les priver complètement de leur sens premier. En somme, se saisir de références religieuses très connues dans l’art, en évacuer la dimension sacrée et ne garder que les corps appréhendés dans les traditions de la sculpture. Néanmoins, pour le visiteur, la reconnaissance des thèmes est immédiate ; la complexité de la conception évidente. L'ensemble le plonge rapidement dans un univers énigmatique et l’incite à réagir subjectivement au parti-pris de cette artiste.
Tenant compte du fait que la France est depuis la nuit des temps plongée dans la religion chrétienne, qu'est-ce qui peut amener une sculptrice comme Bondieuseries and Co à dévier de l’imagerie catholique et célébrer ses bondieuseries à contre-emploi ? S'agit-il socialement pour elle d'être en rupture radicale avec toute la tradition occidentale, d'exprimer par dérision, son rejet de ces symboles religieux ? S'agit-il plus intimement de dénoncer le silence lourd d'interrogations dont son enfance aurait été jalonnée et que, malgré ses efforts, elle porterait sans doute pour toujours tapies au fond de son cœur ? Sous des apparences austères et un soin infini, ne lui faut-il pas dire l’essentiel avec ses créations ambivalentes, figées et néanmoins vivantes. En veillant à ne pas étaler d'émotion. N'affirmer aucun soupçon de force. Ne pas consciemment ajouter une touche de mystère. Tout cela carrément exposé, sans acrimonie, sans agressivité, avec tout de même un doigt de provocation ! Oser, finalement, se libérer en provoquant les adeptes de la religion, et faisant jubiler les "mal-pensants" ? Qui sait ?
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN OCTOBRE 2022 APRES LE FESTIVAL DES INOUÏS CURIEUX DE CHAUMONT
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LES JUNGLES CAMPAGNARDES DE NADINE BOURGNE
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Qu'est-ce qui peut faire penser que les personnages de Nadine Bourgne vivent à la campagne, alors qu'aucun élément géographique, historique ou même sociétal ne permet de les situer ? Simplement, la présence épisodique ici d'un lapin, là d'un âne, ailleurs d'un mouton, d'un cochon, parfois d'une petite église posée à l'avant du groupe… Est-ce suffisant pour une telle affirmation ? A voir !
Il s'agit en tout cas de jungles, une multitude de "foules" d'individus debout, tassés les uns contre les autres. Dramaturgie universelle, personnages de partout et de toujours, puisque, comme il est dit plus haut, aucune indication ne vient préciser en quel lieu, en quel temps, en quelle société… ils en sont venus à cette posture ; à cette raideur ; à ces traits des visages aussi rudimentaires ; à cet unique/multiple regard à peine surpris ; bizarrement ne s'entre-regardant jamais, mais fixant tous un même point situé à l’extérieur du tableau : le spectateur en off, sans doute, qui n’est pas des leurs et, perplexe, se demande s'ils sont privés d'espace vital ; si leurs visages sous leur apparente disparité, semblent finalement mornes ou indifférents ? De là, naît pour lui l'impression immédiate d'un huis clos ; d'une latence peut-être, mais en prévision de quel événement ?
Pas un événement déplaisant, en tout cas, parce que, sur les fonds non signifiants et monochromes, ce qui frappe de prime abord, c'est la grande harmonie des chromatismes choisis : des couleurs sucrées, des roses purs, des roses purpurins, des roses violacés, des roses piquetés d'infimes fleurs blanches, toutes les nuances de roses sur lesquelles s'enchevêtrent complémentarités et oppositions de taches bleues, jaunes ou blanches… le tout s’organisant au moyen de très fins surlignements noirs séparateurs, découpant les personnages à gestes répétitifs de la main.
Décidément, de quel monde s'agit-il ? des êtres complètement intemporels assurément. Mais que font-ils tous piqués là d'œuvre en œuvre, dans l'esprit de leur auteure jonglant entre fiction, onirisme et réalisme ? Regardent-ils finalement un spectacle ? Sont-ils à la "manif" ? Silencieuse donc ! Sont-ils en résilience ? Mais contre qui ? Contre quoi ? Toutes ces questions sont sans réponse, sauf à imaginer que l'artiste a voulu témoigner de l'air du temps, tellement morose ? Mais ce sentiment est purement subjectif !
La seule certitude est que Nadine Bourgne peint, tout simplement, dans la solitude de son atelier, des œuvres faisant dialoguer mille références éclectiques qui disent autant d'elle que de son environnement. Libre, elle n'a aucun mode d'emploi. Aucun a priori. Ainsi est-elle l’auteure prolifique d’un travail obsessionnel, dont la répétitivité et l’immutabilité, la charge psychologique sont d’emblée perceptibles ! Cette œuvre, conçue avec une si grande spontanéité, la libère-telle d'un mal-être qui semble exsuder de la récurrence de ces anonymats qui, pour elle, n'en sont sans doute pas ? Elle seul connaît la réponse ! Du moins la cherche-t-elle !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN OCTOBRE 2022 APRES LE FESTIVAL DES INOUÏS CURIEUX DE CHAUMONT
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JEAN-CHRISTOPHE BRIDOUX :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "TERRE ET FER, LES CREATIONS DE JEAN-CHRISTOPHE BRIDOUX" : http://janinerivais.jimdo.com/ FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS
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NANCY CARDINAL :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
" BEAUTE ET ENLAIDISSEMENT DES POUPEES DE NANCY CARDINAL" : FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2017. Pages des Nouveaux. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS "HUMANIMALISME ET FANTOMES CHEZ NANCY CARDINAL" : http://jeaninerivais.jimdo.com/FESTIVALS, VIIe BIENNALE des Z'ARTS SINGULIERS ET INNOVANTS DE SAINT-ETIENNE 2020
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L’art textile… En général, tout ce qui touche au textile est plutôt considéré comme de l'artisanat ; sauf que dans les années récentes, multiples sont les créations toutes plus magnifiques, originales et singulières les unes que les autres ! Et puis, il est traditionnellement l'apanage des femmes qui de toute éternité ont travaillé les textiles, broderies, tricots ou dentelles. Aussi, est-ce un peu surprenant de voir un homme, paisiblement assis, un crochet ou des aiguilles à la main, les jambes disparaissant sous un amas de plages tricotées, entouré de tout un monde polychrome que sont ses créations, le plus souvent humanoïdes. Tel est le cas de Fabrice de Paola.
Pour lui, tricoter, "bâtir" sur un socle, un homme ou une poupée, c’est créer une matière, concrétiser son "histoire" au milieu de l’inconnu. D’où l’exigence d’une extrême concentration sur lui-même, une intimité, une résonance entre la matière et sa vie, des moments de magie où tout est cohérence. Tricoter est pour lui, un moment de recouvrance, de reconnaissance personnelle : les mains créatrices, les pieds au sol, et la tête dans les nuages, en somme.
Par ailleurs, consciemment ou non, ce geste est chaque fois pour ce tricoteur/crocheteur générateur de la plénitude du corps, vers un univers cotonneux intime, créateur de sensations tactiles autant que visuelles. Et pour Fabrice de Paola, s'il est devenu une occupation à part entière, il reste récréatif ! L'avantage pour lui, des travaux d'aiguilles ou de crochet est qu'ils peuvent être laissés ou repris en fonction des impératifs de la vie quotidienne sans que leur réalisation en souffre. Une fois que les conditions de l'exécution d'une nouvelle composition ont été définies, l’ouvrage suit un cours régulier qui ne lui demande pas de réflexion, d’initiatives particulières. Et puis, à en croire Marie-Rose Lortet qui, depuis des décennies conjugue parmi les experts, broderie et tricot, "l'avantage de cette création en 3D, c'est la lenteur : la pensée et l'imagination ont le temps de se former, de voyager, de créer".
Tricoter, crocheter, faire se marier les couleurs de laines, travailler sur des biais qui allongent la perspective, modifier les points du tricot de façon à avoir des plages très plates, d'autres boursouflées, d'autres carrément onduleuses… est devenu pour Fabrice de Paola un style d'Art contemporain qu'il pratique avec le plus grand plaisir, et la plus grande originalité.
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
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Après des études artistiques en Italie son pays d'origine, Federica de Ruvo a peaufiné dans des écoles françaises son savoir-faire et son originalité. Un parcours de possibilités qui l'ont amenée à se passionner d'abord pour la photographie, puis la sculpture et s'attacher définitivement au dessin et la peinture. Figuratifs exclusivement. Comme en un besoin de traduire ses angoisses, ses désirs et ses déceptions, tout ce qui lui permettait de mettre en scène ses émotions les plus fortes et les plus variées. Subséquemment, créations narratives, exprimées tantôt sous forme de peintures, tantôt de sculptures.
Narratives : pourquoi alors s'étonner de son engouement pour les poteries d'argile des femmes sud-américaines, finement modelées, au visage bien ciselé avec des yeux vivants et des couleurs attractives, racontant leur quotidien ? Toutes caractéristiques qui se retrouvent diversement dans le "dit" de ses œuvres.
En effet, cette influence se retrouve, évidente, dans ses peintures, construites sur un unique modèle : Le fond, par lequel elle commence apparemment et pour lequel le visiteur l'imagine le nez collé sur sa toile, passant un long moment à l'orner : le piqueter d’infimes pointillés, l’agrémenter de myriades de formes aléatoires minuscules, le guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses, l’incruster, le carreler... la moitié supérieure conçue d'une même unité, la moitié du bas longuement brodée, le tout dans des rouges assombris, des jaunes pâlis, des bleus ombrés. Quelques déviations perdues dans les intrications des fonds assurent des contrastes, instaurent des équilibres, introduisent la psychologie, engendrent la “vie” des personnages de Federica de Ruvo…
Car voici le 'lieu" prêt à accueillir la femme, toujours construite sur le même modèle : une taille de guêpe supporte la jupe en éventail brodée de fines bandes répétitives. Le cou est enfoui dans une sorte de foulard monochrome à six branches symétriques raides, qui fait étrangement penser à un crabe aux pattes écartées ! Puis la tête, aux lourdes chevelures coiffées en chignons ou disparaissant sous des sortes de turbans brodés. Et le regard s'attarde alors sur le visage, sur les bouches en train de chanter ? crier ? Sûrement pas chanter, à en juger par les yeux féroces, en colère, dardés vers le visiteur en off, comme si celui-ci était un intrus. Dans la foulée, il est à noter qu'aucune de ces femmes n'a de jambes ni de bras ! Pourquoi l'artiste les prive-t-elle ainsi de membres ? Est-ce pour les empêcher d'aller "ailleurs" ? Afin d'exprimer l'impossibilité de chacune à serrer quelqu'un sur son cœur ? La plupart ne possèdent aucun bijou ; rien qui suggérerait une soif de vivre, une légèreté, un soupçon de frivolité : elles sont obstinément crispées "sur" leur attitude solidaire, leur résistance à l'inconnu qui leur fait face… générant ainsi un monde sans joie, un peu angoissant par sa répétitivité.
D'autant que pour bien confirmer l'idée d'enfermement, Federica de Ruvo entoure chaque "portrait" d'un cadre peint, qui enferme complètement la scène, créant un tableau dans le tableau, accentuant l'idée de claustration ! Et, pour faire bonne mesure, s'affirmer pleinement par rapport à ses créatures "empêchées", elle ajoute en gros caractères au bas des jupes, son nom complet, tolérant parfois un prénom pour la femme, mais plus petit, un peu de travers, comme si elle n'avait pas assez de place pour l'écrire avec son propre nom !
Comment alors relier aux peintures les sculptures de cette artiste ; ces dernières donnant au premier regard, le sentiment de n'être que décoratives, recherche de pure esthétique ? Ces œuvres, petites en général, apparaissent comme des broderies de terre, couvertes de fleurs, coquillages, etc. Mais très vite, le visiteur s'aperçoit qu'entre ces éléments ornementaux "vivent" des personnages : petits démons chevauchant les embouchures d'un vase ; sorte de Bacchus chevelu, bras repliés, étalant ses seins proéminents sur le rebondi d'une amphore ; danseuse indienne tendant à l'avant ses mains chargées de bijoux ; minuscules gnomes dardant leurs yeux étonnés ; lignes concentriques … Tout cela s'effleurant, se recouvrant, se chevauchant, sans que s'affirme le plus petit espace libre. Au point que naît progressivement, une sensation d'étouffement ! L'impression que Federica de Ruvo, comme la nature, a horreur du vide et emploie son talent et son imaginaire à trouver les motifs qui lui permettent de le combler !
Ainsi, peintures ou sculptures, cette artiste est l'auteure d'une création protéiforme, marquée par une recherche de lien entre l'art et la vie. Ce visiteur s'interroge alors : une telle création est-elle un plaisir pour son auteure ? Est-elle une souffrance ? Toutes ces cohabitations d'éléments répétitifs ne la troublent-elles pas ? Et si, malgré tout elle persiste et semble heureuse, n'est-ce pas parce que c'est sa façon bien à elle d'évacuer son mal-être ? Cette infinie patience dont elle fait preuve n'est-elle pas le moyen qu'elle a trouvé pour conjurer ses angoisses ? S'agit-il d'une histoire sans fin, dans laquelle elle serait condamnée à combler encore et encore l'espace de départ ? Autant d'interrogations sans réponse définitive ! Au fond, qu'importe : Federica de Ruvo est une artiste de grand talent et regarder son œuvre –sans savoir comment se termine "sa" guerre contre son malaise existentiel-, est, paradoxalement vu la gravité de son propos, un plaisir pour les yeux et pour le cœur !
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.
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L’utilisation du métal en sculpture remonte à la Préhistoire. Les diverses qualités qui font d’un métal un matériau de choix pour la sculpture sont une grande dureté et une cohésion importante ; la malléabilité, ce qui permet de le travailler par martelage ; sa bonne résistance aux intempéries et à la corrosion atmosphérique ; son aspect brillant, massif ou au contraire sa légèreté, la capacité d’être fondu, coulé dans un moule, ou bien soudé, brasé.
Ce sont ces qualités qu'utilise Etienne Dupé, autodidacte, qui découpe ses plaques métalliques récupérées dans des lieux de rebut, les lamine jusqu'à obtenir une plaque brillante, gris très clair comme l'argent ; jaune comme l'or !
Ainsi, fait-il revivre toutes sortes de métaux, qui vont lui permettre de donner vie à des personnages humanoïdes, des femmes souvent. La bande métallique s'apprête à devenir, sous les mains d'Etienne Dupé une tête, un corps… Tantôt elle s'enroule en jolies arcatures à claire-voie : tantôt la plaque devient un buste d'une fidélité stylistique remarquable ; tantôt elle est découpée "en creux" et ce sera l'additif qui tiendra la place principale.
Quel "additif" ? C'est qu'Etienne Dupé ne se contente pas de ce premier travail. Tel un personnage qui rêverait de son double, chacune de ses œuvres comprend deux parties indissociables : à l'arrière se trouve une plaque en bois, peut-être, en polystyrène, plastique, etc. qui elle aussi a forme humaine. Et qui "vit" en creux lorsque le métal est en plein ; et en plein lorsque le métal est en creux ! Parfois, les détails sont sophistiqués, un visage harmonieux apparaît : mais d'autres fois, ils sont traités de façon très rudimentaire ; au gré des humeurs de l'artiste sans doute ?
Pourtant, Etienne Dupé a encore une autre corde à son arc : ses sculptures travaillées en aplats deviennent oeuvres murales. Le principe du découpage reste le même, mais derrière un grillage recouvrant tout le support, sont peintes parfois des montagnes, parfois une autre série d'individus, d'autres fois, le fond devient non signifiant, travaillé alors dans de belles harmonies colorées. Et devant le grillage se succèdent des têtes, des mains cousues de fils de cuivre, de petits personnages aux postures résolues, jambes et bras écartés. Le tout conçu sur des ruptures d'échelles, des mélanges de points de vue, pour accentuer le côté narratif de ces illustrations irréalistes de la vie. Comme s'il s'agissait, pour Etienne Dupé de styliser ses " vivants ", mettre en images un monde minimal, supprimer résolument toute prolifération pour dire l'essentiel, assembler ses saynètes pour recréer une nouvelle réalité.
Des sculptures, donc, très expressives. Un travail de lignes, de formes, de compositions entraînant tout un jeu entre le visiteur et l'artiste. Un "jeu sculptural" : En définitive, un petit monde stylisé, raide et solide ou souple et folâtre, qui constitue une création vivante, tonique et généreuse, épisodique et bon enfant et atteste d'une vraie présence et originalité.
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.
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FONTENCOMBLES :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :"FONTENCOMBLE, EXPLORATRICE D'ART" : http;//jeaninerivais.jimdo.com/ FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS "FONTENCOMBLE INTRA IPSUM CORPUS" : FESTIVALS, VIIe BIENNALE des Z'ARTS SINGULIERS ET INNOVANTS DE SAINT-ETIENNE 2020
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Pour Elise Geoffrion, céramiste, les vases/bouteilles sont prépondérants. Mais elle est aussi l'auteure de créatures oniriques, d'autres à peine réalistes, dont la répétitivité génère une sorte de poésie fantasmatique et naïve ; une unicité dans le principe-même des créations, et les teintes ocrées qui les illustrent.
Peut-on vraiment appeler "vases" ces sortes de récipients réalisés en grès, terminés à l'extrémité du col plus ou moins long, par un visage humanoïde !? D'ailleurs, il semble que le visage surtout intéresse l'artiste, car nombre de ses créations sont surmontées de cette tête en triangle ou ovale ; au nez au profil grec ; aux lèvres petites et lippues et aux oreilles également petites ; aux pommettes lisses bien en relief, l'arcature des sourcils épais très prononcée reprenant le contour des yeux plutôt petits, légèrement bridés. Ce long cou est parfois décoré d'un beau col en dentelle blanche, d'un col roulé… Si chevelure il y a, elle s'agite en désordre ou disparaît sous une chéchia ou un bonnet pointu…
Entourant ces éléments, se côtoient des individus étonnamment en pied car la plupart sont dépourvus de membres : des têtes de gargouilles ; et, lorsqu'Elise Geoffrion part vraiment dans son monde onirique, des sortes de branchages épisodiquement bouclés, au bout desquels se retrouvent les incontournables têtes ; des bateaux battant pavillons ronds, dont les étranges équipages sont composés d'ethnies très différentes ; etc.
Pourtant, le visiteur placé au milieu de toutes ces œuvres, est surpris de ne pas voir, ou si peu, ces éléments de grès ! C'est qu'à un moment, la céramiste a fait place à la collagiste, et que toutes ces poteries disparaissent sous des couches de papier mâché. Mais pas une banale couche de papier, une sorte de moulage plutôt (d'ailleurs, à l'origine, papier mâché se disait papier moulé) ; un agglomérat de papiers encollés, de bois, de mousse végétale, feuilles de sumacs, parfois langues de bœuf pour d'épais reliefs, quand elle en récupère dans les bois ; etc. !
En fait, elle enferme sa poterie dans ce magma, crée des turbulences ou de sages espaces à la surface ; ajoute fines mouchetures, piquetages d'infimes pointillés ; ménage des aplats aux abords des têtes ; génère trous et fissures… ; tout cela dans des ocres plus ou moins foncés : Cet aspect quasi-ludique est d'autant plus inattendu, et d'autant mieux dissimulé au premier regard, que les motifs humanoïdes "rêvés" par Elise Geoffrion sont pris dans cette gangue qui va désormais stagner autour du grès… Gangue que l'artiste continue de peaufiner, jusqu'à ce que, sur le "corps" de cette composition ne reste pas le plus minuscule espace… Générant une sorte de peau, pétrie par cette main minutieuse ; dont chaque trait, chaque point palpite de ce qu'elle veut montrer ou tente de cacher. D'autant que l'espace ménagé autour de ces sortes d'architectures visionnaires, crée, telle la marge du poète, une maîtrise spatiale qui, par contraste, donne au motif central son expression la plus pure.
Subséquemment, Elise Geoffrion, encore jeune, se trouve-t-elle à un palier de sa quête sculpturale ? Un moment où elle chercherait à trouver un équilibre entre les éléments utilisés dans chaque phase de sa création, entre le dit de ses œuvres et la forme, entre son imagination et le travail de ses mains ? A-t-elle, dans ce périple mental où elle semble récuser toute démarche intellectuelle, si bien enchevêtré les civilisations des rêveries personnelles d'où elle était partie, trouvé une voie qui puisse la mener loin et longtemps ; ou se résoudra-t-elle à montrer les deux aspects de sa création ? A suivre !
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.
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Marionnettiste à la retraite, Ghislaine Haté n'a rien perdu de ses talents de manipulatrice. Les "Balèzes" qu'elle présentait à Chaumont en sont le témoignage. Petits acrobates d'une quarantaine de centimètres, réalisés en bois… Mais non, pas en bois, le visiteur en aurait juré pourtant ! En carton ! Découpés si finement que la confusion est inévitable !
Tous sont par deux, joliment peints dans des postures acrobatiques impressionnantes : ici, un pied solidement fixé au sol, une femme, poitrine très en relief, chapeau d'Indien sur la tête, retient sa comparse cheveux flottants, vêtue d'un ensemble blanc à pois orange, jupette jaune, bouche ouverte sur un cri, cambrée au maximum en une virevolte parfaite qui ébahit le public ; ailleurs, une ballerine, chaussons de danse et tutu rouges tient par le bout du pied deux clowns tête-bêche de part et d'autre d'elle, saluant le public ; ailleurs encore, couché sur le ventre, bras et jambes en équilibre, un costaud fait faire le grand écart à une voltigeuse bras en l'air… Parfois, Ghislaine Haté devient coquine, lorsqu'une gymnaste toute en rouge, bonnet, petit caraco rayé et short ultra court, portée d'un bras par un fort des Halles, marcel blanc, bermuda rayé et ballerines noires aux pieds, lèche de sa langue bien rouge elle aussi, le long nez de son porteur au-dessus de sa moustache à la Dali, l'air satisfait des deux personnages assurant tout un chacun de leur totale complicité.
Chaque couple a donc sa personnalité, son style, réalise son numéro original en somme !
Mais le clou de cette exposition, c'est quand l'artiste intervient sur tous ces acolytes, tire ici, pousse là, rabat ailleurs, et voilà leurs rapports gymniques complètement modifiés, au ravissement de tout visiteur.
Ghislaine Haté a dû passer un temps infini, à réaliser avec tant de talent ses couples aux positions interchangeables ! Mais ses œuvres ramènent tout adulte au temps de son enfance où lui aussi, découpait des figurines (sur du carton certes, mais moins épais !) et le ravissent aujourd'hui par la nostalgie, la jubilation, et la poésie qu'elles génèrent.
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
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PAUL HERAIL :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES ASSEMBLAGES DE PAUL HERAIL" : http://jeaninerivais.jimdo.com/FESTIVAL SINGULIEREMENT VOTRE, MONTPELLIER 2015. Page des Nouveaux
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INSOLO :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
" LES MORTS-VIVANTS OU LES VIVANTS-MORTS D'INSOLO, peintre et sculpteur" : http://jeaninerivais.jimdo.com/FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2016. Page des Nouveaux
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PIERRICK LASCO :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
"LES PERSONNAGES METALLIQUES DE PIERRICK COLAS DIT LASCO" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ FESTIVALS ART DANS LES COURS ET JARDINS 2021
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INES LOPEZ-SANCHEZ MATHÉLY :
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : FESTIVALS : BANNE 2013. ET AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ "LA MEMOIRE DES ETRES" : ART SINGULIER
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CHRISTEL LUDOVIC, L'ARTISTE AUX MILLE VISAGES
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Créer un portrait, quelle que soit la technique employée, "a pour but", dit l'analyste, "de permettre au lecteur de se forger une idée précise du personnage, de le visualiser en le rendant vraisemblable. Fonction narrative ou explicative : Elle sert à mettre en valeur un personnage à un moment précis de son histoire".
Christelle Ludovic est céramiste et spécialiste du portrait. Or, elle a écrit un jour quelque part qu'elle photographiait beaucoup ses enfants et se servait de ces photos pour réaliser ses portraits dans la glaise ! Voilà donc une maman, artiste autodidacte, créatrice un peu obsessionnelle, en quête des expressions enfantines qui lui sont chères.
Et, à l'évidence, elle a instinctivement saisi toutes les variations les plus profondes et les plus intimes de chacun de ses enfants, ou de l'un qui serait une fillette protéiforme, changeant au gré des moments ! Ici, l'une, bouche mi-ouverte, son petit visage bien encadré par ses cheveux châtain, ses yeux fixant un point devant elle, semble étonnée. Là, ses cheveux frisés libérés, sa bouche aux commissures légèrement baissées, elle semble agacée. Ailleurs, telle une petite coquette, elle a mis des rouleaux pour friser ses cheveux ; un petit foulard les recouvrant à demi. Sa bouche pincée, elle dresse orgueilleusement la tête, l'air de dire : "regardez comme je suis belle !". Ailleurs encore, un nœud en forme de papillon retenant en arrière ses longs cheveux, ses oreilles largement décollées, sa menotte tenant fermement son minuscule réticule, son petit visage fermé exprime toute la misère du monde ! Ailleurs enfin, quelque événement en off a dû la surprendre, car elle se retrouve bouche bée, et ses bons gros yeux écarquillés ont l’air tellement gentils !
Il est à noter que l'artiste ne lisse jamais ces visages, elle leur conserve leur granité, particulièrement visible sur celui de l'enfant qui porte sur la tête une coiffe armée de pattes de poulet griffues et dont le visage est défiguré par une sorte d'excroissance moussue, le petit corps nu, perforé par quelque gangrène, les bras atrophiés et les jambes absentes !
Ayant ainsi "prospecté" parmi les sautes d'humeur de son enfant, Christel Ludovic se préoccupe-t-elle de son corps ? Il est difficile de répondre définitivement, même s'il est bien présent, même si ses petites jambes pendent ou se croisent ; et même, si deux d'entre elles sont chaussées de bons gros souliers solides, soigneusement lacés ! C'est qu'en effet, pour chaque sculpture, le corps est caché sous des vêtements un peu informes, ornés de plumetis, pouvant même disparaître complètement dessous !
Parfois, la tête de l'une est entourée de pinces de crabes et autres têtes animales bizarres ; l'autre tient sa poupée dans ses bras, une autre encore caresse son collier doré… Mais toutes ont une main qui sort de ces oripeaux. Et ce qui est étrange, c'est que cette main est disproportionnée avec la taille des "enfants", à tel point qu'elle pourrait même être une main d'adulte !? Cette façon d'habiller chacune de ses œuvres de vêtements sans âge, sans connotation sociale, historique, géographique… rend enfants et habits de tous temps et de jamais, parfaitement atemporels, en somme.
Ainsi, par les jaillissements créatifs particulièrement aboutis et homogènes de ces œuvres à la fois ludiques et graves, ce travail répétitif mais très codifié, alliant déclinaison de formes et de signes colorés, Christel Ludovic enfouit-elle ou au contraire développe-t-elle ses fantasmes les plus intimes ? De ses visages multiples et toujours le même à ses présences jetées comme des escales, choisit-elle son "dit" au gré d'évolutions, de rythmes qui lui conviennent, de proximités et d'intimités, d'enchaînements profus qui la font rêver ? Subséquemment, conscient de cette marche de la créatrice vers elle-même, comment le spectateur ne percevrait-il pas, sous la douceur et l'harmonie de ce chapelet d'individualités infantiles qui les conjuguent, le questionnement personnel incessant de cette artiste ?
Et aussi, pourquoi le rapport au portrait -de son enfant qui plus est- fascine-t-il tellement Christel Ludovic ? Peut-être parce qu'en le renvoyant à l'"autre", elle le renvoie à elle-même ? Parce qu'elle renferme, en un petit visage ou un corps deviné plutôt que vu, réminiscences et images d'un passé plus ou moins difficile ? Parce qu'elle s'oblige à se confronter à tout ce qui est intime et dormant en elle ? Qui sait ?
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
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Mais pourquoi les personnages d'Annie-Gabrielle Mallet sont-ils toujours si gravement handicapés ? Et comment fait-elle pour que, malgré tout, le visiteur empli d'empathie les trouve si belles ? Réponses simples : le talent ! La volonté de briser des tabous en allant au bout de sa sincérité, son intégrité. Le courage de ne pas se laisser influencer par les mauvais coucheurs qui, indifférents aux conflits qu'elle peut livrer en elle-même, ce qu'elle peut désagréablement recevoir, ressentir, trouveraient qu'elle exagère !!
Mais un artiste sincère exagère-t-il jamais ?
Il fut un temps où, travaillant exclusivement sur les femmes, sur le corps féminin, les problèmes spécifiques nés de la psychologie féminine, ses fantasmes, elle pouvait leur mettre les tripes au soleil, les montrer en train d'accoucher, faire preuve d'humour en montrant la Vierge enceinte et se demandant si elle n'était pas très embêtée de se trouver dans une telle situation ?
Aujourd'hui, son œuvre a changé. Et si notre visiteur se dit qu'intuitivement, il perçoit ce personnage ou cet autre comme une femme, celui-là comme un homme, il n'en jurerait pas ! Il n'en vient pourtant pas à penser que les individus créés par Annie-Gabrielle Mallet sont asexués ? Peut-être se dira-t-il que "celle" avec ses quatre mains couvertes de gants brodés, affichant carrément ses tripes par la béance de son ventre, a une jolie tête au bout de son long cou délicat, qu'elle a une chevelure bien lissée autour de son visage, et qu'à part ses yeux noirs largement cernés de noir, son front bas et son double menton, elle est une femme ! Mais alors, que viennent faire, partant du haut de son ventre, ces deux têtes animales, des serpents peut-être, et ne seraient-ce pas leurs corps qui sont entrelacés dans son ventre, plutôt que ses intestins ?
Cette fois, il est sûr d'en avoir trouvé une ! Les deux bras tendus et les doigts écartés, suggérant qu'elle est en prière ; mais ses yeux clos, son visage introverti sous son crâne chauve, suggèrent au contraire le calme. Pourtant, son corps accroupi très bas, posé sur le bout de ses pieds à la manière des danseuses indiennes, n'est-elle pas en train d'accoucher dans cette posture qu'adoptent de nombreuses femmes de par le monde ? Cette fois, il pourrait bien avoir raison !
Mais toutes les autres créatures, mises côte-à-côte, qui sont-elles ? L'une a plusieurs jambes ; une autre a une sorte de socle qui représente une tête ; une autre encore, tronçonnée sous l'estomac, s'appuie sur ses deux bras croisés. Toutes ont en commun le bas du corps (mais certaines n'ont pas le haut) formé de boudins enroulés jusqu'à faire tantôt une jupe, tantôt un corsage ; tantôt encore restant à l'état de socle. Les unes n'ont pas de bras, d'autres n'ont que des mains collées au buste ; les cous sont -presque- tous démesurés. Les yeux sont tantôt ouverts, tantôt clos. Et les têtes ? C'est là que l'artiste s'en donne à cœur joie ! L'une l'a presque réaliste, mais surallongée, et les circonvolutions de son cerveau lui servent de coiffure ! Même descriptif pour une autre, mais une anse est son (unique) oreille ! Tiens, voilà que ces deux-là ont doubles-têtes, mais de l'une sort, au bout du cou, un enroulement commun, tandis que les deux autres arborent chacun(e) une sorte de fleur.
Bref, notre visiteur est perplexe ! Mais assurément, Annie-Gabrielle Mallet aime bien l'idée qu'il s'approche, regarde, cherche le lien entre toutes ces œuvres si différentes et pourtant reconnaissables à première vue ! Et c'est sans doute cette espèce d'aller-retour qui lui donne le fil pour persévérer et répondre à ses questions : qui est quoi, qui fait quoi, qui m'intéresse, me surprend ? Qu'est-ce que j'aime tant dans ce travail ?
Car, incontestablement, les sculptures d'Annie-Gabrielle Mallet charment le public ! Peut-être est-ce la façon spontanée qu'elle a de les placer côte-à-côte, comme ces femmes qui, dans leurs vitrines, appellent le chaland ? Spontanéité encore dans leur facture dépourvue de fignolage ! Pas de chiqué, aucune sophistication ! Des êtres robustes, vigoureux.
Et puis, les couleurs. Car elle est une très bonne coloriste : cette façon bien à elle d'alterner les brillants et les mats, la lumière et les ombres, faire prédominer des couleurs douces, mais les faire éclater grâce aux émaux dont elle les recouvre et qui, tantôt brillants, tantôt satinés, génèrent des effets de matière, jouent des creux et des reliefs.
Bref, il était bon de parler de talent dès la première ligne. Et il faut maintenant se poser autrement la question du début : Est-ce que ces personnages sont des transcriptions de fantasmes qui viennent directement de son inconscient et qu'elle essaie de ne pas censurer parce que leur aspect lui procure paradoxalement beaucoup de plaisir ? Qu'elle a ainsi le sentiment de militer en mettant en évidence des handicaps certes irréalistes, mais au fond si proches de la réalité ? A-t-elle le sentiment, par son audace et sa démesure empreintes d'émotion et d'humanité, de générer une tension et impliquer le public ?
Quoi qu'il en soit, Annie-Gabrielle Mallet travaille instinctivement ; se laisse entraîner au gré d’évolutions, de rythmes qui lui conviennent, d’enchaînements qui la font rêver. Subséquemment, de cette marche vers elle-même, apparaît une autre évidence dont le public a fortement conscience : elle sait confirmer par les conjonctions esthétiques de ces éléments qu'elle met à jour, qu’elle possède une grande maîtrise de l’infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une sobriété remarquables ; qu’elle est en somme une artiste talentueuse et originale !
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
VOIR AUSSI ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS, REALISÉ A CÉRAMIQUES INSOLITES A SAINT-GALMIER EN 2009 : http://jeaninerivais.fr Rubrique Comptes-rendus de festivals
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Eva MIFSUD :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
"EVA MISFUD EN QUETE DE L'HOMME" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ SAINT-ETIENNE BIENNALE DES ARTISTES SINGULIERS ET INNOVANTS 2022. Rubrique FESTIVALS LIEUX ET EXPOSANTS
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Stéphane MONTMAILLER :
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ : FESTIVALS : Banne 2013. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS : FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS : FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS // Texte INVITE D'HONNEUR Festivals EVA 2021
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DE LA GOMME A LA PEINTURE, LES ŒUVRES D'ERIC MUGNIER
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Eric Mugnier est un taiseux. Dans une exposition, contrairement à nombre d'artistes qui ne les quittent pas et bavardent avec leurs congénères, il reste à l'écart de ses œuvres, s'assied au bas d'un escalier, et il lit.
Pourtant, si un visiteur l'aborde, il est très disponible, et répond sans hésiter aux questions qui lui sont posées : il est sexagénaire, autodidacte, "quelqu'un qui apprend tout seul, comme un grand, à faire ce qu'il fait. Je suis donc à la fois l'élève et le professeur, le maître et le disciple…", dit-il avec un brin d'humour. Il ajoute que son art n'est pas spécialement pour lui une source de joie. Et que pour tout artiste sérieux, "La question n'est pas tellement de savoir comment on fait ceci ou cela, de quelle façon on s'y prend pour arriver à tel ou tel résultat, mais pourquoi ?". Et il conclut, après avoir parlé de sa quête de la Vérité, "Et quand on croit avoir enfin trouvé quelque chose, on réalise avec amertume qu'il ne s'agit que d'un grain de sable sans intérêt, encore un, qui va venir grossir le tas de nos ambitions absurdes et de nos rêves échoués sur les plages du Néant".
Pessimiste, donc. Et s'il est incontestablement l'auteur d'une œuvre intéressante, originale et surprenante, il lui transmet depuis toujours ce pessimisme, et se doit de lutter contre lui ! Attendu, dit-il, que "le pire a tendance à s'éterniser", qu'"après une courte vie, les habitants de GUM se mettent à fondre telle une motte de beurre en plein soleil […], mon travail consiste à laisser une trace de leur passage, attesté du fait qu'ils ont, un court instant, offert à mes yeux ébahis le fascinant spectacle d'un florilège de formes toutes plus étranges les unes que les autres".
A ce jeu de sauve-qui-peut, quelle est donc sa technique ? L'idée lui vient-elle d'un personnage ? Il le réalise en sculptant de la gomme ("parce que" ou "bien que", elle soit très fragile ?). Puis il le photographie. Et commence à le reproduire en peinture. Mais là encore, il fait preuve d'originalité en ne peignant que sur de la fibre de verre. (¹) ; avec de la peinture industrielle. Ainsi, le visiteur se trouve-t-il devant de grandes toiles dont les personnages sont souvent colorés dans des roses purpurins, des jaunes, des bleus avec une touche de vert.
Des personnages ? Drôles de personnages, réduits parfois à l'état d'ectoplasmes, corps tressé verticalement. Tout en bas, ce qui semble une bouche bée surmontée de deux yeux aux orbites vides ; en haut un visage fait de trois orifices, au-dessus duquel seraient tendus deux bras pliés à contre-sens.
Mais le plus souvent ses créatures ont figure humaine, mais quelle figure !! Un ovale dépourvu d'oreilles, un crâne absolument chauve. Un nez énorme épaté aux narines béantes. Un menton saillant, donnant l'impression que les lèvres sont inexistantes ou entrées dans la bouche. Quant aux yeux, la plupart du temps, les orbites sont vides ; mais s'ils existent, ils se détachent en impressionnants ronds blancs sur fond noir. Tout cela ayant l'air mou, comme si tout squelette en était absent, rendant bien par conséquent leur aspect fragile précédant, lors du passage chez les GUM !
Parfois, Eric Mugnier pousse l'humour noir en vêtant ces "formes toutes plus étranges les unes que les autres" : L'un tout en jaune, est lascivement allongé sur le dos, une fente ajustée -comme par hasard- suggérant qu'il s'agit de l'"une". A un autre, il a agrafé un col romain bien blanc, attaché à un collarino qui recouvre presque complètement le col blanc, à l'exception de la partie supérieure et un petit carré blanc à la base de la gorge, pour imiter le col de la soutane. Laquelle n'est qu'en amorce, mais polychrome, ne proposant alors aucune notion d'humilité !! Un autre encore, au visage presque disparu derrière une lourde capuche, a des airs de mauvais garçon !
Pourtant, preuve qu'il sait parfaitement dessiner dans un style académique, Eric Mugnier peint une ravissante jeune femme brune, le dos orné de deux ailes de papillon, les jambes largement écartées, mais… le sexe caché derrière une sorte de forme ectoplasmique ! Ou encore, il souligne délicatement en bleu très pâle, un corps féminin, intitulé "Anthologie de la séduction", peint en plongée comme "La Naissance du Monde". Un slip à demi-retiré semble posé là entre les cuisses, tout près du sexe brun et pubescent, pour prouver que le cache ne supprime en rien l'érotisme, qu'au contraire il le sublime ? Et bien sûr, il fallait un paradoxe pour confirmer la présence pérenne du "pire" : au-dessus d'une paire de seins bien galbés, se trouve, regardant le visiteur… une tête de mort qui frôle une énorme fleur violine : Un rappel pour chacun, s'il en était besoin, que personne n'échappe à la mort ? Ce tableau devenant subséquemment une Vanité !
Au long de sa visite, le spectateur a le sentiment que, sous la rigueur paradoxale de cette apparence, se cache chez le créateur, une intense souffrance intérieure ? En tout cas, qu'il est animé de pulsions obsessionnelles qui font de ses créations autant de jalons d’une démesure atemporelle, et néanmoins bouleversante. Malgré cela, il s'agit d'un monde d’où ne surgit aucun malaise ! La répétition des dissemblances, la récurrence des anomalies, des altérations de la réalité, plongent ce visiteur dans la perplexité ; éveillent son sens de l’humour, l’entraînent dans un schéma fantasque auquel il ne s’attendait pas, car les personnages, dépassent toute définition. Et tous sont tellement laids qu'ils en sont beaux ! Et cette création un peu ironique, un peu humoristique -n'en déplaise à Eric Mugnier !- le trompe au premier abord parce qu'au fond, elle est grave, sensible et poétique !
Jeanine RIVAIS
(¹) La toile de verre, aussi appelée fibre de verre, est un revêtement mural pratique, solide et économique que l’on peut utiliser en rénovation tout comme en décoration. D’une part, grâce à ses motifs en relief et, d’autre part, parce qu’elle peut être peinte et donc s’adapter à tous les styles de décoration. Il suffit d’un pinceau ou d’un rouleau pour appliquer la peinture sur une toile de verre. Attention, la première couche de peinture appliquée sur une toile de verre doit impérativement être une peinture acrylique. Les solvants contenus dans une peinture glycéro peuvent en effet endommager la toile de verre. Le temps de séchage de la toile de verre peinte est assez long : comptez une semaine environ. Il est à noter que la toile de verre peut être repeinte jusqu’à 10 fois!
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT
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MANIERISTES ET/OU ROCOCO, LES ŒUVRES D'ELODIE NICOLAS ?
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Pour quiconque parvient devant le stand d'Elodie Nicolas, l'effet est saisissant. Blanc. Tout est blanc ! Et avant même de détailler ses personnages, l'impression est d'une extrême beauté. Et puis, à les regarder l'un après l'autre, il devient évident qu'ils sont costumés pour quelque fête, quelque bal, quelque menuet ou bergamasque…
Et il apparaît que, dans le plaisir conquis de manipuler l'argile, la déchirer, la recomposer, elle réalise de complexes alchimies comme si elle avait le sentiment que ses femmes, -puisque, apparemment, ses créations sont toutes féminines-, ne peuvent exister seules, qu'elles ont besoin de se comparer aux autres : en somme, "miroir, dis-moi quelle est la plus belle ?" !
Néanmoins, toutes ont besoin également d'un étai sur lequel s'appuyer : les unes sont donc accrochées à une barre, d'autres sont enfermées dans un tondo somptueusement entouré de dorures ; une autre encore s'appuie sur deux baguettes (si fines que le visiteur n'oserait dire cannes), etc. Jusqu'à présenter un ensemble bien campé sur ses certitudes, où le "dit" ne le dispute pas à la matière. Et de prime abord, ces êtres, statiques, regardant le visiteur en off, ont l'air d'expecter son admiration, laquelle est spontanément inconditionnelle pour la performance technique et imaginative que représente une telle création !
Car Elodie Nicolas a su rendre le pli d’une robe, la lourdeur d’une couronne, la pesanteur d’un personnage ou la raideur de son élégance, la finesse d'une taille ; suggérer l’immutabilité d’un cérémonial auquel chacune s'apprête ; créer ici le chiffonnage d’un tissu ; là, la finesse d’une “couture”..., le tout en blanc, seuls les jeux d'ombres générés par des feuilles, des fleurs, les fronces d'un tissu… assurant des reliefs.
Merveille, donc, cette petite fille un peu joufflue, à la chevelure étalée en coquillages de part et d'autre de la frange lui descendant jusqu'aux yeux aux cils immenses ; sous le nez mutin, la bouche petite, un peu pincée lui donne l'air de souhaiter rester sur son quant-à-soi. Le cou disparaît derrière la conque d'une petite broche. Une cape très courte lui couvre les épaules, reprenant l'aspect costiforme de la chevelure ; tandis que l'amorce de deux bras fins présente le bas des manches alternant plis, jours, et minuscules bouclettes.
Près d'elle, apparemment du même âge, une autre fillette aux cheveux courts très raides, ornés de fleurs finement dentelées, offre son visage rond au front bosselé par une sorte de visage tassé, à peine descriptible. Ses yeux sont dépourvus d'iris. Ses pommettes sont saillantes. Sous son petit nez épaté, la bouche est close sur un sourire ironique ; tandis que deux cicatrices verticales situées de part et d'autre questionnent le visiteur sur leur présence dans ce visage sans aucun défaut. Son long cou de cygne est orné d'un ruban joliment noué, et ses épaules supportent chacune un ensemble de corolles (non pas un bouquet) de fleurs énormes épanouies vers son dos.
Merveilles encore, mais plus âgées, quatre femmes sont tellement sophistiquées que les yeux du visiteur se perdent entre les bouffants, les crépons, le serre-tête de l'une, fait de plaques stylisées, le visage à peine visible au centre de cet amalgame, le corps disparaissant sous ce qui ressemble étonnamment à un masque de vieillard moustachu, tandis que du haut des deux jambes pendantes, émergent deux mains énormes aux poignets ornés de bracelets. Puis ses yeux se portent sur une femme chibi, aux jambes emmaillotées, au corps et aux bras disparaissant sous les orchidées. Sa tête ronde aux cheveux rares et ses oreilles larges et décollées semblent sorties tout droit d'une bande dessinée, tandis qu'un masque masculin, visage ironique, s'impose à l'arrière de son crâne. Ils en viennent à la "reine", dans son tondo, dont seuls le visage aux gros yeux exorbités et la couronne dorée apparaissent au centre de feuillages dentelés, larges et pointus, et fleurs subulées. Quant à la quatrième, droite et arrogante sur son estrade, elle semble avoir (momentanément ?) libéré son visage du masque masculin d'où pendent des petites boules, qui couvrait sa bouche souriante. Son corselet souligne sa poitrine minuscule jusqu'à sa taille de guêpe d’où partent les lignes de la jupe fluide, jouant des disruptions créées par les larges plis, évasée sur ses hanches fines, serrée en bas par un volant de tulle abondamment plissé. Ses bras filiformes reliés aux baguettes évoquées plus haut, lui donnent l'allure des exquises marquises embellissant naguère la cour de Louis XIV !
Ainsi, en quête du beau le plus primal, Elodie Nicolas propose-t-elle des œuvres contexturant, de façon puissante, lignes, blancheur, matière. Témoignant d’une parfaite connaissance des anatomies et en jouant tantôt en les surchargeant, tantôt en spéculant sur leur quasi-disparition. Tous éléments générant une nouvelle vision du monde très subjective. Située à mi-chemin du maniérisme par la finesse du travail et du style rococo par l'abondance des détails, elle conquiert finalement le visiteur par la force et la sincérité de ses propos ; la richesse de sa technique ; la parfaite communion entre ses mains, son esprit et la terre ; son envie manifeste de modeler la glaise à l’image de ses fantasmes. Et, lorsqu'elle quitte la solitude de son atelier pour soumettre ses approches aux regards étrangers, elle propose finalement une expression originale, unique et protéiforme, déroutante, insolite !
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
Il faudra également parler un jour des dessins à l'encre d'Elodie Nicolas, de ses personnages linéarisés vivant en groupes. La prochaine fois !
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Corinne PIRAULT :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
" LES VILLES DE CORINNE PIRAULT" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2017. Page des Nouveaux
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Sébastien RUSSO :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "FANTAISIES ET FANTASMAGORIES CHEZ SEB RUSSO " : FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : http://jeaninerivais.jimdo.com/ HAN-SUR-LESSE 2017. Pages des Nouveaux
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"ÊTRE LÀ SANS L'ÊTRE"(¹) ou LA COURTE VIE D'ÉLISA SABBAN
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Elle était belle. Elle était jeune. Elle avait un talent fou. Et, contrairement à beaucoup d'artistes, elle avait la chance d'être aimée et comprise par sa famille, par ses parents qui, lui survivant, font de leur mieux pour assurer la pérennité de son œuvre. Et pourtant, Elisa Sabban a décidé de quitter ce monde qui ne lui convenait pas. Chacun pourrait penser que la vie lui fut si chienne, qu'elle l'a quittée à vingt-sept ans. Que s'est-il donc passé ?
La lecture au hasard des pages de quelques-uns de la vingtaine de carnets où elle écrivait sa vie, décrivait ses sentiments, donne au lecteur matière à réflexion. Les pages en sont tellement denses qu'il est impensable de les décrire, ni même de savoir par quel détail commencer. D'autant que des écritures, répétitives parfois, comme "Ma liberté me manque" ; ou bien "Lire, marcher sans but, dessiner sans conviction … s'ennuyer comme un rat mort, être coincée" placé sur la page de gauche, tandis la page de droite est entièrement couverte d'une unique /multiple phrase surlignée en rouge, "Rester forte" comme une exhortation à continuer la vie. Ces citations intimes que l'on pourrait reprendre à l'infini, traduisent la peur qui la tenaillait, le sentiment d'être incompétente, d'être mal jugée à tout propos…
Ce lecteur, à peine tombe-t-il sur un peu d'espoir, comme :"Hey, aujourd'hui j'ai parlé genre dans la classe devant tout le monde pendant le cours de philo, j'ai participé genre, ça c'est du progrès, Elisa. Je t'aime", qu'aussitôt une autre phrase vient lui affirmer le contraire : "Mes amis ne me connaissent pas, ne me comprennent pas…je ne suis pas suicidaire j'ai juste la flemme. Vivre encore 50 ou 60 ans ça me paraît tellement looooong. Tout ce temps à se battre pour vivre. C'est pas une vie c'est de la survie"… Seule, donc au milieu de la foule et du monde. Et pas pour longtemps !
Et pourtant, en une si courte vie, Elisa Sabban a produit une œuvre dessinée et peinte très importante. D'abord dans ses carnets, où certaines pages sont emplies de femmes hurlant au centre d'éclats projetés lors de détonations ; ou couvrant la page d'écritures dont n'ont survécu que quelques mots ici et là ; de visages en pointillés, comme si elle ne parvenait pas à rapprocher les morceaux et réaliser un visage entier. Et puis, soudain un dessin très linéarisé d'une mère tenant son enfant dans ses bras, tous deux souriants, les yeux clos sur ce sourire, et au-dessus du dessin, une seule phrase, "Maman ze t'aime", aussitôt rayée !
En fait, très peu de propositions d'Elisa Sabban ne sont pas à problème ! Et toutes sont intenses, colorées et dramatiques. Quiconque regardant les dates, est confondu par la vitesse à laquelle l'artiste passe de la peinture au dessin, comme si elle ne suivait aucune méthode, comme si la façon très compulsive de jeter l'"histoire" sur le support était une question de vie ou de mort, d'urgence absolue en tout cas ! Et que la vitesse d'exécution était essentielle ! Ainsi a-t-elle créé un véritable "feuilleton" pictural réalisé quotidiennement, avançant, encore, passant à la page suivante, encore, encore… peinture… crayon… comme si cette compilation devait ne jamais s'arrêter !
Les questions qui surgissent sont alors : Qu'est-ce qui urgeait tant dans ces créations ? Etait-ce une peur instinctive qui lui faisait craindre de manquer de temps ? Avait-elle tant à exprimer qu'il lui fallait se hâter ? Les idées noires se bousculaient-elles tellement dans sa tête qu'elle peinait à les décrire toutes ? Auxquelles s'ajoutent : Quels sont les personnages "vrais" ou imaginés qui figurent sur ses pages ?
Car, il faut en venir aux portraits qui tiennent une place importante dans l'œuvre d'Elisa Sabban, hors de ses carnets (ou les complétant ?) Certains sont pris en format d'identité : femme aux yeux verts, bouche hurlante, de colère apparemment, son index droit pointé vers la gauche suggérant qu'elle s'en prend à quelqu'un de précis ? Jeune femme aux longs cheveux encadrant son visage triangulaire, ses grands yeux suggérant que quelque chose l'a surprise, mais sa bouche maquillée reste close. Couple côte-à-côte, le bras de l'homme passé sur les épaules de la femme, posant en une osmose si parfaite qu'ils n'offrent au passant en off, qu'un seul visage masculin !
Portraits encore, mais de groupes, dessinés en traits extrêmement fins, toutes les expressions se succédant, de la surprise, l'hébétude, la méfiance, la tristesse, la béatitude, jusqu'à la fille de bonne famille aux grosses lunettes, au mal élevé tirant la langue… bref tous les défauts et qualités revus par Elisa!
Parfois, à l'évidence, ses œuvres appartiennent à la bande dessinée. Et, comme l’artiste ignore la perspective, tous les personnages sont situés sur un même plan, de sorte que celui qui s'arrache les cheveux semble sur le point d'être "enfourné" dans la bouche de celui qui est derrière lui ; que celui au menton très pointu et minuscules bésicles chevauchant son nez démesurément long semble prêt à picorer la joue de celle, cheveux hirsutes, qui rit de toutes ses grosses lèvres rouges ; et que celui qui s'étire la bouche comme le faisaient naguère les enfants pour faire la plus vilaine grimace, et crie "YAAAAAAAA" emplit la totalité de l'espace. Bref ! le dilemme est entier ! Car bien malin celui qui, dans la plupart de ces proximités et ces enchevêtrements, dira où sont les corps et à qui ils appartiennent ? Corroborant la lourdeur des scènes et supprimant toute respiration, toute idée même de légèreté, Elisa Sabban a donné à ces œuvres une facture néanmoins vivante et ludique, provocatrice.
Enfin, certaines œuvres sont purement narratives : la similitude des couleurs, des lignes dessinant les éléments de chaque scène, la façon dont des stries couvrent ici un corps, là un bras, ailleurs un vélo/puzzle… témoignent que les trois pages vont de concert (d'ailleurs, elles ont été ainsi installées,), mais là encore, au spectateur de déchiffrer l'histoire, la relation entre les personnages d'un tableau à l'autre. Tout son imaginaire et sa subjectivité lui seront nécessaires. Et encore !!
Il s'agit donc bien là, d'une œuvre étrange, où se succèdent les univers les plus divers, inattendus, contradictoires, d'une narration très évidente à une autre complexe, difficile à décoder.
Perplexe et plein d'empathie pour l'œuvre tellement complexe d'une si belle jeune femme au si triste destin, bien sûr, chacun s'interroge : D'où venait cette peur de vivre ? Son art aurait-il pu -dû- l'aider à vivre ? Pourquoi avait-elle si peur d'elle-même et si peu de confiance en sa volonté de vivre ? Et mille autres questionnements jalonnant cette œuvre si difficile à pénétrer, si proche et si loin de la réalité ; si proche et si loin de l'imaginaire universel ; si paradoxale et si logique ; si obscure et néanmoins si attachante.
Et, triste, le visiteur n'a aucune réponse à formuler !
Jeanine RIVAIS
(¹) une phrase d'un cahier d'Elisa Sabban
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT. Au long duquel Monsieur et Madame Sabban se sont relayés pour répondre aux visiteurs, et prolonger le moment avant qu'une telle œuvre ne tombe dans l'oubli !
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A Chaumont, Dominique Sauvage présentait deux parties bien distinctes : L'une dont elle n'était pas l'auteure, mais l'heureuse bénéficiaire, au nom de l'association qu'elle a créée, Les Remarquables. Les belles "enveloppes" (difficile de garder ce mot, certains courriers ayant des proportions tout à fait… remarquables !) étaient le résultat d'un appel à artistes. Appel entendu et la marraine de cette association est "désormais Anne Philomènerollin encres addict, auteure de la première adhésion dans une magnifique enveloppe de la première d’une longue série d’envois tous épatants époustouflants et généreux", une merveille de presque un mètre de haut. Parmi les belles choses présentées, le dernier envoi de cette artiste, soigneusement replié dans la tête ; avait été magistralement dépliée par les soins de Dominique Sauvage !
La seconde partie était la création de l'artiste elle-même, de curieux personnages, à la fois surtout de terre et de textiles mais aussi, matériaux divers, papier mâché, plâtre, minéraux, objets oubliés… Des matériaux pauvres, en somme, un heureux embrouillamini qu'elle sait à merveille faire cohabiter.
Sur ce principe, elle a conçu des EX-VOTO, ces petites œuvres qui, d'habitude, couvrent les murs des églises, déposées là en remerciement de quelque guérison, événement prodigieux…, présentant la relation concise, précise d’un fait..., avec peu de variations chromatiques ; une austérité de couleurs qui sied à la gravité de la situation. Un univers statique, avec ses deux centres d’intérêt : la narration “in situ” du drame vécu, et le Protecteur remercié. Or, si Dominique Sauvage a bien retenu l'idée d'espace restreint en plaçant ses offrandes en pied sur un support de bois délabré par le temps, ou dans une sorte de boîte dont elle a couvert les bords de plumetis, ou encore en entassant un groupe de têtes béates d’une sorte d’extase intérieure, dans un cadre de récupération doré ; si elle a ajouté sur l'une un chiffon rouge en triste état, sur l'autre un bouquet de violettes et au-dessus une tête toute blanche, sur le groupe une sorte de poulet dont la tête est traversée par une vrille, rien n'indique la raison de ces ex-voto : au visiteur de deviner selon sa subjectivité pourquoi "Petite", "Violette" et "Bonne pioche" remercient, à moins que "Petite" ait envie de grandir ; que "Bonne pioche" laisse supposer qu'elle a gagné au loto ; quant à "Violette" ? Beaucoup d'humour, donc, dans cette série où les protagonistes "entiers" sont des baigneurs et les têtes réalisées par l'artiste en grès peint !
Et puis, les autres créatures, toutes humanoïdes, vivantes ou réduites à l'état de squelettes ! Et le visiteur s'étonne que, sur un même thème qui est l'humain, Dominique Sauvage ait pu aborder autant de variantes : Etrange, ce personnage qu'elle avait classé dans les ex-voto, pour une leçon inattendue sur "L'Art de la guérison" ! Le visage est dissimulé sous une toile, le corps est fendu du cou à l'aine. Et les organes sont des tests de coquillages ou des objets non identifiés, longs, ronds, entrelacés… Un bras est un "vrai" os, l'autre une branche ramifiée. Drôle de façon d'étudier l'anatomie et de trouver le moyen de guérir !!!
Etrange aussi, ce personnage dont le squelette est formé d'une litanie de bras ; que le visiteur donne au premier regard pour un homme, mais qui, au vu de son voile de tulle, ses longs bras gantés lui tombant aux pieds dont les ongles sont vernis de rouge, est en réalité une femme assise, en expectative de ses "Epousailles célestes". Sur sa tête, se dresse un homuncule, tête de mort aux larges orbites creuses, assis, un verre à la main, sur un trône doré décoré de feuilles. Sera-t-il l'officiant le jour des noces ? Ou est-il le signe prémonitoire de ce qu'il adviendra de la mariée ?
Etrange encore, ce "Lapin lapin" aux oreilles immenses, qui a atteint la posture verticale, qui louche, a un bec de poulet et le corps également ouvert du haut en bas : Est-ce son cœur, violet, qui occupe la moitié de sa gauche ? Et quels nerfs, quels muscles… peuvent ainsi constituer un tel méli-mélo à l'articulation des épaules et de l'entrejambes ? De plus, il a un pied dans le plâtre, et l'autre n'a plus que deux doigts ! A-t-il donc eu un si grave accident que Dominique Sauvage n'a pas pu -pas su- le rafistoler ? Tout aussi étrange, mais apparemment non handicapé, "Le lapin lunaire", drapé (si l'on peut dire, puisqu'il est tout nu) dans sa dignité ; la tête couverte de deux hautes plumes, coiffe qui en Egypte des pharaons, avait une connotation solaire !
Etrange enfin cette femme hiératique, toute de blanc vêtue, assise entre une sorte de sorcière biface, enturbannée, vêtue d'une toge rouge, visage dur outrageusement maquillé, couverte de bijoux ; et une grande femme, debout, à trois faces, vêtue d'une longue robe bleu foncé qui cache entièrement son corps. Rien de tel pour la femme en blanc : son long cou de cygne supporte un joli visage mince, rare partie de son anatomie avec ses mains, conçue en terre, le reste étant fait de textile. Les yeux sont mi-clos, la bouche un tantinet dédaigneuse. Les oreilles sont dissimilées sous une épaisse chevelure s'écartant de part et d'autre du visage, d'une longueur démesurée, tendue et courbe à la manière de deux cornes ! Ses épaules sont fines et carrées. Ses bras sont repliés, ses mains fines et fortes, ses doigts aux ongles vernis sont posés autour d'une béance de son ventre. Est-elle en train d'être accouchée par césarienne, que l'ouverture décèle une sorte de bébé dont seul le petit nez se détache ? Paradoxe, les pieds de ces trois femmes au port arrogant, tassés dans un petit landau vétuste, disparaissent dans un fouillis de linges de couleurs. Pour l'artiste, qui les a créées à un moment difficile de sa vie, elles ont été une sorte d'élévation. Il s'agit-là d'une représentation des Moires (ou les Parques) qui, dans la mythologie grecque, sont trois divinités du Destin : Clotho "la Fileuse", Lachésis "la Répartitrice", la "Destinée" et Atropos "l'Inflexible". Elles sont associées aux cycles cosmiques, aux grandes déesses de la nature, de la végétation et de la fertilité. Face à un trio aussi solennel, ne manquent que les feux de la rampe, qui conforteraient la recherche de l'artiste pour tout ce qui est hors-normes dans l'univers qu'elle s'est construit !
Il faudrait continuer à explorer les créatures de Dominique Sauvage. Revenir sur le talent avec lequel elle mêle terre et textile, les autres apports servant à mettre ces deux matériaux en valeur. Revenir sur ses talents de coloriste, car toutes ces actions de "faire" sont sublimées par le choix des couleurs : en général douces, apaisantes mais capables de grands éclats ! Revenir enfin sur le choix de ses titres, imaginés de façon à créer un suspense et laisser le visiteur dubitatif. Humoristiques, aussi. Si omniprésents, finalement, dans leur diversité, que lorsque le sujet est particulièrement narratif (le trio évoqué ci-dessus), ce lecteur les cherche et ils ne sont pas là !
Ainsi, depuis toujours, procédant au gré de ses émotions, du temps qui passe, des souvenirs, peut-être, qui reviennent… Dominique Sauvage a créé un monde où "le rêve est la forme sous laquelle toute créature vivante possède le droit au génie, à ses imaginations bizarres, à ses magnifiques extravagances" (¹) ; et ce qu'elle crée est beau dans son étrangeté maintes fois évoquée ci-dessus, surprenant et fascinant, fallacieux et bien réel !
Jeanine RIVAIS
(¹) Jean Cocteau
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
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SEBALO :
TEXTE DE JEANINE RIVAIS :
"BETES ET GENS, les créatures de Sebalo" : http://jeaninerivais.jimdo.com FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2017. Pages des Nouveaux
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LA LOINTAINE AFRIQUE DE KOKOU SENAVON
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Kokou Senavon est né au Togo, de parents dont l'Afrique traditionnelle gouverne la vie, tissée de symboles. Garants de ces symboles qu'on trouve gravés ou peints sur des ustensiles ou sur du bois, ils veillent à leur conservation, la préservation de ces "arbres de vie", d'amour, de paix et de bien-être pour la communauté, sachant que ces symboles expriment l'humain en relation avec les quatre éléments de la vie : l'eau, l'air, la terre et le soleil (¹).
Bien qu'il ait quitté son pays depuis des décennies, la fascination demeure pour Kokou Senavon qui les exprime dans ses œuvres, comme envoûté à jamais par cette Terre des Origines.
Pourtant, au premier regard, le spectateur a le sentiment d'être devant une œuvre abstraite, et son œil est à la fête face à chaque toile fourmillant de subtiles vibrations, comme impatiente de "narrer" son histoire, en une sorte d'explosion, d'élan heureux des couleurs ! Car, avant tout, cet artiste est un coloriste. Possédant un sens inné des nuances qui lui font associer des orangés avec des jaunes bouton d'or en des progressions chaleureuses et éclatantes comme des envols d'oiseaux bigarrés ; des bleus des grands ciels du désert et des verts des sylves gorgées d'eau ! Il organise chaque œuvre en une sorte de progression labyrinthique qui l'équilibre, la rend "lisible" en tous sens. Au point que ce visiteur passant devant son stand a le sentiment de pénétrer en une oasis où tout ne serait qu'harmonies cinétiques !
Le décor est planté, les a priori psychologiques déployés. Kokou Senavon peut désormais intégrer ces symboles qui l'obsèdent ! Et l'œil qui, au départ s'était fourvoyé, déniche maintenant ici un minuscule animal tout noir, la tête tournée vers l'arrière : ici ou là une tête humaine au nez épaté, à la bouche ouverte, ou toute petite glissée entre deux traits noirs ; ailleurs un tam-tam dans une sorte de calebasse ; ailleurs encore un saurien, peut-être, glissant entre deux eaux ; une tête de loup stylisée ; parmi sans doute tant d'autres que l'œil "innocent" ne saurait reconnaître.
Néanmoins, cet œil innocent est capable de déceler enfin l'Afrique ! car elle est bien là, sous-jacente, racines immuables pour un artiste chez qui est essentiel le métissage culturel qui donne à sa création un petit air d'horizons lointains. Pourtant, il s'avère que Kokou Senavon a créé là, un monde si dru qu'il est sans respiration, sans possibilité de bouger pour les éléments qu'il y a apportés. Peut-être est-ce sa manière de mettre chacun au défi de découvrir l'affinité cachée entre ces tableaux aux compositions somme toute classiques et leurs substructures complexes ; au défi de dire : ici est l'eau, ici l'air ; là est la terre, là le soleil, ces symboles humains qui constituent le monde où se retrouve l'inspiration artistique de Kokou Senavon.
Jeanine RIVAIS
(¹) Ces détails ont été exprimés par Kokou Senavon.
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
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Michel SMOLEC :
TEXTES DE JEANINE RIVAIS :
"NAISSANCE D'UNE VOCATION" DANS LE NUMERO 58 DE SEPTEMBRE 1996, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. "DE TERRE ET DE CHAIR, LES CREATIONS DE MICHEL SMOLEC, sculpteur".
TEXTE DE JEANINE RIVAIS "NAISSANCE D'UNE VOCATION" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°58 de SEPTEMBRE 1996. TEXTE : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S)
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ FESTIVAL CERAMIQUES INSOLITES, SAINT-GALMIER 2005. Et : "TANT ET TROP D'YEUX ou MICHEL SMOLEC dessinateur" : ART SINGULIER. Et aussi : "ET DE NOUVEAU NOUS SOMMES DEUX" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ ART SINGULIER. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS : RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003. Et : COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018. TEXTE "MICHEL SMOLEC A LA CAMPAGNE". TEXTE "MICHEL SMOLEC ET L'AMABIE" : http://michelsmolec.jimdo.com/
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Claire TEMPORAL :
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ : FESTIVALS BANNE 2013 Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS " CLAIRE TEMPORAL OU L'ART D'ACCOMMODER MILLE PETITS RIENS" : FESTIVALS,
Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS http://jeaninerivais.jimdo.com/ VIIe BIENNALE des Z'ARTS SINGULIERS ET INNOVANTS DE SAINT-ETIENNE 2020.
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Assurément, "ils" sont tous humanoïdes, mais leur aspect est étrange ! Car souvent, ils sont incomplets : Certains sont dotés de trois pieds mais dépourvus de bras ; pour d'autres, leurs jambes se résument à un simple cordonnet cousu au bas de leur ventre, avec un minuscule zizi pointant près de la couture ; d'autres fois ils sont résolument plats, ou au contraire elles sont enceintes, leur gros ventre se détachant tel un ballon, au-dessous de la tête minuscule. Parfois encore, lorsqu'ils sont très primitifs, une sorte de jupe partant de sous les bras, devient jupe/corps, jupe/jambes… Impossible donc de conclure qu'ils "ont les pieds sur terre" ! Et pourtant, leur présence est puissante!
On pourrait à l'infini décrire les disparités, présences ou manques, répétitifs ou rares, communs ou personnalisés entre les personnages de Sandrine Vachon-Thiebaut… mais une chose est sûre, c'est qu'elle les aime tous, vu la façon très intime dont elle les crée ! Alors, comment expliquer qu'elle les conçoive si "différents" ? Résument-ils ses rêves ? Sont-ils supposés représenter les foules qu'elle a pu observer dans sa lointaine Afrique à laquelle elle semble si attachée ? Subséquemment, se rapportent-ils à une opération rituelle offerte à la "Terre-Mère" ? Une telle œuvre sculptée témoigne-t-elle d'emblée de sa quête identitaire ? Ses fascinantes sculptures, aux morphologies imprévisibles ou ambiguës relatent-elles de façon très subjective, son voyage émotionnel à travers des mystères culturels qu'elle essaie de percer depuis sa petite enfance ? Tout cela à la fois ? A-t-elle elle-même des certitudes ?
Lorsqu'elle décide de "donner vie" à un nouveau personnage, faut-il dire "toile", même si ce matériau disparaît sous une épaisse couche de terre additionnée d'eau, de colle de poisson, de pigments colorés ; malaxée avec des brin¬dilles, des feuilles..., le tout appuyé, incrusté, pétri et abandonné à sécher ? Qu'importe la définition en somme, puisque l'ensemble, tête ou corps, va à son tour être livré à la couturière, toutes sortes de tissus devenant vêtements ; de gros boutons fermant deux pans parfois disparates… Livré ensuite à la brodeuse, dont les dentelles vont ornementer un membre, une poitrine… Livré à la créatrice tout simplement qui n'en finit pas d'explorer formes, textures et couleurs ; allier métaux, coquillages vrais ou faux rebondissant sur un ventre, plumes, crins et ficelles, pierres, raku, etc. Œuvres finalement de pure intuition, ne différant que par la fantaisie personnelle de l’artiste, sa volonté manifeste de composer sans relâche ses populations fantasmatiques. Ainsi Sandrine Vachon-Thiebaut peut-elle se livrer à un continuel jeu entre le dur et le doux, l'épais et le souple, l’organique et l’inorganique, le rêve et le réalisme...
A considérer les grands yeux de tous ces personnages, leurs lèvres rouges et lippues, leurs longs nez en virgule, leurs crânes chauves, leurs traits finalement rudimentaires ou sophistiqués, le visiteur s'étonne que cette créatrice parvienne à traduire tant de nuances de caractères et d’humeurs, allant (rarement) de petites joies à des expressions (presque toujours) de questionnements ? Comprenant très vite que cet étonnement n’appelle en fait aucune réponse car cette autodidacte est incapable de se préoccuper du moindre "effet" spectaculaire ou factice : elle sculpte, peint, pétrit, coud tout simplement ! Projette sur chaque individu tout ce qui dort au fond d'elle-¬même de souvenirs réels ou imaginaires. Témoignant, en somme, avec un infini talent qu'elle est bien devenue au cours des années, le creuset dans lequel se fondent tradition et nouveauté, réalité et fantasme.
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL 2022 LES INOUÏS CURIEUX de CHAUMONT.
Sandrine Vachon-Thiebaut a obtenu le Prix de la Fondation Taylor pour sa série "La vie est une symphonie". Symphonie pour des petits personnages plus finis que ceux de Chaumont, richement vêtus, mais aux visages plongés dans un léger flou qui les rend presque éteints.
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Certains artistes passeront leur vie à répéter encore et toujours le même motif ! Jeune, encore en recherche, Agathe You en est encore à proposer les sujets les plus divers.
Ainsi passe-t-elle du portrait d'une jeune femme au pull à rayures blanches et rouges, devant un mur couvert de petits losanges multicolores, sirotant un verre au moyen d'une paille ; à un roi (à en juger par sa couronne) chevauchant une sorte de porc-épic à tête de chat ; à un loup montrant ses crocs, entouré d'un texte partialement illisible...
Elle aborde en somme des portraits, des paysages comme "Welcome au Ladakh" où une amorce de femme aux seins nus sourit près d'un cavalier caracolant devant une sorte de sirène dotée de jambes ; passe à la faune avec son loup déjà évoqué et son poisson à tête d'aigle, etc.
Elle se cantonne donc à des œuvres figuratives, tantôt réalistes, tantôt fantasmatiques, dont le point commun est la recherche de beaux encadrements destinés à mettre chaque sujet en valeur.
Jeanine RIVAIS
Texte écrit suite au festival 2022 LES INOUÏS CURIEUX de Chaumont.