Jeanine Rivais : Adélaïde, vous avec une création que l'on pourrait dire proche de la bande dessinée, du dessin animé… Etes-vous d'accord ?
Adélaïde Klein : J'ai fait une formation en communication visuelle, donc proche de la BD, de l'illustration plutôt.
JR. : Je vois que chacun de vos tableaux est indépendant des autres : vous n'avez jamais eu envie de réaliser une petite histoire qui se lirait de tableau en tableau ?
AD.K : J'ai procédé à l'inverse. Je suis partie d'une petite histoire, intitulée "J'aime pas". Et c'est l'histoire d'une petite fille et de tout ce qu'elle n'aime pas, que l'on trouve sur les œuvres, traitée en fonction du temps, de mes humeurs...
JR. : Sur chacun de vos tableaux, du moins sur les plus grands, vous avez un personnage central, fille ou garçon.
AD.K : Oui, quelquefois ce sont des animaux…
JR. : En aucun cas, vous ne les placez sur un fond signifiant. C'est-à-dire que je ne sais pas où ils habitent ; leurs vêtements sont sans âge. Je ne peux pas les situer socialement. Et géographiquement, rien non plus ne m'indique s'ils habitent en ville, dans la forêt, le désert… En somme, ils sont complètement atemporels ?
AD.K : Oui. Pas d'âge non plus ! Ni de couleur de peau.
JR. : Ce sont des collages ?
AD.K : Oui, des collages de papiers, tissus, dentelles… tout ce que je peux récupérer… Des boutons que je colle par-dessus.
JR. : Par contre, si pour certains le fond est très sobre, pour d'autres, votre petit personnage est surchargé de signes, de têtes de mort, de phrases, etc. Est-ce un hommage à Basquiat ?
AD.K : Non. Dans le cas de la fillette qui est devant nous, c'est plutôt un hommage à ce qu'elle a dans la tête. Car le titre est "Petit remède contre les idées noires". Autour d'elle, tout est chargé, embrouillé, comme cela peut être dans notre tête quand ça ne va pas ! L'idée, c'est de faire le tri dans cet embrouillamini. C'est pour cela que j'ai marqué "Tirez fort avec les doigts", parce qu'elle tire sur ses lèvres pour sourire. Donc, le fond a plutôt un rapport avec l'intérieur de sa tête.
JR. : En fait, le fond sert presque de titre ? Le décor prolonge le titre ?
AD.K : Oui. Il fait partie du personnage. Chaque élément compte.
JR. : Voyons un peu quelques exemples de ce qu'elle n'aime pas : "J'aime pas la nâture", avec un accent circonflexe sur le "a".
AD.K : Non, ce n'est pas un accent circonflexe ! C'est le "a" qui est mal calligraphié, parce que je souhaite me rapprocher de l'écriture enfantine. Mais, en effet, on peut s'y reprendre à deux fois pour lire…
JR. : Et, alors qu'elle porte un beau chapeau à fleurs, elle semble en effet, ne pas du tout apprécier la nature ! Ce qui est amusant, parce que si je cache ses lèvres, ses yeux ne sont pas forcément tristes ou dégoûtés ! En fait, quels que soient les personnages, leurs sentiments extrêmes, leurs expressions viennent de leurs lèvres ?
AD.K : Je vérifie ! Finalement, on ne sait jamais si elles sourient, si elles sont rêveuses ? Ou si elles font vraiment la tête. Elles ont presque toutes des lèvres/bananes.
JR. : Je vois un autre tableau où vous avez réuni le garçon et la fille : à eux deux, ils forment vraiment un couple spécial !!
AD.K : Le questionnement persiste d'ailleurs, car il est difficile de dire si ce sont deux filles, un garçon et une fille ? Et les vêtements ne peuvent même pas nous guider !
JR. : Ceci dit, il me semble qu'intuitivement, l'un d'eux est un garçon, parce qu'il a de grandes dents et il n'a que deux cheveux. Tandis que celle qui me semble être la fille a des couettes.
Vous vous amusez beaucoup à travailler dans cet esprit ?
AD.K : Pas toujours ! C'est parfois difficile !
JR. : Qu'est-ce qui vous pose problème ?
AD.K : Tout ! D'une part, j'aime beaucoup ce travail, et je me fais plaisir. Mais d'autre part c'est très difficile de sortir, de faire ce que l'on veut, d'être satisfait de ce que l'on fait.
JR. : Vous avez un travail en dehors de votre peinture ?
AD.K : Non, c'est mon métier !
JR. : Lorsque vous mettez des titres comme "La tête dans les nuages, amoureuse ici", avec un fléchage dans une direction incertaine. Qu'est-ce que le fléchage ajoute ?
AD.K : En fait, c'est juste le côté graphique du texte qui m'intéresse. C'est-à-dire que le texte n'a pas forcément un rapport avec ce qu'il suggère. C'est qu'à un moment donné, je sens que le tableau a besoin d'un texte. Pour le côté graphique des mots et des lettres, plus que pour ce que les mots veulent dire. Il peut y avoir "par ici", "par là". J'ai pu marquer "fille" alors que c'est un garçon. Le texte n'est pas là pour ajouter quelque chose à l'histoire. Il est là pour son côté graphique.
JR. : Vous êtes une authentique coloriste. Vous avez des associations de couleurs que j'aime infiniment, que je trouve très vivantes, très primesautières. Très agréables à regarder. En fait, on doit bien vivre avec vos tableaux ?
AD.K : Il faudrait demander à ceux qui les ont achetés ! Parce que chez moi, je les cache. Quand ils ne sont pas finis, je les retourne ! Mais en effet, la volonté est d'être gai, joyeux. Je trouve que l'on a assez l'occasion de se miner le moral, pour ne pas le faire aussi sur des tableaux. C'est autre chose. C'est trouver un peu de joie dans des moments difficiles.
JR. : C'est un mélange d'encre de Chine et de peinture ?
AD.K : C'est surtout de la peinture à l'eau. Et les textes, les traits qui silhouettent les personnages sont à l'encre de Chine. Donc : collages, peinture, encre. Parfois, je fais des essais avec de nouvelles matières pour voir ce que cela donnerait. Et puis, il y a des périodes. Ce que j'ai apporté à Banne est représentatif d'une période. Mais à un autre moment, ce sera toujours dans le même esprit, mais ce que je peins peut se présenter différemment. Un système de collages avec des personnages un peu naïfs, mais… qu'exprimeront-ils ?
JR. : Y a-t-il d'autres questions que vous auriez aimé que je vous pose et que je n'ai pas posées ?
AD.K : Non. D'ailleurs, je n'étais pas préparée à notre entretien. C'est la première fois que l'on m'interviewe. J'étais un peu émue, parce que chaque création est tellement personnelle qu'il est difficile d'en parler.
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 16 mai 2010.