OSCAR ARCILA, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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                Jeanine Rivais : Vous vous appelez Oscar Arcila : « Oscar » me semble un peu nordique ; « Arcila » très hispanisant. D’où venez-vous ?

                Oscar Arcila : Je viens du monde entier. La terre appartient à tout le monde. J’en fais partie. Alors, que je sois en Colombie, en France, aux Etats-Unis ou ailleurs, je suis partout, parce que mes expositions sont partout et mes tableaux également. Je suis l’« Homme du monde ».

 

                JR. : Il me semble que vos œuvres sont très proches de celles que l’on classe habituellement dans l’Art naïf. Seriez-vous d’accord ?

                OA. : Oui, absolument. Car je suis un grand principe qu’avait énoncé Picasso : « Je serai un grand artiste dans la mesure où mon travail ressemblera à celui que font les enfants ». Les enfants font des choses originales. Est-ce que je suis comme eux ? Quand je commence un tableau, je ne pense pas à ce qui va arriver sur la toile. J’ajoute, je retire, je cherche, tout en sachant que je n’atteindrai jamais la perfection, puisque la perfection n’existe pas ! Par contre, l’originalité est une chose très importante et très difficile. Pour moi, l’originalité, c’est ce que font les enfants. C’est pourquoi mes tableaux sont proches de la naïveté des oeuvres d’enfants.

 

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                JR. : Quand je parlais d’Art naïf, je ne l’entendais pas au sens « rudimentaire », simple comme ceux des enfants, je l’entendais par exemple, dans la lignée du Douanier Rousseau. D’autant que ce qui me semble caractéristique de votre travail, c’est que, comme pour la plupart des artistes dits « naïfs », il est très léché, très sophistiqué. On sent que vous avez aimé ce que vous faites, que vous y restez, vous y revenez. On vous imagine très bien longuement penché sur le tableau. C’est en ce sens que j’entendais « naïf ».

                OA. : Absolument, tout cela est vrai aussi. Et en plus, je prends tout mon temps parce que dispose absolument de tout le temps que je veux. Je n’ai pas besoin de finir un tableau. Et, en plus, on dit qu’en principe, jamais un tableau n’est terminé. Un élève demande au Maître quand ce tableau sera terminé ? Et le maître répond : « Ce tableau sera fini quand il ne sera pas fini ! » Cela semble contradictoire. Mais si l’on commence à travailler un tableau en souhaitant qu’il soit fini, cela ne s’appelle pas travailler. Certains peintres sont restés des années sur un tableau. Aujourd’hui, c’est un peu plus difficile parce que le temps compte, mais j’essaie de m’approcher au plus près des caractères, de l’expression des personnages. Ce qui compte le plus pour moi, c’est l’expression : peut-être sur ce tableau, l’homme regarde-t-il derrière parce que quelqu’un l’a appelé ?... Et puis, le personnage du Christ rend parfaitement la tristesse, l’angoisse, le sentiment de la fin…

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                JR. : Les thèmes principaux que vous abordez sont vous-même, dont vous avez apporté un très bel autoportrait ; le quotidien avec de petites scènes (scène de café, scène de rue, jour de marché, etc.) ; la religion… Et, parfois, vous tombez dans la mythologie.

                OA. : Oui, tout à fait. La mythologie me touche beaucoup, la partie philosophique y est très importante. Quiconque se connaît bien travaille bien. Ainsi, souvent, on me demande si mes portraits sont ceux de ma femme ? Et je réponds que si ce sont les portraits de ma femme ou les miens, c’est parce que je nous connais bien !

 

                JR. : Cependant, je suis sceptique sur le fait que ces portraits soient ceux de votre femme ! Car, s’il est indéniable que les portraits d’hommes soient bien des autoportraits, ceux des femmes me semblent beaucoup plus universels ! Beaucoup plus stylisés… Je doute donc que ce soit votre épouse !

                OA. : Je ne le crois pas non plus. Mais vous savez ce qu’est la critique ! « Le tableau dit ceci, le tableau montre cela… » Il y a un va-et-vient de moi à mes amis, à mes personnages… Ainsi, vous, en ce moment, qui m’écoutez ! Ce pourrait être vous ! Ce qui compte beaucoup, dans ma vie, c’est l’histoire. L’histoire est simple et difficile en même temps. La première chose commence quand le personnage apparaît dans le journal. S’il n’y a pas un nom dans un journal, l’histoire ne commence pas, ce n’est pas l’histoire. Toute ma vie, je me suis donc inspiré d’histoires, parce que j’ai toujours peint. J’ai écrit, parce que je suis aussi écrivain. En somme, je veux faire beaucoup de choses, mais je ne pourrai jamais y parvenir, parce que le temps me manquera toujours pour le faire !

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                JR. : Il y a dans tous vos tableaux, un petit côté intimiste. Par exemple, dans votre scène de café, on sent que les gens sont bien ensemble. Et, cependant, ils ne se regardent jamais. Ils regardent toujours vers nous qui sommes en off. Pourquoi ne se regardent-ils pas, alors qu’ils constituent « un groupe » ? Et pourquoi nous regardent-ils ? Que nous disent-ils ?

                OA. : Je suppose que, lorsque l’on parle à une personne, on la regarde en face, tout de suite. Mais quand on est dans un bar-tabac –parce que ce lieu est en fait un bar-tabac. J’aime bien les bars-tabac, ce sont des lieux de rencontre, des lieux où l’on raconte ses petites histoires, les problèmes de sa famille, et je regrette qu’ils soient en train de disparaître- Je les peins ainsi parce que j’aime la communion du spectateur avec les personnages de mon tableau. En somme, le visiteur qui regarde mon tableau me regarde, moi aussi.

 

                JR. : Vous avez vêtu vos personnages d’une façon qui paraît un peu rétro. Mais que l’on est incapable de situer dans le temps.

                OA. : Oui, cela veut dire que je suis là pour montrer « tout le temps ». La femme nue, par exemple. Je respecte infiniment la femme, mais j’ai peint beaucoup de nus féminins. Mais quoi de plus agréable, que de figurer la femme dans une belle robe ? Lorsqu’elle est moulée dans une robe, c’est un mystère, c’est quelque chose d’extraordinaire ! Dans notre époque où l’on voit des nus partout, j’aime que la femme ou la jeune fille suggère quelque chose, mais ne montre pas tout.

               

JR. : Pourtant, je voulais vous dire que vous avez aussi un petit air coquin, parce que si je regarde la jeune fille qui nous tourne le dos, je vois très nettement ses fesses dessinées. Sur une autre, vous avez peaufiné le pli qui arrive entre ses jambes. Pour l’une d‘elles, on voit très nettement la pointe de ses seins, et sa robe est transparente !

                OA. : Oui. J’aime suggérer. Le mot juste pour cette attitude, c’est « suggérer ». Ne pas montrer, mais suggérer. Et soudain, tout paraît magnifique… Ce quelque chose qui se cache, là-bas ! Je regarde la vie de la même façon. Quand je parle comme en ce moment avec vous, avec des journalistes à travers le monde, je me dis qu’il faut laisser quelque chose de non précisé, quelque chose après quoi l’on va courir ! Parce que, si on dit tout, on n’arrive à rien de mystérieux.

 

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                JR. : Cependant, et puisque vous dites que vous aimez aussi peindre des nus, parlons de ce tableau que l’on pourrait intituler « Le déjeuner sur l’herbe », vous les avez peintes complètement nues. Dans une très grande intimité. Certaines sont enlacées, couchées, l’une est assise sur les genoux de l’autre… Je trouve qu’il y a, dans cette façon de les montrer dénudées, une très grande tendresse.

                OA. : Absolument. En fait, ce tableau s’intitule « Les baigneuses du lac ». Je montre ce qu’est la femme, mais sans manifester beaucoup d’intérêt pour ses parties intimes. Un jour, pour une exposition où je montrais les fesses très bien faites de trois femmes, sont arrivées deux dames qui m’ont dit : « Maître, s’il vous plaît, comment faites-vous pour faire à vos femmes des fesses aussi jolies » ? Et je leur ai répondu : « Parce que j’aime beaucoup tout ce qui les concerne » ! Pas seulement les fesses, d’ailleurs. Toutes les parties de la femme. Je les aime, je les adore ! Je pourrais faire de vous un magnifique portrait, parce que, quand je vous ai vue, j’ai regardé tout de suite la partie artistique de votre visage !

                Tout cela parce que j’étais sociétaire des Salons du Grand Palais, les Indépendants, etc. J’étais jury de ces Salons. Les plus importants en France, à une époque. J’ai donc choisi partout des gens qui exposaient des tableaux là-bas. D’un simple coup d’œil, tout de suite, je savais si un tableau me plaisait.

 

                JR. : Ce qui me semble être un paradoxe, c’est que la ligne de vos personnages est, en fait, assez sommaire, mais vous vous attachez par ailleurs, à de tout petits détails. Par exemple, un mégot par terre, qui fume encore, une guitare, les orteils des personnages faits avec beaucoup de réalisme, le camion du petit garçon… Qu’est-ce qui fait que, tantôt vous décidez de vous attacher aux détails, tantôt de les négliger un peu ?

                OA. : Il y a des détails qui donnent l’époque des tableaux. Ainsi, à notre époque, le détail n’est pas la cigarette, alors qu’avant elle l’était ! Même chose pour les papiers par terre, etc. Donc les détails donnent au spectateur une idée de l’époque où l’histoire se passe.

                Néanmoins, mon idée est de montrer la généralité des œuvres. Un tableau doit avoir une harmonie, une composition, un caractère, de la couleur. Et tout cela dans un équilibre extraordinaire qui donne la beauté du tableau. De sorte que quiconque le regarde y trouvera des choses que je ne pensais pas qu’il verrait.

 

                JR. : Avant d’en venir aux couleurs, je voudrais que nous parlions des pieds de vos personnages ! Aucun d’entre eux n’est gros, mais cependant, leurs pieds qui sont très souvent nus, sont des très gros pieds ! Est-ce parce qu’ils sont des gens du peuple, qui ont l’habitude de marcher nu-pieds, de travailler dans les champs ? Que faut-il conclure ?

                OA. : Je pense que le plus joli de l’homme, c’est la partie nue, les pieds en l’occurrence. L’homme le plus moche du monde sait marcher pieds nus. Les chaussures et la manière dont on cache les pieds sont des problèmes de toujours. L’idéal, ce sont les pieds nus.

                C’est aussi une caractéristique de mes tableaux. La plupart montrent l’homme bien habillé avec les chaussures, la cravate, etc. Mes tableaux sont simples, ils sont là pour raconter une histoire, une histoire qui restera à l’humanité.

 

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JR. : Venons-en à vos couleurs. Sauf peut-être, et ceci est un détail amusant, pour le pagne du Christ, vous n’avez que des couleurs très douces. Parfois des verts un peu bronze, comme les arbres derrière vos baigneuses, mais dans l’ensemble, vous n’avez que des couleurs de terre, des bruns. Pourquoi ce parti pris ?

                OA. : La première chose, c’est que je me garde de montrer nettement la ligne, parce que, réellement, la ligne n’existe pas. C’est une chose figurative. La ligne se trouve là où se trouvent la lumière et l’ombre. Je cherche donc à l’effacer de mes tableaux. Que se passe-t-il pour la couleur ? J’aime les couleurs riches, ce sont les plus difficiles à manipuler. Ce sont elles qui donnent la spécificité à l’œuvre. Car les couleurs vives cachent les véritables couleurs. Les couleurs vives sont bien pour les affiches. De nos jours, nous avons partout des couleurs vives. Mais dans le monde de l’art, la façon dont ils ont manipulé la couleur a fait la caractéristique des grands maîtres. Le plus difficile pour un artiste, c’est de générer l’harmonie de son travail.

 

                JR. : En tout cas, ce parti pris de couleurs donne une très grande unité au vôtre. Même si les thèmes choisis sont différents, le spectateur sait tout de suite qu’il s’agit du même artiste. L’esprit en est le même. Choisissez-vous toujours ces mêmes gammes de couleurs ?

                OA. : En principe, non. Parce que, comme tous les artistes, j’ai commencé par la palette normale de couleurs. Mais maintenant, je sais pourquoi il faut procéder de telle ou telle façon. C’est pourquoi, si l’on trouve une constante dans mon travail, c’est la variété. Car l’autre difficulté est de trouver la variété dans les tableaux.

                Par contre, la ligne, le style, c’est autre chose. Le plus difficile pour un artiste, c’est de trouver sa différence avec les autres. Son originalité. Si l’originalité n’existe pas, il lui manquera quelque chose. Il ne sera pas un véritable artiste. L’originalité, c’est de fouiller dans un capharnaüm, d’en sortir une toile, et de dire, « ça, c’est Oscar Arcila » !

 

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                JR. : Je vais vous demander maintenant s’il y a des sujets que vous auriez aimé que nous abordions ? Des questions que vous auriez aimé que je vous pose, et que je n’ai pas posées ?

                OA. : Il y a sans doute beaucoup de choses, car il est difficile de trouver au pied levé tout ce dont il faudrait parler ! Mais dans un tableau, existe aussi le mouvement. Le mouvement de la figure, parce que les personnages ne sont pas morts, ils sont vivants. Il y a l’expression, la forme, la façon dont ils bougent, les pieds qui sont différents de l’un à l’autre. S’ils sont grands, comme vous l’avez dit tout à l’heure, c’est parce que je trouve que les pieds sont la partie la plus importante de l’homme. Comment expliquez-vous que sur 20 cm² que couvrent les pieds, on puisse garder l’équilibre de tout le corps ? Qui peut dire pourquoi c’est ainsi ? C’est un miracle ! C’est une question d’équilibre qui existe seulement dans le monde vivant.

                J’aimerais ajouter qu’il y a aussi l’art de jouer sur les couleurs, puisque chacune a sa spécificité, les couleurs chaudes, les couleurs froides… L’art de trouver les caractéristiques du matériau que l’on va ajouter directement sur la toile. Enfin, le plus difficile est de faire le dessin. Le dessin est la colonne vertébrale du tableau. Seul, celui qui arrive à faire un grand dessin fera un grand tableau. Le dessin, c’est le secret des grands artistes.

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                JR. : Je crois qu’il faudrait aussi parler de vos sculptures ?

                OA. : Nous avons parlé du dessin, de la couleur, de beaucoup de choses qui se rapportent à la peinture. Mais je pense que la sculpture est aussi une partie très importante chez un artiste parce qu’elle montre trois dimensions. Je dirai même quatre dimensions. Plus le temps passé à la réaliser. Quand on regarde une sculpture, on devrait déceler la partie temps, la partie habitude… Et aussi la partie composition, parce qu’elle doit montrer aussi les trois ou quatre dimensions, la forme… comme l’artiste les a regardées. La sculpture est donc aussi une partie très importante et décisive de l’artiste. C’est une chose que l’on peut regarder, toucher, prendre en mains. On peut regarder la sensibilité de la sculpture comme lorsque l’on sent la sensibilité de la femme.

 

                JR. : Toutes vos sculptures sont-elles monochromes, comme celles que vous avez apportées ?

                OA. : J’aime aussi la diversité des couleurs. Elle est donnée par les terres cuites.

                Les sculptures doivent aussi occuper un espace spécifique, parce que, comme les tableaux, elles doivent se regarder à hauteur des yeux.

                Mais le plus important de tout, est de pouvoir parler avec l’artiste ; parce qu’il « sent » ce qu’il fait, et qu’il peut montrer pourquoi il a procédé comme il l’a fait.

Cet entretien a été réalisé au Grand Baz’Art à Bézu, le 16 mai 2010.

autoportrait arcila
autoportrait arcila