Jeanine Rivais : Vous signez vos œuvres "C. Bost", vous avez donc supprimé votre prénom ?
C Bost : J'ai pris un pseudonyme parce que, au cours d'un processus artistique, je ne suis plus parvenue à signer "Perbost". Tout cela est très freudien, mais je signe "C. Bost".
JR. : Vous avez apporté ce qui me semble constitruer deux parties dans votre œuvre : une partie dessin, infiniment minutieuse, travaillée à ce qui me semble être de l'encre de Chine ?
CB. : C'est du stylo bille.
JR. : Dans cette partie, vous avez plutôt des personnages de conte, un peu farfelus, un peu arcimboldesques, couverts de fleurs, de fruits, etc., contrairement à l'autre partie que nous évoquerons ensuite.
CB. : Je ne sais pas ! Quand je dessine, je suis dans la nécessité de faire quelque chose, je le vois et je ne réfléchis pas. Ce n'est pas du travail sur nature, c'est vraiment de l'imaginaire. Donc, j'ai des séries, des séries dondons, des séries végétales, des séries très fleuries, des séries troupeaux avec des animaux… Par contre, je peux aussi faire des œuvres sur nature, mais je le fais bizarrement uniquement quand je pars en voyage. Là, je vais croquer du paysage.
JR. : Vraiment le paysage ?
CB. : Oui, sur nature !
JR. : Cela doit représenter un vrai changement ?
CB. : Oui, mais c'est un vrai plaisir !
JR. : Quel chemin, entre un paysage, et ce que je crois être un petit clown ou un Arlequin… ?
CB. : C'est votre interprétation. Cela m'échappe complètement. Moi, je fais, et ensuite chacun voit ce qu'il veut, et c'est ce qui est enrichissant pour moi.
JR. : Ce qui est remarquable dans cette série, c'est la notion de mouvement ! Vos personnages ont toujours l'air d'être en train de sauter, gigoter, vagabonder, tout au moins de marcher !
CB. : Cette remarque est très intéressante et me touche infiniment, parce que j'aime beaucoup la danse. J'aime le mouvement. Alors, bravo, parce que, si vous le sentez dans mes dessins, cela prouve que c'est vraiment moi ! J'aime le mouvement, j'aime le rythme, il y a du mouvement dans la ligne ! J'ai été chanteuse, compositeur, j'ai dansé, donc si cela ressort dans mes dessins, ce n'est pas par hasard.
JR. : Je le ressens en effet, très fort. Parce que, même lorsque l'un d'eux est assis, il ne donne pas l'impression que son corps soit au repos. Son corps produit comme une espèce de frémissement.
CB. : C'est possible.
JR. : Passons à l'autre partie qui est la plus drolatique.
CB. : Et la plus singulière !
JR. : Qui est à la fois peinture et en relief. Comment intitulez-vous cette série de femmes avec de gros nénés aux aréoles très décorées, où l'on retrouve d'ailleurs l'idée du dessin ?
CB. : En fait, pour l'anecdote, c'est toujours pareil. On est dans un processus quand on crée. Il y a quelque chose qui fait l'abord, quand on est dans son atelier huit heures par jour pendant des années. Moi, je dis que ma peinture, c'est mon journal intime. Je l'"écris" jour après jour. Il y a donc des séries. J'ai toujours la même plume, mais de temps en temps, je change d'encre. Il se trouve que j'étais sculpteur à la base. Puis, j'ai suivi une formation en arts plastiques. Et je suis "tombée" dans la peinture et dans la couleur. Le dessin est donc arrivé. La peinture est là. Et je suis en train de me dire qu'après avoir créé une série de poupées/sculptures que j'appelais des "Doudous/sculptures" qui ne sont pas ici représentées, tout simplement le tissu et le volume sont venus m'envahir sur les toiles. Finalement, c'est du bas-relief qui est en train de surgir. Avec des vieux tissus antiquaires que je teins. Et j'aime bien cette idée de vieux tissus du passé avec des matériaux contemporains. Cette confrontation me plaît.
JR. : Il me semble que sur cette partie en relief, où les cadres sont assez petits, chacun de vos personnages est complet, mais qu'en fait on pourrait dessiner un ove autour. Comme si chacun était intuitivement dans un œuf. Et qu'ils étaient naissants.
CB. : Ce sont "mes bébés", donc cette idée est très juste. Oui, ce sont des anges, et ils pourraient être dans un œuf. Cette idée-là me plaît énormément.
JR. : Mais alors, à l'évidence, vous ne posez pas la question du sexe des anges !
CB. : Pas du tout ! Et cette petite phrase est une obsession ! Elle est récurrente. Elle est là et j'essaie de l'épuiser, je la ressasse, je vais la travailler jusqu'au bout. J'ignore si les anges ont un sexe ? En tout cas, je trouve que cette phrase résonne bien, elle m'interpelle !
JR. : En tout cas, vous, vous y avez répondu, parce que les vôtres sont tous féminins !
CB. : Les miens, oui, et ils sont très sexués !
JR. : En effet, chaque fois on voit nettement le sexe. Vous l'avez bien cousu, surpiqué. On voit même le cœur, donc on est en plein dans le sentiment. L'"une d'elles" en a même deux. Mais ce qui est toujours évident, ce sont les seins : pourquoi des seins aussi volumineux ? Sont-elles mères ? Sont-elles en désir de maternité…
CB. : Je n'en sais rien. Je ne sais pas du tout ! Freud dirait sans doute je suis dans une petite régression stade oral. Juste avant le stade oral, il y a la naissance. Juste avant, vous parliez œufs… Je trouve tout cela assez cohérent. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis dans la nécessité de les faire, donc je les fais.
JR. : On pourrait dire aussi que toutes ces petites œuvres sont très humoristiques : vos femmes ont des cheveux en laine et elles sont toutes plus ou moins ébouriffées. Elles ont un petit corps bien rond. Leurs petites ailes sont bien nettes. Mais, à chaque fois, on a l'impression qu'elles tiennent leur cœur. C'est comme si elles se lovaient sur elles-mêmes…
CB. : Elles tiennent leur cœur, mais elles en offrent un. Il est tourné vers l'avenir. En psychanalyse, tout ce qui est à la droite d'un tableau, est tourné vers l'avenir. Tout ce qui est à gauche est le passé. Et tout ce qui est pulsionnel se trouve toujours en bas.
JR. : Dans vos œuvres, tout cela est évident : vous avez surpiqué le passé en noir, le futur est éclatant de fleurs et de soleils…
CB. : Oui. Ceci dit, je vous ai fait un petit aparté "psycholo-psych-analystique", mais quand je travaille, je n'y pense pas du tout. Les choses sortent ainsi.
JR. : Vous avez dit que le tissu avait envahi vos toiles : comment passe-t-on de deux dimensions à quelque chose de très proche, mais tout de même différent ? Etait-ce une "obligation" de passer à quelque chose de différent ? Ou l'avez-vous fait sans trop vous rendre compte de ce passage dans la troisième dimension ?
CB. : Il n'y a pas d'"obligation". Je parle en terme de "nécessité". Je suis dans la nécessité de faire. C'est-à-dire qu'à un moment donné, je vois quelque chose. Et, de ce que je vois à la réalisation, il faut que je m'y mette, je suis "dans le faire". Mais je ne me dis pas "il faut à tout prix que…". Non. C'est une élaboration. J'avance au gré de ce que je sens et de ce que je vois.
JR. : Vous avez apporté un tableau qui me semble à part de tous les autres. Vous l'avez intitulé "Drôle". C'est comme si vous aviez condensé sur cette œuvre, tous les éléments des autres : les cœurs, les poissons, les fleurs, le dessin…
CB. : Et la peinture. Absolument ! Absolument ! Je travaille par séries. Et c'est une petite série qui est arrivée, où l'on voit bien le processus : j'ai cousu des yeux, puis la couture est arrivée. Je raconte une histoire. C'est ce qui m'intéresse.
JR. : Racontez-moi cette histoire.
CB. : Je ne peux pas vous la raconter. Je l'écris. Il y a plusieurs chapitres… Mais c'est l'histoire de ma vie, tout simplement !
JR. : Finalement, dans toute cette vie, vous avez toujours des couleurs très douces. E, plus, elles s'associent très bien. Vous partez des bruns, pour venir progressivement dans des couleurs proches. J'aime beaucoup vos harmonies.
CB. : Là, je ne sais pas que vous répondre ! Ma palette change, et là encore, je laisse venir les choses.
JR. : Y a-t-il d'autres sujets que vous auriez aimé aborder ? Des questions que vous auriez aimé entendre, et que je n'ai pas posées ?
CB. : Non, ce fut un plaisir de passer ce petit moment avec vous !
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 16 mai 2010.