Jeanine Rivais : Marion de la Fontaine, sculptures ! Sculptures uniquement de récupération ? Ou sculptures de terre et de bois ? Bois flottés, ou bois de toutes sortes ?
Marion de la Fontaine : Uniquement des bois flottés. Je pars du bois flotté, du mouvement qu’il me propose. Et, à partir de là, je crée le reste en céramique.
JR. : Il n’y a donc pas de limites à votre volonté de récupération ?
MDLF. : Il y a, certes, la récupération ; mais au départ, il y a la terre. C’est la terre le point commun à toutes ces sculptures de récupération.
JR. : Dans la série que vous appelez « les cabossées », et qui sont faites à partir de canettes de boisson, avez-vous vraiment respecté le cabossage, ou les avez-vous cabossées à votre gré ?
MDLF. : Je cabosse à mon gré, et après, selon la cabosse, je suis inspirée pour continuer d’une façon ou d’une autre. Je pars de cette cabosse pour créer les variations au niveau du corps.
JR. : Partons, par exemple, de l’une d’elles, qui est en train de crier : vous êtes partie de deux canettes que vous avez superposées : l’une, crée une sorte de vêtement décolleté. Mais qu’est-ce qui vous a amené le cri ?
MDLF. : Je la « sentais » en train de crier…
JR. : Oui, mais en quoi la façon dont elle est cabossée vous amène-t-elle à l’entendre crier… ou à la voir dubitative ou souriante comme celles qui sont à côté ?
MDLF. : C’est une impression que j’ai, selon l’inclinaison, etc. C’est une impression, c’est au feeling, ce n’est pas du tout analysé.
JR. : Il y a vraiment un contraste entre la partie cabossée, qui est d’origine artisanale, non créée par vous, et cette partie de terre qui l’est entièrement !
MDLF. : La partie canette est également créée par moi, parce que je l’ai cabossée, travaillée moi-même, sans jamais me donner de ligne directrice. Mais c’est bien moi qui interviens sur l’ensemble.
JR. : Dans une autre série, où seuls la tête et le cou sont en terre, enrobés dans le corps en métal, même si les personnages ont une amorce d’épaule, on peut dire qu’ils sont sans membres. Alors que, lorsque vous intervenez sur la tôle rouillée, vous leur avez fait des membres en terre. Pourquoi ceux-là n’ont-ils pas de membres ? Est-ce une question de rythme ? La volonté de ne pas découper la canette ?
MDLF. : Je vais là où la canette m’emmène.
JR. : En l’occurrence, elle vous emmène donc vers l’absence de bras et de jambes ?
MDLF. : Voilà. La tôle m’emmène d’un côté, le bois flotté m’emmène ailleurs.
JR. : Cela peut sembler un truisme de dire que la partie la plus gestuelle est celle qui part des bois flottés. Vous les retravaillez parfois, ou vous respectez vraiment leur aspect au moment où vous les trouvez ?
MDLF. : Le bois flotté a une vie antérieure. La nature a bien fait les choses. Et moi, je n’interviens pas, parce que si j’interviens, je casse le rythme originel.
JR. : Il me semble quand même que vous faites une sélection : ramassez-vous tous les bois flottés, ou seulement ceux qui ont une forme de drapé ?
MDLF. : Non, je ramasse tout. Par la suite, il y en aura qui ne me serviront pas. Mais au moment où je les ramasse, j’ignore ce que j’en ferai.
JR. : Là encore, comme pour les canettes, vous placez d’abord votre bois flotté et en fonction de lui vous faites le reste ? Ou vous faites l’inverse ?
MDLF. : Non, c’est le bois flotté qui amène le reste de la sculpture.
JR. : Certains d’entre eux sont des ceps de vigne. Comment sont-ils devenus des bois flottés ?
MDLF. : Parce que je les ramasse dans les rivières.
JR. : Pourquoi faut-il alors absolument qu’ils soient flottés ? A cause de l’érosion ?
MDLF. : A cause de la patine que crée l’eau.
JR. : Et n’avez-vous jamais eu envie de récupérer des bois ailleurs qu’au bord de l’eau ? Vous êtes riveraine de la mer ?
MDLF. : Oui, à Montpellier. Peut-être que si je ne vivais pas au bord de la mer, je ferais autre chose avec d’autres bois ? Comme je ne sais jamais où vont m’amener mes découvertes, je ne peux pas répondre de façon formelle.
JR. : D’autres sculptures sont à mi-chemin de la démarche précédente : les personnages ont des bras, mais ils n’ont pas de jambes : n’avez-vous jamais eu envie de découper un peu la tôle pour leur faire des jambes ?
MDLF. : Peut-être, un jour ? Pour l’instant, je suis dans le drapé des robes. Je verrai.
JR. : Mais cette tôle rouillée est encore différente des canettes : vous l’avez trouvée telle quelle ? Ou vous l’avez roulée ?
MDLF. : J’ai trouvé un grand morceau de tôle et j’en ai fait quatre sculptures.
JR. : Cela me semble toujours une énigme qu’un sculpteur ait envie de travailler, peaufiner, fignoler une partie d’une œuvre, et laisser l’autre sans intervention. N’y a-t-il pas là un paradoxe ?
MDLF. : Pour moi, c’est une complémentarité. Je recherche même cette complémentarité.
JR. : C’en est donc une aussi, lorsque vous utilisez la rouille terne et que vous mettez des émaux extrêmement brillants sur l’autre partie ?
MDLF. : Oui. J’aime jouer entre la terre, matière bien ferme, et le reste.
JR. : Vous avez, comme nous l’avons déjà dit, appelé cette série « les cabossées ». Est-ce que celles qui sont conçues avec les bois flottés ont également une définition générique ?
MDLF. : Un terme générique, non. Mais une série s’intitule « dormir ».
JR. : Est-ce la forme qui vous a donné l’idée ou l’inverse ? Comment fonctionnez-vous ? Les titres découlent-ils de l’œuvre ? Ou le contraire ?
MDLF. : Les titres viennent a posteriori. Je ne pars jamais d’une idée. Je pars d’un objet. Un objet qui m’emmène… Dans ce cas, il m’a emmenée à « dormir ».
JR. : Mais il me semble que dans le cas de celle qui s’intitule « dormir », le titre fait redondance avec la sculpture ? Sont-ils tous dans le même cas ? Ou bien certains sont-ils en opposition, ou différents de l’œuvre ?
MDLF. : En opposition, jamais. Redondants, parfois. Ou complémentaires.
JR. : Je voulais aussi vous demander si vous sculptez depuis longtemps dans cet état d’esprit de dualité ?
MDLF. : Environ deux ans. Et avant je faisais du graphisme, donc je viens de la couleur. Car j’ai aussi besoin de couleur. Il me faut les matières, la couleur et le mouvement.
JR. : Et cependant, vous n’avez que des couleurs douces ; pas de couleurs vives.
MDLF. : Pas dans celles-ci. Mais, en fait, même quand je mets des couleurs vives, il est essentiel de toujours voir la couleur de la terre. Je ne peux pas mettre de l’émail opaque qui cacherait la matière.
JR. : Dans cet esprit, vous n’auriez pas envie de les laisser couleur de terre, tout simplement, sans intervenir du tout dessus ?
MDLF. : Non, je ne masque que partiellement. Les mats posés sur une terre blanche peuvent être très différents.
JR. : Pour la brillance ? Ou pour le contraste entre ce qui reste de terre visible et les autres couleurs ?
MDLF. : Pour les deux.
JR. : Aimeriez-vous ajouter quelque chose à ce que nous avons dit ?
MDLF. : J’aimerais simplement ajouter que je ne fais jamais un croquis de ce que je vais réaliser. Je travaille spontanément.
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Maison de la Cheminée, le 15 mai 2010.