CLAUDINE DUMUR SCULPTEUR
Entretien avec Jeanine Rivais.
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Jeanine Rivais : Claudine Dumur, vous êtes sculpteur. Parlez-nous de la façon dont vous êtes arrivée à ces populations de petits personnages par deux, trois ou quatre.
Claudine Dumur : Je fais de la céramique depuis longtemps. J'ai commencé de façon instinctive. Je faisais des familles. Ces groupes en sont un peu l'évolution. J'ai voulu simplifier et, depuis un moment j'ai modifié ma technique. Je fais moins de rondes-bosses qu'avant. L'argile a un côté souple Ces nouvelles créations sont plus ludiques. Je travaille aussi le jeu de mots. Je les appelle "Bandes organisées", parce que je travaille sur des bandes d'argile.
JR. : Vous dites "c'est plus souple", et cependant vos personnages sont extrêmement raides, réduits à leur plus simple expression, avec peut-être des pieds qui seraient cachés par les vêtements ; mais en tout cas sans bras. Pourquoi sans bras ?
CD. : Je simplifie. Et peut-être est-ce parce que, dans la vie courante, mes bras me gênent pour dormir, même s'ils m'aident pour beaucoup de choses ! Je crois que c'est la volonté de simplifier à l'extrême, parvenir à l'essentiel de la personne. Et que, dans ce cas, j'essaie plutôt de saisir l'expression. Tout en cherchant malgré tout le mouvement.
JR. : Vous faites du raku, mais même dans ce cas, vous le faites après avoir appliqué des émaux.
CD. : Oui. Mais attention, beaucoup de gens confondent raku et terres enfumées. Le raku d'origine avait de l'émail.
JR. : Oui. Mais à l'origine, les Japonais qui faisaient du raku, le faisaient surtout pour des poteries culinaires.
CD. : Oui. Des bols, pour les cérémonies. Mais ils étaient émaillés avec un émail très sobre.
JR. : Quand vous avez des personnages "cuits" et "émaillés", qu'est-ce qui vous a donne l'envie de passer par le raku ? Qu'est-ce qu'il ajoute à vos œuvres ?
CD. : Cela a tout changé. Avant de connaître le raku, je n'émaillais pas du tout. L'émail ne m'intéressait pas, parce que je le trouvais figé. Inerte. Pas beau.
Avec le raku, il y a l'épreuve du feu, la matière, le contraste entre la terre qui était noire au départ et propose à la fin de magnifiques reflets métalliques… Tout cela me fascine.
Je suis dans cette période. Mais j'évolue assez vite. Cela ne veut pas dire que je ferai toujours ce genre de création.
JR. : Vos petits personnages stylisés, dont nous parlions tout à l'heure, et dont nous avons évoqué la raideur et l'absence de membres, ont des visages qui me font penser à de petites pendules !
CD. : On me fait souvent cette réflexion. On me dit aussi "poupées russes"…
JR. : En fait, chaque visage a deux traits pour les sourcils, un minuscule trait pour la bouche, et une courbe pour le nez. Plus deux petits yeux réduits à d'infimes points. Cependant, vous essayez que les uns soient gais, les autres étonnés, dubitatifs, etc., toutes sortes d'expressions qui sont évoquées juste par ces lignes et points.
Par contre, sur vos grandes sculptures raku, les personnages sont dans une sorte de symbiose, d'amitié, peut-être d'amour ? En tout cas, on y sent beaucoup de tendresse. Pourquoi semblez-vous plus portée vers ces petites sculptures nouvelles que vers les grandes ?
CD. : Mais la tendresse, je la vois aussi dans les petites.
JR. : Oui, elle peut y être. Mais les grandes donnent l'impression que les personnages sont enlacés, "en vie" ; alors que les petits me semblent uniquement "posés" côte à côte.
CD. : Ils vous paraissent plus statiques ?
JR. : Oui. Infiniment. En fait, je n'y vois même aucun mouvement. Tandis que les grandes sont "mobiles", bien qu'elles soient plates aussi. Il y a une vie sentimentale que je ne trouve pas dans les petites. Les complicités dans les petites sculptures me semblent moins évidentes que dans les grandes. Par exemple, le personnage couché sur la tête des trois autres ne génère pas une scène "de vie". Ce peut être une scène de bateleurs, de cirque…
Tandis que, ce que j'aime, c'est par exemple l'œuvre où l'un des personnages a la tête penchée sur l'épaule de l'autre, dans une attitude d'abandon, d'intimité. On peut penser à une mère et sa fille, deux femmes dans une amitié ; une autre propose un homme et une femme…
CD. : Ce n'est pas toujours défini au niveau du sexe. Mais à cause du mouvement, j'ai intitulé l'une d'elles "Vent du soir", parce que la robe flotte au vent.
JR. : Les grandes oeuvres proposent un mouvement que je dirai humain (même si cela peut paraître un truisme). Alors que je ne le retrouve pas dans vos petits personnages. Comment passez-vous de l'un à l'autre ?
CD. : Cela me paraît naturel. Ils me semblent dans la continuité. Mais cette remarque m'intéresse, parce que je ne m'étais pas posé la question.
JR. : Vos couleurs sont complètement différentes. Il y a moins de clinquant dans les grandes que dans les petites. Et le mouvement du vêtement semble beaucoup plus naturel. On devine dessous des "vrais" corps, ce qui n'est pas le cas pour vos petits personnages stylisés.
Vous envisagez de continuer cette série ?
CD. : Comme je le disais tout à l'heure, je ne sais pas. C'est pour le moment, un aspect de mon travail. Je travaille en général sans modèle préconçu.
JR. : Par ailleurs, si je prends votre représentation de la terre, je la rapprocherais davantage de l'artisanat que de l'art.
CD. : Pourquoi ?
JR. : Parce que ce globe est dans une recherche uniquement esthétique, pas psychologique. Par moments, j'ai l'impression que vous l'avez réalisée avec des petits bonshommes. D'autres fois, je crois que ce sont des lettres de l'alphabet ? Je n'arrive pas vraiment à déterminer comment elle est composée. Je vois bien que vous avez travaillé la relation entre les vides et les pleins. Mais elle ne me semble pas relever d'une recherche comparable à celle de vos grandes sculptures, dans lesquelles vous avez essentiellement cherché l'humain.
CD. : Oui, il est vrai que pour la terre, j'ai surtout travaillé sur la composition. Tout en cherchant à exprimer le rassemblement.
Pour les petites sculptures, je m'interroge. Je ne sais pas comment je vais évoluer ?
JR. : Dans la mesure où vous avez réduit les corps à leur plus simple expression que l'on pourrait définir comme un tube vertical même si c'est une plaque, vous avez supprimé leur liberté d'action. Et le fait que ce soit des groupes parfois un peu nombreux, leur enlève leur autonomie. En outre, en enlevant les bras, vous les avez privés d'une grande partie des possibles expressions : les bras servent à enlacer, à se protéger le visage, etc. Pour eux, c'est impossible.
CD. : Mais dans les grandes sculptures, les bras sont toujours collés !
JR. : Oui, mais ils sont présents. Ils jouent sur l'allure du personnage. Ils élargissent leurs épaules, et le spectateur les voit. Alors que dans les petites, il a le sentiment d'un manque.
Il est vrai que cela vous a amené la couleur. Et vous avez deux palettes : les couleurs des grandes sont beaucoup plus sobres et sombres ; celles des petites ne sont pas du tout travaillées de la même façon, plus vives, plus "crues". Et si, comme j'ai cru le comprendre, vous avez l'intention de transférer les couleurs des petites sur les grandes, vous allez exprimer tout à fait autre chose.
CD. : Oui. Tout à fait. Mais je n'ai pas encore fait le pas. J'ignore si finalement, je le ferai. Je m'interroge vraiment à ce sujet. J'ai peur qu'en procédant de cette manière, j'efface du sentiment.
JR. : Mais vous en mettrez d'autres !
CD. : Oui. Mais est-ce que ce seront ceux que je voudrais mettre ? Je réfléchis. Entre ce que j'ai et ce que je projette, il y a encore un grand écart.
JR. : Question habituelle : y a-t-il autre chose que vous auriez aimé que je vous demande et que je n'ai pas demandé ?
CD. : Non, parce que je n'ai absolument pas l'habitude des interviews.
JR. : Oui, mais peut-être y a-t-il intuitivement des sujets dont vous auriez aimé parler. C'est encore tout à fait le moment.
CD. : Je peux ajouter que, parallèlement à ce travail, j'ai un parcours peut-être pas d'éducatrice, mais plutôt d'animatrice d'atelier. Et je crois que cela influence mon travail.
JR. : Vous voulez dire qu'ayant des élèves complètement novices dans le travail de la terre, vous avez été obligée de simplifier au maximum vos propres œuvres ?
CD. : Je ne sais pas. Peut-être ? Je ne sais pas si c'est le bon chemin ?
JR. : Mais si c'est le vôtre, il est forcément bon !
CD. : En tout cas, je sais que, quel que soit le but, il n'est pas encore atteint.
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Grotte du Roure, le 15 mai 2010.