Jeanine Rivais : Lydie Foliot, comment définissez-vous votre travail ?
Lydie Foliot : Je dirai « illustration ».
JR. : Illustration de quoi ?
LF. : Illustration de la vie, l’actualité…
JR. : Vous partez donc directement du vécu ?
LF. : Oui, uniquement du vécu.
JR. : Tout de même, si je regarde les deux paires de jambes qui sont en face de nous, n’ont-elles pas un problème ? Ne sont-elles un peu raides ?
LF. : Non, parce qu’elles sont dans la rencontre. La fille est sur la pointe des pieds pour embrasser le garçon. Et, sur un autre tableau, c’est la rupture ! Elle est sur le départ, parce qu’elle a un pied en avant.
JR. : Finalement, c’est par la suggestion de la gestuelle, que le spectateur en vient à recréer toute une histoire ? Une histoire sur un diptyque, en plus.
LF. : Oui. Chacun recrée cette histoire comme il l’entend. J’ai mon histoire, mais je laisse libre cours à chacun pour inventer la sienne.
JR. : Si nous prenons par exemple le diptyque des bigoudis au salon, nous constatons qu’à l’inverse des dames qui, habituellement, vont chez le coiffeur pour se détendre, vos femmes ont un air tout à fait malheureux. Pourquoi ?
LF. : Parce qu’elles sont très inquiètes de la coiffure qu’elles vont avoir. Pour les femmes, la coiffure est très importante. Quand elles ne vont pas bien, elles décident de changer de coiffure, et elles ressortent contentes ou pas contentes. Là, elles ne savent pas encore comment elles seront coiffées.
JR. : Si je prends la femme de droite, donc celle qui est encore dans l’expectative, elle a une tête au moins d’adolescente sinon d’adulte, mais elle a sa poupée à côté d’elle…
LF. : Pour la rassurer.
JR. : Il reste donc une part d’enfance ?
LF. : Oui, toujours dans mes tableaux.
JR. : Cependant, cette poupée est à côté d’elle, mais elle ne la touche pas, elle ne la regarde même pas. Comment ce jouet peut-il la rassurer, dans la mesure où il ne semble pas y avoir de relation entre eux deux ? Ils sont dans le même fauteuil, c’est tout !
LF. : La poupée est là, tout simplement.
JR. : Sur l’un des autres tableaux, vous marquez « Arrêt de bus », mais lorsque je les ai vus, j’ai pensé qu’il pouvait s’agir de couvertures de livres ? Est-ce exact ? Sinon, où sommes-nous ?
LF. : Les personnages sont dans la rue, simplement. Ils sont en hésitation.
JR. : Sur tous vos tableaux, vous avez choisi des fonds qui existent et se remarquent, mais qui sont non signifiants.
LF. : En effet. Ce sont les personnages qui sont importants. Le fond doit être effacé par les personnages.
JR. : Dans ce cas, pourquoi avez-vous marqué « bus » ? Parce que ce mot crée une connotation précise !
LF. : Pour emprunter une voie.
JR. : Donc, là, vous ne nous laissez pas le choix ?
LF. : Là, non ! Là, c’est une orientation.
JR. : Si je prends tous vos tableaux les uns après les autres, c’est une série d’angoisses, d’inquiétudes…
LF. : D’addictions. De travers du comportement humain qui peut être grave ou léger.
JR. : Vous avez l’air pleine de vie et d’optimisme. Comment se fait-il que vos personnages soient aussi noirs ?
LF. : C’est que j’aime les travers. Ce n’est pas la qualité qui m’intéresse. On clame toujours la qualité, mais moi j’aime bien les défauts. Dans ma série « jeunes », par exemple, la fille est toujours un top model, mais elle est toujours seule. Elle est toujours en représentation, mais elle est seule dans la vie.
JR. : Vous m’avez dit tout à l’heure que vous avez quatre filles. C’est véritablement une tribu féminine : est-ce que malgré tout, il y a la solitude ?
LF. : Absolument pas. Mais dans mes tableaux, j’en ai besoin. Ou de légèreté, d’ailleurs. On peut voir qu’ils sont perdus, mais peut-être vont-ils partir vers quelque chose de bien, à un moment-clé de la vie où l’on choisit une orientation.
JR. : Oui, mais ils ont des visages tellement résignés que l’on se demande comment ils peuvent arriver à décider d’un chemin ?
LF. : Des fois, on les trouve, les signes du chemin !
JR. : En somme, la démarche serait pessimiste, mais la morale serait optimiste ?
LF. : Oui, toujours.
JR. : Et pourtant, vous n’avez dans l’ensemble, que des couleurs sombres dans les fonds. Avec des personnages parfois clairs, mais le plus souvent également sombres. Toujours pour corroborer cette impression d’hésitation ? D’angoisse ?
LF. : Oui.
JR. : On peut donc dire que c’est une peinture sociale ?
LF. : Ah oui ! Je suis infirmière de bloc, dans la vie. Je pratique le social dans ma vie, comme dans ma vie professionnelle.
JR. : C’est donc une projection des aléas de votre vie, professionnelle surtout ?
LF. : C’est un exutoire. Je suis au bloc en viscéral pédiatrique chez les petits. Ma peinture est vraiment un exutoire.
JR. : Et, en admettant que vous n’ayez pas eu cette solution libératoire, seriez-vous devenue votre propre patiente ? Peut-on dire que c’est en même temps une thérapie ?
LF. : Pour la première question, je ne sais pas. Mais non, ce n’est pas une thérapie je vais très bien dans ma vie. Ma peinture est mon oxygène, pour que je me sente bien dans mon travail.
JR. : Vous êtes donc confrontée à une réalité qui est dure, et à un moment donné, vous reproduisez cette dureté, cette angoisse, les aléas de toutes ces épreuves. N’êtes-vous jamais tentée de prendre le contre-pied ?
LF. : Non. Pas pour l’instant, en tout cas.
JR. : Mais alors pourquoi ce parti pris de fond non signifiant ? Il pourrait renforcer encore l’idée que vous développez ?
LF. : Toujours pour faire ressortir le personnage. Pour moi, l’humain est essentiel. A part dans la série des jeunes où j’ai travaillé dans un esprit graphique, l’humain est essentiel.
JR. : Et ces petits crobars que vous avez mis à côté…
LF. : Ce sont des têtes en l’air ! Elles symbolisent la liberté.
JR. : Oui, c’est l’impression que j’avais. Les personnages sont dans un mouvement très large. Ils sont donc l’antithèse des tableaux ?
LF. : Oui. Liberté totale.
JR. : Et on le sent d’autant plus qu’elles sont filiformes dans leur gestuelle, alors que les autres sont plutôt tassées, refermées.
Nous sommes donc dans deux créations un peu antithétiques ?
LF. : Oui. Eux sont vraiment l’opposé des autres.
JR. : « Eux » qui sont d’ailleurs toujours « elles » !
LF. : En effet. Je n’ai pas fait de garçons.
JR. : Y a-t-il d’autres questions que vous auriez aimé que je vous pose ?
LF. : Oui, dans quelle catégorie je me range, parce que je me sens vraiment bien avec les Singuliers.
JR. : Le festival s’intitule aussi « Art d’aujourd’hui ». Donc, vous vous sentez plutôt dans cette seconde catégorie ?
LF. : Voilà. Et je voudrais ajouter que mon travail est en constante évolution.
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Maison de la cheminée, le 15 mai 2010.