Jeanine Rivais : Kim Kimberly, vous venez de me dire que vous présentez à Bézu votre première exposition. Vous semblez déjà avoir une œuvre qui a du sens, qui est déjà composée, comment se fait-il que vous n’avez jamais exposé ?
Kim Kimberly : J’ai fait de nombreuses autres choses : j’ai fait de la danse, du maquillage. Et puis, j’ai eu un petit accident, et maintenant je me consacre exclusivement aux arts plastiques. En outre, c’est la première fois que je me sens prête à montrer mon travail. Avant, je me disais que c’était un passe-temps, que je ne travaillais pas sérieusement… Mais maintenant, j’ai de nombreux tableaux auxquels je tiens beaucoup : je suis « prête » !
JR. : Vous avez apporté deux facettes de votre travail : peinture et sculpture. La sculpture est uniquement de la Récup’. On peut dire que vous avez bûcheronné des troncs, dont vous avez pris des morceaux pour les peindre : quels aspects spécifiques doivent avoir ces bûches pour que vous ayez envie de les conserver pour réaliser une sculpture ?
KK. : Je regarde la forme, la couleur, la texture… A vrai dire, j’ai commencé par hasard ! Nous nous servons des bûches pour nous chauffer l’hiver. Et un soir, j’en ai rentré une qui ressemblait tellement à mon mari –mon mari, c’est ma muse- que j’ai eu envie de lui mettre un visage !
Et maintenant, je cherche un visage. Je tiens compte de la texture qui va bien rendre ou non ce visage. Jusqu’à présent, je ne me suis pas préoccupée des corps… Peut-être dans le futur ?
JR. : Donc, à partir du moment où vous avez saisi un possible visage, vous accentuez les traits avec de la peinture ? Ou avec un ajout ? Sur l’une des sculptures, je vois du papier transparent ; ailleurs un CD Rom… Vous avez fait parfois une chevelure avec des bouts de laine… A quel moment décidez-vous de partir de la forme et de vous contenter de peindre pour accentuer les traits ? Ou quand décidez-vous que vous allez ajouter quelque chose ?
KK. : Je décide toujours après avoir peint les traits. Je me dis : « Tiens, celui-ci a la bouche ouverte… on dirait qu’il veut manger quelque chose ... » Et puis, je les conçois toujours par deux, homme et femme, ensemble. Je change beaucoup, également. Parfois deux ou trois mois après, je décide d’enlever ou d’ajouter quelque chose. Jusqu’au moment où je sens qu’il ne faut plus que je les touche. Qu’ils sont « prêts ».
JR. : La plupart de vos couleurs sont très vives : des rouges, des jaunes… En procédant ainsi, vous cachez complètement le bois. Il ne reste que les formes, l’un fendu par le coin, l’autre… etc. Pourquoi voulez-vous supprimer l’apparence du bois ? Et qu’est-ce que vous supprimez ?
KK. : Je travaille avec les couleurs fluo, et avec le noir. Je choisis ce qui va le mieux avec la lumière bleue. Et je m’assure que cela brille. En fait, ce n’est pas compliqué !
JR. : L’autre partie de ce que vous présentez, sont des peintures. Et, vos peintures nous ramènent à vos origines : Et je suis obligée de vous demander ce qu’elles sont, car vous semblez pratiquer l’anglais plus facilement que le français.
KK. : Je suis américaine, de Chicago. Mais j’habite en France depuis pas mal de temps. Et je travaille dans l’art depuis que je suis ici. (En fait, je travaille en effet la toile et le bois, mais c’est le bois qui m’intéresse le plus). Aux Etats-Unis, on est toujours soumis à la ségrégation : on est « blanc » ou on est « noir ». Ou on me prend pour une Afro-américaine. Et quand je suis allée en Afrique, je me suis inspirée de l’art africain.
JR. : Justement, il me semble que dans vos peintures, puisque vous dites que ce sont les toutes premières, on retrouve beaucoup plus le problème de vos origines que dans vos sculptures. Quand il voit vos peintures, le spectateur se dit que vous êtes forcément une artiste noire. Se pose alors le problème de la négritude. Le vivez-vous bien quand vous êtes aux Etats-Unis ? Et ensuite, quand vous êtes en France ?
KK. : C’est la même chose ! Mais comme je vous l’ai dit, mon mari est ma muse, et souvent je le mets ou je me mets, ou je nous mets dans mes tableaux. Par exemple, le couple que j’ai apporté, c’est mon mari et moi en vacances. J’aime tracer les lignes de nos visages.
JR. : Cependant, vous introduisez d’autres notions : sur l’un des tableaux, je vois ce que je crois être deux femmes. Quand vous représentez deux femmes en train de s’embrasser, c’est que vous voulez également représenter le problème de l’homophobie ?
KK. : Non. Je suis artiste, et je rencontre de nombreuses personnes toujours différentes. Aucun problème de cette nature ne me dérange. Simplement, maintenant, tout le monde embrasse tout le monde ! Alors, puisque cela existe, j’ai voulu montrer que, moi aussi, je peux le faire. Et, dans certains cas, je fais de gros yeux et de grosses bouches, et je me dis que ce sera bien s’ils sont en train de s’embrasser !
Pour moi, l’art ne me sert pas à démontrer quoi que ce soit. C’est simplement l’expression de la couleur, et si je suis fatiguée de ma palette marron, je fais des filles de toutes les couleurs !
JR. : Parlons d’un de vos tableaux qui est un peu différent : vous avez plusieurs personnages, et vous avez essayé de recréer une scène. Vous avez installé un orchestre avec plusieurs musiciens et la chanteuse qui est tout à fait dans le style afro avec sa coiffure très gonflée, etc. Ce tableau est différent des autres, parce que c’est une scène et non des personnages plaqués. Vous avez complètement contemporanéisé l’ambiance, avec les lumières qui clignotent. Il s’agit donc d’un orchestre dans un lieu un peu psychédélique ?
KK. : En fait, j’ai créé une association, dans la région. Et la chanteuse est une de mes amies. Elle a sorti un disque cette année, et ceci est un de ses spectacles qui m’a inspirée.
JR. :Dans cette scène ou celle de votre couple, vous essayez d’être réaliste ; Par contre vous êtes plus parodique dans le cas du tableau où un homme tire une langue si énorme qu’elle fait penser à un cigare, tandis qu’en face de lui un autre personnage a les yeux qui lui sortent –littéralement- de la tête ! A moins qu’il ne s’agisse d’un masque ?
KK. : Non, ce sont les yeux qui sortent de sa tête ! Il est tellement mal à l’aise à cause de toutes les choses qui se passent dans le monde ; et autour de lui où il est sans arrêt maltraité, qu’il est obsédé par la race humaine. Il veut regarder le monde avec des yeux d’oiseau de proie !
JR. : Pour terminer, y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose ? Des sujets que vous auriez souhaité traiter et que nous n’avons pas évoqués ?
KK. : Peut-être pourriez-vous me demander où et quand aura lieu ma deuxième exposition ? Et je vous répondrais que ce sera à la maison, comme d’habitude !
Non, c’est une boutade, et je pense que vous avez posé les bonnes questions ! Et je voudrais ajouter que je suis très heureuse d’être à ce festival.
JR. : Bienvenue, donc, dans le monde de l’art !
Cet entretien a été réalisé au Grand Baz’Art à Bézu, le 16 mai 2010.