PASCAL MARCEL, peintre

Entretien avec Jeanine Rivais.

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pascal marcel
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Jeanine Rivais : Pascal Marcel, y a-t-il longtemps que vous peignez ?

            Pascal Marcel : Il y a à peu près vingt-cinq ans. J'avais une vingtaine d'années. Au début, j'exerçais un métier indépendant de la peinture, et de temps en temps, je faisais des expositions. Puis, en 93, j'ai ouvert une galerie que j'ai gardée pendant sept ans. Depuis, je ne fais que de la peinture, et je travaille pour des galeries.

 

            JR. : Quand j'ai vu votre travail, j'ai pensé à une peinture sociale, un peu satirique, un peu misérabiliste. Est-ce que cela résume votre esprit, ou non ?

            PM. : Je ne sais pas du tout pour exprimer des idées : "je peins" ! J'ai commencé un travail très classique. Pendant quelques années je suis passé à l'abstrait. Puis, j'ai essayé de faire un mélange des deux, sans chercher à laisser un message. Ce qui compte, c'est que je m'amuse derrière mon chevalet.

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JR. : Vous vous amusez donc en gris !

            PM. : J'aime beaucoup le gris. C'est une couleur très vaste dans laquelle on peut faire beaucoup de nuances.

 

            JR. : Toutes vos œuvres parlent de l'humain. De l'humain rarement seul. Diriez-vous que ce sont des scènes de famille, des scènes de rues…

            PM. : Cela dépend des jours, de l'inspiration. Par exemple, j'ai fait une série sur le Facteur Cheval, une autre sur Peau d'Ane, sur l'Arche de Noé… J'ai des séries que je laisse "revenir", ce sont elles qui décident.

 

            JR. : Quand je vous disais "vous vous amusez en gris", je voulais dire qu'aucun de vos personnages n'est placé sur un fond signifiant. Vous peignez au pinceau, ou au couteau ?

            PM. : Oui, d'abord au pinceau, avec des couches très diluées pour faire des mises en place. Puis, avec des brosses chargées de matière. Et je termine au couteau. Pas partout, parce que j'aime bien laisser des traces de pinceau.

 

            JR. : Je voulais en venir au fait que n'étant sur aucun fond signifiant, et portant des vêtements hors de toute indication d'époque, vos personnages sont impossibles à situer historiquement, géographiquement, sociologiquement… Encore que, sociologiquement, je les situerais intuitivement –mais ceci est très subjectif- plutôt misérabilistes. Mais autrement, aucun critère ne me vient en aide. Pourquoi cette volonté de les rendre atemporels ?

            PM. : J'aime beaucoup les peintures du Moyen-âge. Je crois que la conception du vêtement vient de là ?

 

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            JR. : Mais les peintures du Moyen-âge sont très connotées !

            PM. : Oui, bien sûr. Disons que je les ai modernisées à ma façon. En gardant les vêtements longs. En mettant beaucoup de couleurs. En faisant beaucoup de fautes de perspective.

 

            JR. : Justement, cela allait être une de mes questions : il me semble qu'il n'y ait aucune perspective dans vos œuvres. Tous vos personnages sont situés sur un même plan. Dans ce sens-là, en effet, cela peut nous ramener au Moyen-âge.

            PM. : Tout de même, bien que j'aime infiniment ces vieilles peintures, je ne les copie pas. Je pense simplement que je m'en inspire.

 

            JR. : Vous évoquez les longs vêtements. Est-ce un simple clin d'œil à vos "sources" ? Ou est-ce pour suggérer un quelconque milieu social, bien qu'il ne soit pas sur le tableau ?

            PM. : Non. Il n'y a aucune indication particulière. A vrai dire, je n'ai pas d'explication. Peut-être est-ce pour remplir l'espace ?

 

            JR. : Sur certains de vos tableaux, le personnage est très "complet". Par contre, vous en avez d'autres où un des éléments de la tête est à peine visible, voire très primaire. Pourquoi êtes-vous parfois très précis, et d'autres fois seulement allusif ?

            PM. : Je crois que, lorsque l'on a longtemps peint du figuratif réaliste, il en reste toujours quelque chose. Mais quand on devient plus libre, ce que je préfère, c'est juste de faire des clairs-obscurs. Lumière d'un côté du visage, ombre de l'autre. Je ne cherche pas à faire un portrait. C'est une indication, c'est tout. Si je peux en enlever encore plus, cela me convient tout à fait.

 

            JR. : Ce qui est curieux, c'est que vos personnages sont pratiquement tous de face, et cependant le visiteur a toujours l'impression qu'ils sont à moitié de profil. Comment réalisez-vous ce tour de force ?

            PM. : Je ne le fais pas exprès. Ce n'est pas calculé. C'est le dessin qui se compose tout seul de cette façon. J'ajoute de la couleur. Je laisse faire la peinture chaque fois que c'est possible. Pour arriver quelquefois –mais pas toujours- à quelque chose qui me surprenne.

 

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JR. : Avez-vous le sentiment de vous rattacher à une quelconque mouvance picturale ? Ou bien vous sentez-vous complètement singulier dans votre démarche, au sens de hors-les-normes ?

            PM. : Je ne pense pas être singulier ?

 

            JR. : Donc, vous êtes là au titre de "L'art d'aujourd'hui" ?

            PM. : Oui, plutôt. Et je n'ai vraiment aucune d'idée d'une mouvance à laquelle j'aimerais me rattacher. En fait, je n'aimerais pas me sentir rattaché à une mouvance. J'essaie de prendre un peu dans les unes ou les autres, et de faire quelque chose d'autre.

 

            JR. : Je dirai, et cela peut sembler un paradoxe, que votre travail paraît très coloré, alors qu'en fait, vous utilisez très peu de couleurs différentes. J'en compte environ quatre ?

            PM. : Oui, du rouge, marron, gris. Quasiment jamais de vert…

 

            JR. : Et quand vous mettez du jaune, c'est uniquement une petite pointe pour rehausser une ligne, un détail…

            PM. : Oui.

 

            JR. : Pourquoi ce parti pris de sobriété, parce qu'en fait vous pourriez peindre les mêmes personnages dans des couleurs plus vives, ou avec plus de couleurs ?

            PM. : Je n'aime pas trop charger. J'aime qu'il y ait de l'espace autour de mes personnages.

 

            JR. : Cela se sent, parce qu'à de rares exceptions près, tous investissent le centre, et l'espace autour d'eux est vide.

Revenons au rouge; Vous dites l'aimer beaucoup. Et cependant, vous ne l'utilisez jamais à l'état pur. Tantôt vous repassez d'autres couleurs dessus, ou même vous le maculez de noir. Tantôt, vous faites passer le pinceau à contresens, de façon à créer des matités sur ce qui était brillant… J'ai le sentiment que vous utilisez le rouge pour faire une pointe lumineuse par rapport aux autres couleurs. Est-ce que c'est dans cet esprit-là que vous l'utilisez ?

            PM. : En fait, j'utilise plusieurs rouges : un vermillon, celui qui donne la lumière ; et puis un rouge indien qui est le plus sombre, pour créer le côté ombre. Et si je veux le foncer encore plus, je mets du marron.

 

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JR. : Le rouge ne serait donc bien là que ponctuellement ?        

PM. : Pour la lumière. Comme j'utilise parfois le blanc sur le bleu…

 

            JR. : Quand j'ai vu votre travail pour la première fois, j'ai tout de suite introduit de la psychologie dedans. J'ai tout à fait conscience, qu'en procédant ainsi, je suis très subjective. Et vous m'avez dit tout à l'heure, que non, qu'il ne s'agissait pas de social. Mais il me semble quand même –sans vouloir me cramponner à ma première impression- que votre travail serait un témoignage de couches plutôt défavorisées ? Mais vous pouvez tout à fait ne pas être d'accord !

            PM. : Je pense que chaque personne qui regarde un tableau ressent une émotion qui peut être très différente de celle d'une autre.

 

            JR. : Et certains de vos visiteurs trouvent que vos tableaux sont gais ?

            PM. : Oui. D'autres les ont trouvés très agressifs !

 

            JR. : Je n'avais pas du tout ressenti cela ; A part cette impression récurrente que vos personnages sont en souffrance, je ne trouve dedans aucune agressivité. Par contre, j'y ressens de la tristesse, du mal-être. Cela me semble évident à mesure que je les regarde !

            PM. : Peut-être de la nostalgie ? Mais pas de mal-être ! En tout cas, ce n'est pas mon état d'esprit.

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JR. : Y a-t-il d'autres sujets que vous auriez aimé aborder ? Des questions que vous auriez aimé entendre ?

            PM. : Non, parce que je trouve que c'est beaucoup de questions à la fois, et que je n'ai pas l'habitude. Par contre, j'aime cette idée du personnage au milieu avec beaucoup d'espace autour de lui. C'est une idée qui me correspond, parce que j'aime bien respirer, avoir de l'espace autour de moi, être assez libre.

 

            JR. : Vous voulez dire que chaque tableau aurait au moins un des personnages qui serait autobiographique ?

            PM. : Peut-être, mais je n'en suis pas encore tout à fait sûr !

 

            JR. : Alors, rendez-vous dans dix ans ?

            PM. : Avec plaisir !

 

            Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 16 mai 2010.