FREDERIQUE MARIN, peintre

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Frédérique Marin, comment définissez-vous votre travail ?

            Frédérique Marin : Je réponds tout de suite que c’est un travail beaucoup plus viscéral qu’intellectuel, et qu’il a pour moi valeur de thérapie.

 

            JR. : A savoir un travail extrêmement dense, et toujours en ascension ? Avec une composition plus légère à mesure que vous montez ?

            FM. : Toujours. J’avais commencé ce genre de travail voici quelques années, mais j’ai été atteinte de la Maladie de Parkinson. J’ai commencé à rencontrer divers problèmes, mais on ne savait pas encore sur quels éléments ils interviendraient. Finalement, c’est mon dessin qui a changé. Il a évolué. Plus de lignes droites qui sont devenues mes plus grandes ennemies. Désormais, donc, tout en rondeur, en force, en dynamisme, en puissance. Et en grand format, parce qu’il est évident que je ne peux plus faire les choses minutieuses. En grand format, je travaille plus avec le geste, avec la main. Le geste plus ample me convient.

            Dans certains, ressort toute mon angoisse. Ainsi, dans l’un d’eux, je me suis aperçue que ce qui était sorti en premier était la main, mon principal problème bien sûr. C’est en ce sens que je parle de thérapie, parce que c’est le moyen par lequel je me sens mieux dans ma vie.

 

            JR. : Ainsi, du fait de votre maladie, vous avez complètement changé la composition de vos tableaux : Il y a chaque fois un personnage central, mi-humain, mi-animal.

            FM. : Oui, un être en mutation, qui passe, qui se cherche, qui est en train d’évoluer.

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JR. : Vous avez expliqué pourquoi vous n’avez plus de lignes droites. Mais je vois des lignes tout à fait coordonnées, régulières : cela signifie donc que, dans la gestuelle, vous dominez votre problème.

            FM. : Dans le geste, dans l’ampleur. Oui.

 

            JR. : Comment définissez-vous ces sortes de personnages que nous venons d’évoquer ? Je les vois à demi humains, mais vous, comment les voyez-vous ?

            FM. : C’est un travail viscéral. Mais je crois que tout était dit dans le premier que j’ai fait. Je travaille beaucoup par séries. Certaines séries comportent jusqu’à cinquante tableaux, de façon à tout accaparer, en venir à des moments plus apaisés, plus tranquilles.

 

            JR. : Malgré ce que vous affirmez, on peut dire que vous êtes revenue à un travail extrêmement minutieux, d’où sont absentes les coulures qui étaient dans les anciennes œuvres, avec vos grands personnages noirs et rouges ?

            Que représentaient ces coulures ? Représentaient-elles votre souffrance à ne plus dominer le sujet comme vous l’auriez voulu ?

            FM. : Oui. Certainement.

 

            JR. : Et cependant, chacun de vos petits personnages est extrêmement travaillé. Et, mis à part celui dont vous avez dit qu’il était le premier, où le personnage avait la tête dans son ventre, et où l’on voyait qu’il s’agissait bien d’un travail tripal au sens littéral du mot, et non pas au sens psychologique comme on l’emploie souvent, les autres comme celui que vous avez intitulé « Pulpeuse », semblent coquets, (vous avez mis des plumes, etc.). Il y a manifestement un effort de coquetterie dans cette manifestation picturale douloureuse ?

            FM. : Oui, on y retrouve l’angoisse, mais peut-être un peu dissimulée par un essai humoristique. Les dames s’appellent « Pulpeuse », « Mademoiselle »… Par contre, elles vous suivent des yeux de droite à gauche, elles ne vous lâchent pas, que vous soyez n’importe où dans la pièce !

 

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JR. : Vous dites de vos grands personnages noirs et rouges, qu’ils sont tripaux. Mais je trouve qu’ils sont aussi cérébraux. Car, vous avez beaucoup travaillé la tête. Il y a infiniment de choses dans les cerveaux. Et de choses diverses.

            FM. : Oui. Je sais que ce qui m’attend, c’est une opération du cerveau. Peut-être est-ce cette angoisse supplémentaire que j’ai voulu exprimer ?

 

            JR. : En somme, vous détaillez le cerveau, comme si vous vouliez bien le connaître au cas où on le modifierait ?

            FM. : Oui. Ou l’idée que ce soit éventuellement par là que les soucis vont arriver ? Il est vrai que beaucoup de mes cerveaux ont quelque chose qui vit…

 

            JR. : Parfois, vous avez même, dans le cerveau, une série de personnages qui crient. Etait-ce pour vous, une période particulièrement douloureuse ? Ou est-ce une façon d’exprimer votre souffrance au jour le jour ?

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FM. : Il s’agissait, dans ce tableau, d’un « Vélo boa », sans aucun rapport entre le boa et le vélo ! Cette série qui appartient à l’Art singulier, impressionne beaucoup de gens. L’un des tableaux représente un Christ qui n’a rien de très particulier. En fait, à l’origine, il s’agissait d’un fourreau, et c’est devenu un Christ, parce que je n’étais pas maître de mon dessin.

 

            JR. : Mais quand vous me dites « j’en ai fait une série qui appartiennent à l’Art singulier », est-ce parce que vous pensez être à Banne au titre de l’ « Art d’aujourd’hui » ?

            FM. : Je ne sais même pas si on peut appeler «art » ce travail, puisque, comme je vous l’ai dit, moi je l’appelle « thérapie » ?

 

            JR. : Mais l’art thérapie  est désormais considérée comme un art !

            FM. : Beaucoup de mes œuvres pourraient aller dans des « valises » différentes !

 

            JR. : Vous n’avez jamais essayé de contacter l’Art cru Muséum, à Bordeaux, parce que je pense que votre travail pourrait intéresser Guy Lafargue ?

            FM. : Non, je ne connais pas ce musée.

 

           JR. : Y a-t-il eu une raison pour que vous quittiez le rouge et noir, pour passer à du blanc et noir, avec juste une infime pointe de rouge qui ne sert plus que de faire-valoir au noir et blanc, alors qu’avant, il entrait dans la composition du tableau ?

            FM. : Non ! C’est ainsi !

 

            Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Salle d’Art actuel, le 14 mai 2010.

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