Alors, lui qui dessinait depuis l'enfance, qu'est-ce qui aurait pu l'empêcher de "raconter" en images des histoires imaginaires ? Tout aussi narratives que celles d'avant !

            Tout aussi pleines d'écritures, d'ailleurs. Car, à l'instar des artistes d'Art brut pour qui l'écriture était un "acte" qui leur permettait d'exister, pour eux-mêmes et pour les autres, Huub Niessen s'est lancé dans une création qui hésite entre bande dessinée, illustration comparable aux iconographies choisies par les copistes de manuscrits, ou encore de pages illustrées façon Shadocks… Et il est à remarquer que, si parfois ces écritures sont vraiment signifiantes, narrant tout ou partie de l'aventure mise en scène sur le papier, souvent elles ne sont que cursives, ténues et très penchées. A moins que, placées autour de l'œuvre tel un capiton, constituant le sol d'une colline, remplaçant les nuages dans un ciel… elles n'aient aussi valeur "psychologique", "géographique"… tout en remplissant esthétiquement des espaces autour des dessins.

            Car les dessins sont la partie essentielle de l'œuvre de cet artiste. Exécutés en technique mixte, encre de Chine et crayons de couleurs aquarellables, d'une linéarité remarquablement fine, eux aussi. "Racontant" ici une scène amoureuse ; là un conciliabule entre femmes venant de se rencontrer ; la vie à domicile, chacun réfugié sous sa cloche de verre ; une marchande ambulante promenant son éventaire sur sa bicyclette … Migration d'oiseaux au-dessus d'un village, et multiples rencontres entre bêtes et gens, comme dans le dessin intitulé "St. Franciscus", où un humain se prosterne devant le saint (hippocampe) à qui il présente un mouton en offrande. Car dans le monde de ce dessinateur, comme dans les fables d'Esope, bêtes et gens se parlent et se comprennent.

Tout cela développé en un mélange d'humour et d'intelligence, les mœurs des animaux fournissant un équivalent acceptable des mœurs humaines. A partir de là, il ne faut donc pas y chercher un document d'ordre zoologique, car Huub Niessen se sert indifféremment des uns ou des autres pour narrer ce qui le titille.

            Ainsi, de l'écriture qui lui offre la possibilité de se situer et de créer un "espace" à lui, pour lui, au dessin qui lui permet de présenter graphiquement sur une page ses pensées, ses obsessions, ses doutes, ses interrogations, sous l'apparence d'une sorte de bestiaire onirique, l'artiste est-il parvenu à garder un sens à sa vie. C'est en donnant vie à ces éléments qu'il a prouvé que ce sens existait, que lui-même existait. Et c'est en voyant tour à tour l'amusement, la réflexion, le scepticisme, l'enthousiasme… de ses visiteurs, qu'il s'est senti moins seul, parce que toute forme d'expression artistique paraît insuffisante à accomplir sa fonction esthétique et à s'assumer entièrement, si elle n'est complétée par la parole de l'artiste. Et surtout par son lien avec les autres.

                                                                                                Jeanine Rivais.