En 2010, 59 artistes de toutes origines, ont couvert ces cimaises, allant des créations d'Art brut, à toutes les variantes de l'Art singulier. Le festival a été officiellement ouvert par un cocktail et des discours. Après les remerciements, le Président de la Compagnie des Arts singuliers en Méditerranée qui a prononcé le premier, a sidéré le public, en déclarant qu'à un ami lui demandant ce qu'était "un artiste singulier", il n'avait pas su répondre. Dommage pour le premier représentant de cette mouvance, dans l'une des régions de France les plus riches en arts marginaux ! Qui a d'ailleurs a aggravé son cas, en évoquant la possibilité que la police soit dans les environs, d'où la nécessité de ne nommer les gens que par leur prénom : "Danielle J., Clément D.", etc. Effet démagogique, tombé à plat, parce que personne n'a compris l'allusion. Et certainement pas à la hauteur de la qualité du festival ! Démagogie qui a complètement oblitéré les quelques passages heureusement plus intéressants de son discours, comme ce qui suit : "... Avec Danielle, ils ont choisi des artistes venus d'un peu partout du pays de la terre, pour prouver avec véhémence que la culture peut être détermination de liberté, et surtout de résistance au "tout est permis" financier ; à cette culture "correcte"… qui, prétend régenter le monde. Alors nous, avec tous ces artistes forcément immenses à nos yeux, nous allons vous emmener sur les chemins de traverses, sinueux et caillouteux à souhait. En vous invitant à suivre l'oiseau à la cime de ces arbres, et de là-haut, découvrir un autre monde, une autre façon de le voir…"

            Puis est venue l'Attachée culturelle d'Aubagne, qui d'emblée a su résumer le but du festival : "Réussir à faire d'univers et d'identités multiples, un seul et même univers fait d'œuvres qui nous touchent, nous émeuvent, nous font passer du rire aux larmes…". Passant par le malaise provoqué de nos jours dans le milieu artistique, par les insuffisances gouvernementales… Citant, pour terminer, deux phrases de l'actuel Président uruguayen, "J'aime le penser comme quelqu'un aime se baigner dans des piscines pleines d'intelligences d'autrui" ; et "Nous avons besoin de réfléchir, de créer un type de culture qui se répande dans l'air, dans les foyers, et qui s'installe dans les cuisines et les salles de bain". Concluant que ces "dits" amenaient chacun au cœur de ce qu'est l'Art singulier : un art "permettant cette capacité créative, cette capacité de faire du beau, qui est aussi populaire". Ajoutant que "le peuple et le beau sont indissociables" ; Concluant pas une invite à venir et revenir visiter "cet univers fourmillant, coloré, et tellement multiple…"

Enfin, avec sa verve, sa hargne, son humour légendaires, ce fut le tour de celle qui fut la première à créer un festival situé dans la marginalité. Celle qui, depuis presque deux décennies anime ce festival, et l'a fait passer d'une modeste manifestation, à ce qu'il est devenu aujourd'hui : une fête, une manifestation internationalement réputée : Danielle Jacqui, Celle qui peint.

            "Vous avez entendu beaucoup de discours. Et nous, nous ne sommes pas gens de discours. Nous, nous ne cherchons rien du tout, sauf à sortir notre cœur, notre ventre, notre cœur dans le ventre. Et, si des remerciements doivent être exprimés ici, c'est pour les artistes. Pour les artistes qui se déplacent jusqu'à Aubagne. Qui donnent le meilleur d'eux-mêmes. Et qui ne comptent pas, alors qu'ils se déplacent à leurs frais, qu'ils se logent à leurs frais. Ce qui est très difficile pour eux. Et tout à coup, qui vous offrent sans compter, le meilleur d'eux-mêmes.

            Alors, quand des villes comme Aubagne peuvent se glorifier d'avoir une œuvre maîtresse d'une artiste que je dirai "en organugamme", c'est mon mot… En organugamme parce qu'elle a eu le courage de travailler plus de quatorze ans sur la même œuvre. Ce qui signifie qu'elle n'a pas travaillé pour faire de l'argent. Elle a travaillé pour mettre sa vie en jeu dans une œuvre d'art qu'elle vous offre. C'est cela qu'il faut faire. Il ne faut pas faire de discours. Il faut pleurer des larmes de bonheur, à voir les efforts, à voir tout ce que font, tout ce que donnent les artistes. A mon sens, c'est la seule chose qu'on puisse dire.

            Une ville, qui comprenne l'Art singulier, cet art qui est complètement hors les normes, qu'on a fait sortir des sentiers et qui s'exprime ainsi, c'est glorieux à elle de s'y intéresser ! Mais, en quelque sorte, c'est normal. C'est le reste qui est anormal. Ce qui est anormal, c'est qu'on ne s'y intéresse pas. Voilà ce que je voulais vous dire.

Mais j'aurais plus à vous dire, parce que moi, maintenant, je suis une vieille dame. Je suis une femme, et je suis une vieille dame. En tant que vieille dame, j'ai changé de figure. Et il y a un racisme qui s'exerce sur les vieux. Or, quand on est un artiste, on est de plus en plus jeune dans son expression. On dépasse les rides, on dépasse l'usure du corps. On est jeune, de plus en plus jeune. Ce que je veux dire, c'est que la retraite est une chose exécrable. Et que, tous, vous devez prendre les personnes qui vont devenir de plus en plus des jeunes parce qu'elles ont duré… Vous devez les intégrer. En ce moment, je supporte quelque chose qui est très difficile à vivre. Je ne veux pas être exclue. Je veux pouvoir profiter de quarante années d'efforts. Je parle pour moi, mais je parle pour beaucoup d'autres. Voilà ce que j'avais à vous dire."

Une salve d'applaudissements comme en ont rarement les orateurs des festivals d'Art singulier, salue longuement et chaleureusement, cette déclaration enflammée.

A AUBAGNE LE 31 JUILLET 2010.