Tout le monde sait, depuis plusieurs siècles et les bancs de l'Ecole primaire, que Parmentier a "inventé" la pomme de terre ! Et que, depuis, elle nourrit le monde, grâce à ses tiges souterraines de taille variable et de forme oblongue, plus ou moins allongée, cylindrique, lisse ou bosselée… Il en va de même pour les "pommes de terre" de Serge Paillard, qui, lui, nourrit poétiquement l'imaginaire des visiteurs, depuis qu'il s'est lancé dans une série imitative de ce tubercule !
Et que d'aventures il leur fait vivre ! Il y a "la Pomme d'éternité" couverte de petites étoiles ; "Celle au karma déficient" dont le visage comprimé entre des sortes de membres désarticulés, est partagé entre rire et interrogation ; "La Pomme de terre du 10 au 17 juillet", sorte de chrysalide au visage rigolard : dans cet état physique protégé, sans doute "pense-t-elle" avoir une vie très rose devant elle ? Et puis, il y a "La Pomme de terre au portrait", à peine visible en filigrane dans la matière granulée d'"yeux", ce qui laisse supposer qu'un jour, elle émergera de cette sorte de magma… la pomme de terre en forme de cœur, les deux ventricules mamelonnés, terminés par des tétins/germes sur lesquels –comble du réalisme- poussent de minuscules racines comparables à celles du tubercule réel ; "La Pomme de terre menhir", plus noix de coco que menhir, dont l'intérieur ressemble au flux sanguin des veines que remontait Raquel Welch miniaturisée dans le "Voyage fantastique" de Richard Fleischer !
On pourrait à l'infini citer, telle une litanie, les titres de toutes ces pommes de terre, au long desquelles Serge Paillard emmène le spectateur, de l'humour né de la distorsion entre réel et imitation, et de la fantaisie des titres, au cheminement le plus fantasmagorique de gestation d'individus ; en passant par l'ironie, la sagesse compassée, le sérieux d'un Professeur Tournesol peaufinant chacun des éléments de son invention !...
Car chacune de ces pommes de terre est dûment protégée par une épaisse cloison noire, qui établit sa structure. Et voilà, l'artiste "entré", contraint de s'"approcher" pour créer l'"habitat" de l'allochtone déjà placé : Commence alors une longue histoire d’amour entre lui et son sujet : Le nez collé dessus, il va déployer toute son imagination pour l’orner, le piqueter d’infimes pointillés contre-à-contre, le guillocher de mille minuscules lignes brisées parallèles... le tout réalisé à petits coups de son crayon très fin, en noir et blanc, de rares fois en couleurs lorsque "La Pomme de terre" (est) "en colère", en des épaisseurs concentriques (mais peut-on dire concentriques vu la fantaisie des formes décidées par l'artiste ?)
Une fois achevé ce travail de dentellière, ténu au point d'être parfois arachnéen, chaque "être", chaque "nid" pour un futur individu, est parfaitement placé au centre de la feuille, roide malgré les multiples courbes et contre-courbes, immobile, immuable dans sa fixité. Latent ? Qui sait ?
Jeanine Rivais.
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