Laurent Vernier : Je me rattache plutôt à la Figuration narrative des années 60. La génération Combas a à peine cinquante ans. Dans mon travail, j’aime bien…

 

JR. : Des œuvres qui sont un peu parodiques ?

LV. : En effet. Par exemple, pourquoi « la vache qui rit » ? Parce qu’elle m’a énormément marqué au cours de mon enfance.

 

JR. : Vous présentez des œuvres surlignées, très violentes et très noires. Pourquoi ce besoin de ces traits noirs, surtout dans la série des Christs ? Est-ce pour vous affirmer ? D’autant que vous pratiquez souvent le paradoxe : ainsi, l’un de vos Christs est-il manifestement en souffrance, il bave même. Et en même temps, vous mettez des fleurs ? Sommes-nous en effet revenus aux années 60 ? Est-ce encore la mémoire qui joue, évoquant l’époque hippie ? Ou est-ce vraiment de la dérision ? N’y a-t-il pas des sujets autres ? Une façon d’aller dans des sujets autres que ceux du passé ?

LV. : Par la forme, oui, tout à fait.

Mais pourquoi le Christ ? Il est une "figure sacrée" de l'art occidental, "notre" culture est imprégnée de "sa pensée" (Judéo-chrétienne) et de son mythe. Son image, son apparence, sont un sujet d'étude depuis le Moyen Âge.

Je pense que par tradition, un peintre doit traiter, à sa façon, les genres et les sujets....Pour ce qui me concerne, n'étant pas croyant, mais m'intéressant à cette histoire, j'ai encore une fois envie de prolonger cet héritage, en la réinterprétant...

 

JR. : En même temps, quand vous reprenez des tableaux de Picasso, on évoque tout de suite des référents sociaux.

LV : L'idée du référent est très importante. Pour évoluer dans la vie et donc dans la peinture, il faut avoir des bases, une "culture" à laquelle se référer.

Mes bases, en tant qu'artiste, sont notamment les peintres d'hier, et donc Picasso. Il est, avec d'autres, l'artiste qui a modifié au XXe siècle notre vision de l'art. Il a lui aussi, traité beaucoup de sujets ayant pour origines (filiations), des réalisations de "Maîtres". Picasso étant devenu un maître, à mon tour j'essaye de prolonger cet héritage dans cette série.

 

JR. : Par ailleurs, le temps est dans le découpage du tableau, pas dans l’œuvre elle-même, en fait. A partir du moment où vous l’enfermez dans un cadre géométrique, est-ce pour obtenir une histoire continue sur le même sujet ?

Et, de façon récurrente, vous peignez des triptyques ? Est-ce parce que vous avez l'impression de ne pas tout exprimer sur un seul tableau ?

LV. : Non, j’aime bien le 3… Pour rester dans le même registre que la question précédente, dans la religion catholique, le chiffre trois est lié à la trinité..., au sacré, c'est aussi une série qui s'arrête... c'est surtout un chiffre de stabilité et d'harmonie.

 

JR. : Votre personnage nous emmène vers l’idée qu’il soit militaire, et donc vers la guerre de 14…

LV. : Il y a, certes, l’idée de la violence de l’homme, mais pas l’idée du militaire.

 

JR. : Elle est néanmoins intuitive, surtout si le spectateur est un peu âgé, au vu du vêtement du personnage, avec son col droit … Même si les insignes n’y sont pas.

LV. : Je n’ai justement pas voulu les mettre, parce que l’individu aurait alors été trop personnalisé.

JR. : Y a-t-il autre chose, dont vous auriez aimé parler ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n’ai pas posées ? Et peut-on dire que vous êtes en train de fouir pour vous débarrasser du passé et aller au-delà ?

LV. : En m'appropriant l'imagerie populaire, politique et religieuse, je joue des oppositions, des contradictions formelles ou conceptuelles, j'y mêle ma vision imprégnée de mes centres d'intérêt, de mon histoire personnelle et familiale. Cette quête me permet d'affirmer mon style pictural : les traits, les lignes qui structurent le dessin et la couleur me permettent de traiter et de relater les grandes problématiques humaines : D'où venons-nous ? Qui et que sommes-nous ? Où allons-nous ?"*

Cette idée est ici moins présente, même si je cherche un « moi » dans mes fantasmes, dans mes rêves…

 

 *Voir page du catalogue.

Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Salle d'art actuel, le 15 mai 2010.