Jeanine Rivais : Catherine Wolff, comment définissez-vous votre travail ?
Catherine Wolff : Bonne question ! Un travail glauque !
JR. : Cette définition ne veut pas dire grand-chose !
CW. : Pas franchement Art singulier !
JR. : Vous êtes donc à Banne au titre de l’Art d’aujourd’hui ?
CW. : Oui, plutôt.
JR. : Votre souci est apparemment l’humain. Et, même lorsque l’humain devient dérisoire, il reste humain ?
CW. : Oui, il reste humain. Ce que j’aime, en fait, c’est la relation entre l’homme et la femme, je peux jouer à travers cela, et ensuite je les déguise un peu. Mais effectivement, ils restent humains.
JR. : Je ne suis pas sûre de comprendre pourquoi vous dites « jouer » avec la relation homme/femme : nous ne sommes pas ici dans cette relation. Nous sommes dans la relation homme-habillé-en-femme autour desquels évoluent de minuscules personnages ailés qui sont, des anges ?
CW. : Non, ce sont des hommes. Et le grand personnage n’en a peut-être pas l’air, mais c’est une femme « pour de vrai ». Il y a en général une ambiguïté.
JR. : Dans chaque oeuvre, vous avez une façon de casser l’existence humaine en créant soit une sorte de paradoxe, soit de danger. Ainsi, l’une de vos femmes est lovée dans le creux d’un tronc d’arbre. Au-dessus d’elle, se penche ce qui pourrait être un satyre à tête de cochon, qui la menace. Mais elle n’a pas du tout l’air inquiète. Est-elle consentante ? Est-elle prête à se laisser agresser ? Ou sont-ils là dans un jeu ? Que se passe-t-il ?
CW. : Je vous laisse répondre ! Car je n’ai pas de réponse ! Je lance une idée, elle exprime ce que j’avais à dire, il ne me revient donc pas d’expliquer. En fait, j’évite toujours de donner des réponses, parce qu’elles ne m’appartiennent pas. Moi, je pose une situation entre des personnages ; avec un titre qui permet d’élargir et d’ouvrir la situation. A celui qui regarde, de trouver sa réponse, en fonction de son propre ressenti !
JR. : Plus inquiétant, me semble le tableau (mais peut-être sommes-nous encore dans le jeu ?) où un homme a son sexe posé sur un ballon et tient une petite poupée ? Un petit personnage ? Est-il en train de le démembrer ? Ou est-il en train de le présenter au public ?
CW. : En fait, la maison de poupée est devant.
JR. : Mais c’est une cage à oiseau !
CW. : Oui, mais là encore, c’est pareil, je complique, je pars dans le jeu. Je donne le titre qui, ici, est tiré d’une pièce d’Ibsen. Souvent, le personnage est en suspens, il est dans un mouvement qui s’arrête… Après, cela ne me regarde plus. C’est au spectateur de conclure.
JR. : Dans la mesure où presque tous vos tableaux sont sur des fonds non signifiants…
CW. : Ce sont presque des huis clos…
JR. : C’était la fin de ma phrase !
CW. : En effet. Puisque ce qui m’intéresse est la relation homme/femme, cela ne m’intéresse pas trop, de les placer dans un huis clos, et de voir ce qui se passe. Je pose une situation comme un metteur en scène, et après, mes personnages sont « libres de… ».
JR. : Dans le tableau évoqué à l’instant, il nous faut bien regarder aussi la tête du personnage, extrêmement méchant, sévère, alors que le ballon évoque l’idée du jeu. Et pourquoi a-t-il posé son sexe sur le ballon ?
CW. : Pour créer le contraste entre ce personnage qui se voudrait gentil, joueur, presque enfantin, et la réalité. Le ballon peut, en effet, créer l’idée de jeu. Mais derrière le jeu, il n’y a rien de rigolo ! Il y a une menace inhérente à ce personnage…
JR. : Que dire, ou alors je n’ai pas vu la réalité, sur cette œuvre où l’un des personnages est agenouillé au bord d’un plateau sur lequel se trouve un second personnage, ou plutôt une autre tête, une partie de corps. Le premier a-t-il démembré le second ? Mais comme apparemment, il tient un cœur dans la main, alors, que se passe-t-il ? Où est le corps de ce deuxième personnage qui continue néanmoins à tenir un périscope ?
CW. : En fait, cela ne se voit peut-être pas, mais ce monsieur est vraquier (il vend de la marchandise en vrac). Et le « plateau » est en fait une sorte de barge. Il y a là l’idée de la submersion…
JR. : Diriez-vous que nous sommes dans une apparition ? Ou une disparition ? Le premier est-il en train d’ajouter des « morceaux » du second, ou en a-t-il déjà soustrait des éléments ? Le bateau s’enfonce-t-il ?
CW. : Non, le bateau est très bien. C’est le personnage qui est dedans qui est « en vrac » !
JR. : Et pourquoi ? Est-ce « le Radeau de la Méduse » revisité ?
CW. : En fait, je me suis inspirée d’une exposition intitulée « Crime et Châtiment »* qui m’a surprise par sa violence. Et j’ai voulu reprendre l’idée.
Il y a ainsi plein de clins d’œil dans mon travail. Lorsqu’une idée m’intéresse je n’hésite pas à la reprendre.
JR. : Dans votre approche hommes/femmes, les hommes sont souvent chauves. Si les femmes le sont également, vous remplacez les cheveux par des fleurs. Il s’agit de fleurs de buddleia ?
CW. : Oui, ce qu’on appelle « l’arbre à papillons ». Les hommes sont des papillons, et voilà !
Je trouve que ce qui est assez troublant par rapport à ma finesse à moi, c’est la mise à nu totale de mes personnages. Cela est fait non pour provoquer, mais sans fioritures, parfois même de façon assez austère.
JR. : Vous avez commencé l’entretien en disant que votre peinture était « glauque ». Ce n’est pas la peinture qui est glauque, même si elle suscite beaucoup d’interrogations, ce qui l’est par contre, ce sont vos couleurs. D’autant que le spectateur a l’impression que chacun de vos personnages a été raclé : travaillez-vous au couteau ?
CW. : Non, au pinceau. Ce sont les sous-couches qui donnent cette impression. Mais pour cette série que j’ai apportée, les couleurs ne sont pas très glauques, beaucoup moins que ce que je fais d’habitude.
JR. : En tout cas, elles sont très harmonieuses. Et cette façon de mélanger des bruns avec peut-être du blanc, et en tout cas un peu de jaune, donne des teintes très « chair ». Et cette façon longiligne de travailler met en relief chaque élément musculaire des corps de vos personnages.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises, l’importance des titres, dans votre travail.
CW. : Oui, ils sont très importants. Je pars d’un titre, j’élabore l’histoire à partir de là. Et j’aime bien qu’il y ait un paradoxe entre le titre et l’œuvre. Souvent, ils créent un humour.
JR. : Mais ici, l’humour ne peut être que dans « J’aime tes phéromones ». Dans les autres, il n’y a pas d’humour.
CW. : C’est vrai. C’est à cause de la sélection que j’ai faite pour ce festival.
Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Salle d’Art actuel, le 14 mai 2010.
* Exposition au Musée d’Orsay, à Paris, en 2010.