ZABEL MAMIZA, peintre

Entretien avec Jeanine Rivais.

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mamiza
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Jeanine Rivais : Zabel Mamiza, quelle est l'origine de votre nom ?

            Zabel Mamiza : Mon véritable nom est Isabelle Rolandeau, mais tout le monde m'appelle Zabelle. Et Mamiza, parce que "Mamie Zabelle" !

 

            JR. : Finalement, ce pseudonyme un peu amusant et inattendu, est d'origine familiale ?

            ZM. : Oui, en effet. D'ailleurs, parfois, la famille a un regard assez critique sur mon travail ! Par exemple, pour le tableau sur lequel j'ai écrit "La vache Baba allaite la Res publica", j'avais fait des fleurs. Et le fond était simplement gratté. A la suite de leurs remarques, j'ai ajouté un jaune citron que je n'avais jamais utilisé auparavant !

mamiza 1
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JR. : Si je vous demande la définition de votre travail, que me répondez-vous ?

            ZM. : Je dirai que la couleur m'attire beaucoup, la vie, l'enfant, les petits souvenirs anodins qui, un jour, avec le recul, explosent. Ainsi, après réflexion, je peux me dire que j'ai peint mes trois frères. Comme j'en ai perdu un, c'est lui le plus important. Il était souvent dans la lune, et il reste désormais tous les souvenirs s'y rapportant.

Parmi mes personnages, il y a l'œil étonné, l'œil qui regarde vers l'avenir, celui qui regarde vers le passé. En fin de compte, j'essaie toujours d'avoir plusieurs expressions dans un même tableau. Il peut aussi m'arriver de mettre plusieurs yeux pour montrer l'étonnement, comme ce Noir en train de chanter, parce que, dans mon esprit, les Noirs chantent bien. Des souvenirs me reviennent, que je change parfois, pour aller vers l'humour : Par exemple, ma grand-mère me disait souvent qu'elle pendait son linge ou qu'elle pliait ses draps. Alors, j'ai pendu mon grand-père sur le fil à linge...

 

            JR. : On peut donc dire que votre travail, ce sont des petits moments du quotidien revisité, un peu fantasmé, chargé de souvenirs…

            ZM. : Voilà. Et j'essaie aussi d'ajouter un peu de poésie, parce que j'écris des poèmes. Par exemple, sur le tableau intitulé "Parking", mon handicapé va carrément sortir de son parking, grâce à une sorte de cerf-volant qui va l'entraîner…

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            JR. : Quand vous travaillez ainsi sur deux parties bien séparées que vous réunissez, il y a donc une transgression de l'espace ?

            ZM. : Voilà. Tout à fait ! J'essaie de balancer une partie du tableau vers l'autre, en désirant que la plus positive éponge l'autre. Quand des petits cœurs verts ou rouges viennent se semer sur une partie, cela signifie qu'il y a déjà un mouvement ; qu'il y a un appel ; et que cela pourra aller plus loin. En plus, si je pense avoir raté quelque chose, je le garde et cela pourra devenir un élément d'un autre tableau. Ou je reproduis plusieurs fois un élément, comme la bosse du zébu…

 

            JR. : Et que pensez-vous que cela apporte, de mettre par exemple trois fois la même bosse dans des positions différentes ?

            ZM. : Je ne sais pas trop. J'ai l'impression que cela équilibre le tableau. Et, tant que ce n'est pas épuisé, que la peinture est encore fraîche, je trouve rigolo de faire pousser les choses. Sauf que les fleurs ou les arbres poussent à l'intérieur de la bosse, et que cela donne des fonds un peu plus variés.

 

            JR. : Dans votre travail, il y a la plupart du temps deux parties : une partie "habitée", et une partie qui l'est moins, qui sert de cadre à la partie habitée ?

            ZM. : Oui, c'est vrai. Je pense que cela vient de mon caractère ? Je suis "très habitée" et parfois j'ai du mal à faire ressortir ce qui est en moi. Alors, peut-être est-ce un peu de moi qui ressort ? Peut-être que je me répands un peu facilement sur la toile. Parce que, lorsque je vois des dessins que je faisais il y a très longtemps, sans être encore sûre de ce que je faisais, je pense qu'il y avait beaucoup de solitude.

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            JR. : Tous vos personnages, -sauf celui qui est handicapé et il faudrait m'expliquer pourquoi- nous regardent, nous qui sommes en off. Ils nous regardent : que nous disent-ils ?

            ZM. : Ils nous disent ce que chacun de nous a envie d'entendre. Avant, je faisais des personnages beaucoup plus lunaires. J'en fais encore, mais je me sens moins timide qu'autrefois, où c'était invivable, c'était vraiment l'horreur ! J'ai donc commencé à me libérer de tout ce qui était en moi. Et, de ce fait, je pense que mes œuvres interpellent davantage les gens.

 

            JR. : La partie que l'on pourrait dire "non habitée", dont nous avons dit tout à l'heure qu'elle mettait bien en relief celle qui est "habitée" par vos personnages, est toujours elle aussi très remplie. Des parties y sont maculées de taches, d'autres sont réalisées avec des charges de matière, d'autres encore proposent de la décoration, avec des petites fleurs, des pointillés presque obsessionnels, etc. A quel moment vous dites-vous que votre tableau est terminé, que vous ne pouvez plus rien ajouter. Que faut-il pour qu'il vous satisfasse ?

            ZM. : Ceci est "la" bonne question, parce que j'ai toujours l'impression que mon tableau n'est jamais terminé. En fait, je pense que chacun n'est qu'une toute petite lucarne. Mais beaucoup de peintres ne sont-ils pas dans ce cas ? Pour moi, c'est la peur du vide que j'ai ressenti pendant des années même si j'étais entourée. Le vide à combler. J'aime aussi cette touche un peu impressionniste, comme pour le "Van Gogh", où j'ai gardé le côté remplissage par touches successives. D'autre part, autant il peut être reposant, autant le vide peut être inquiétant. J'ai donc besoin de ponctuer, trouver un rythme un peu musical, apporter une sonorité à un personnage qui est un écho pour moi. Il me faut donc remplir, jusqu'à ce qu'arrive un moment où je me dis qu'il n'y a plus de place. Je me dis alors que le "trop" risque d'être trompeur…

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            JR. : On pourrait dire que vos personnages sont les bonshommes têtards des enfants ; mais qu'au dernier moment vous leur ajoutez des bras. Seulement, les bras n'ont pas d'épaisseur. Ils sont très linéarisés, terminés par de petites mains qui ont en général quatre doigts, en tout cas pas le bon nombre de doigts. Par ailleurs, aucun n'a de jambes : ils sont tous arrêtés soit au niveau de la jupe, en tout cas au niveau du bas du corps. Pourquoi les membres sont-ils aussi rudimentaires, ou absents ? (Seul "votre père" a des bras normaux !).

            ZM. : Je fais beaucoup de vélo : c'est peut-être pourquoi je leur mets des roulettes ? En fait, pour moi, les roulettes symbolisent le mouvement, alors qu'on peut avoir des jambes et être immobile !

            En fait, les arrêter au bas du corps me permet de les présenter davantage comme des portraits ; et de garder plus de place pour la tête qui, pour moi, est plus importante que ses bras et ses jambes, parce qu'elle pense. Les bras ne sont que des éléments télescopiques que je peux faire plus courts ou plus longs, selon qu'ils ont besoin d'attraper quelque chose, de voler, etc. Et puis, cela ajoute une notion d'humour.

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JR. : A propos d'humour, il me semble être surtout logé dans les titres ? Si je reprends celui évoqué plus haut, de "La vache Baba allaite la Res Publica", on voit bien l'implication politique, sociologique que ce titre veut évoquer, puisque cette vache a un pis dont les tétines sont "Liberté", Egalité, Fraternité", et qui est maculée de publicités. Nous sommes donc là tout à fait dans la dénonciation. Mais la plupart du temps, comme "Gober un zébu c'est bon pour la vue", nous sommes un peu dans la dérision. Que sont pour vous les titres ? Sont-ils une redondance du tableau ? Un complément ? Une antithèse ?

            ZM. : Ils sont tout simplement une réflexion dans le tableau. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un titre. C'est simplement une idée qui me fait rire, comme ce "Souk à la tomate", par exemple. Ce titre s'explique par le fait que la tomate est rouge ou rouge orangé, et comme je ne suis jamais allée dans les pays du Maghreb, c'est ainsi que j'imagine les couleurs des marchés, avec les épices, etc.

            Parfois, le titre peut être interprété de plusieurs façons, comme "Van Gogh peignant la nuit" : il peignait des scènes de nuit, mais il peignait aussi pendant la nuit. Pour le zébu, j'ai voulu faire un jeu de mots avec "Bézu", et son festival où nous nous trouvons. Cette idée remonte à très loin, du temps où, dans la voiture de mon oncle, je voyais des vaches autour du village, et où je m'exclamais "Tiens, voilà les zébus de Bézu" ! Et le zébu a une langue bien chargée de petits mots de bonheur…

 

            JR. : Vous avez à plusieurs reprises évoqué votre famille, vos frères… Néanmoins, les gens que vous peignez sont complètement atemporels. A part votre Noir et c'est ce qui m'amène à la question : Pourquoi, lui, a-t-il des HLM dans la tête ? Dans son ciel, en tout cas ?

            ZM. : Cela vient d'un quartier des Andelys, où se trouve une communauté malienne, et où personne ne s'occupe des gens… Pourtant, je trouve que cette société mixte est très intéressante, et que c'est une population épanouie. J'aime bien peindre des immeubles, parce qu'ils s'élèvent, et qu'ils sont donc un paradoxe avec la population délaissée. Je trouve que l'on devrait considérer philosophiquement ces situations : on élève des immeubles, donc on devrait élever les gens ! Alors qu'au contraire, on les écrase. Pour moi, plein de fenêtres signifie plein d'ouvertures, plein de gens…

 

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            JR. : Et puis, il y a une question à laquelle vous n'avez pas répondu tout à l'heure : je vous ai demandé pourquoi votre père, lui, avait des bras bien formés avec le bon nombre de doigts, et des ongles violemment dessinés au bout ?

            ZM. : Peut-être est-ce parce qu'il avait un métier manuel, il était chaudronnier, et que j'ai voulu faire ressortir davantage le travail des mains, avec lesquelles je l'ai toujours vu travailler. Ce sont les mains de mon père, les mains qui m'ont tenue sur ses genoux, qui m'ont appris à nager, à pêcher… Elles sont moins anonymes que celles de Van Gogh, par exemple, que je n'ai pas connu… Tout dépend en fait, si la main va être importante pour l'histoire du tableau, sa teneur… Pour le reste, c'est plutôt la tête, le regard et ce qu'il y a derrière…

 

            JR. : Question traditionnelle : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose et que je n'ai pas posées ? D'autres sujets que vous auriez aimé aborder ?

            ZM. : Je voudrais dire que je suis infiniment heureuse d'être à ce festival. J'ai l'impression d'être ici depuis des jours. J'ai la certitude que je vais échanger des idées avec les autres artistes. Franchement, je suis heureuse. Je ne vous connaissais pas, mais on m'avait parlé de vous, et suis enchantée d'avoir pu faire cet entretien !

Cet entretien a été réalisé au Grand Baz’Art à Bézu, le 16 mai 2010.