HELENE BLONDIN, peintre

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais

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Jeanine Smolec-Rivais : Hélène Blondin, quel a été votre itinéraire pour en arriver à cette série de portraits que vous présentez cette année ?

            Hélène Blondin : Voilà une quinzaine d'année que je peins, et les portraits sont arrivés après une série sur les bouches : c'était pratiquement des zooms sur les bouches. C'était un travail plutôt abstrait, dont je voulais me sortir, alors j'ai pris ces bouches et j'ai commencé à les poser sur les visages. Avec des rapports entre les expressions des yeux et de la bouche. Sur ces portraits, on voit qu'il n'y a pas de nez, c'est volontaire parce que je pense que beaucoup de choses passent par la bouche…

 

J.S-R : Il est vrai que certains n'ont qu'un espace entre les yeux et la bouche ; mais pour d'autres, vous avez tout de même dessiné l'arête du nez. Quand décidez-vous qu'ils n'ont pas du tout de nez ? Et pourquoi ? Et quand décidez-vous que, finalement, vous allez en évoquer un ?

H.B : Il doit y avoir une bonne part de hasard. Mais je pense que la plupart du temps, il n'y a pas de nez simplement pour que l'expression des yeux et de la bouche soient en relation.

 

J.S-R : Et à quoi cet espace vide correspond-il pour vous ?

H.B : A rien d'autre qu'à mettre l'œil et la bouche en avant.

 

J.S-R : Pourtant, tous ont de tout petits yeux et une toute petite bouche. Nous reparlerons de l'aspect de cette bouche mais il est évident qu'elle est petite dans chaque portrait. C'est donc un parti-pris que ce soit petit, mais que ce soit vivace ?

H.B : Oui.

 

J.S-R : Parlons d'abord des yeux. Parfois, ils n'ont pas de sourcils, comme dans votre trio ; d'autres fois les sourcils sont évoqués : Là encore, pourquoi ces choix ?

H.B : En fait, je ne me pose pas toutes ces questions quand je travaille !

 

J.S-R : Oui, mais une fois que vous avez fini, et que vous regardez votre tableau, vous devez bien remarquer qu'il y a ceci ou pas ?

H.B : Quelquefois, c'est pour appuyer le regard ; d'autres fois, simplement pour lui ajouter un peu de lumière. Parfois, je les cerne comme pour ajouter du maquillage.

 

J.S-R : Les bouches : Toutes sont extrêmement rouges, avec parfois les dents qui apparaissent, d'autres fois non. Même question, bien sûr !

H.B : Tout dépend comment je le ressens !

 

J.S-R : Certaines bouches sont parfaitement dessinées, pulpeuses et bien évoquées, très réalistes, en fait ; d'autres fois elles sont réduites à deux traits parallèles ! Pourquoi, là encore, des choix aussi contrastés ?

H.B : J'avais écrit, dans un petit catalogue : "La bouche, souvent entourée de bras, s'ouvre, tel un cri sans appel de secours. J'expose la déchirure abrupte, face à l'innommable fracture du vide. Cela me permet aussi d'appuyer sur la déstructuration et l'intériorisation de l'âme. L'âme qui passe par les bouches aussi. Quand on voit l'expression des bouches, on peut rentrer dans l'âme du portrait. La douleur, aussi, ou le bonheur".

 

J.S-R : J'en vois peu qui aient l'air heureuses.

H.B : Hier, quelqu'un m'a dit que c'étaient des amoureuses en attente…

 

J.S-R : Vous présentez là une galerie de portraits : ces portraits sont-ils partis de gens que vous connaissez et que vous auriez fantasmés ?

H.B : Ils sont complètement imaginaires. C'est un travail sur l'émotion. L'émotion qui passe par les yeux et la bouche.

 

J.S-R : Les bouches "dessinées" sont presque toutes en forme de trapèze dont le bas serait légèrement arrondi. Les têtes sont toutes entourées soit de ce que l'on peut considérer comme des cheveux, soit comme des coiffes. Pour vous, ce sont des cheveux ou des coiffes ?

H.B : Ce ne sont pas des cheveux, ce sont des coiffes. Ce sont des coiffes, un habillage autour des têtes.

 

J.S-R : Votre trio n'a ni coiffes ni cheveux. Un autre portrait a des cheveux très drus, longs. Et tous les autres ont un chapeau ou une coiffe. Cette coiffe est toujours conçue en plusieurs parties qui s'entrecroisent ou qui sont de part et d'autre d'une raie ou encore qui laissent carrément un espace entre les deux bavolets. Comment qualifiez-vous cette coiffe ? Je veux dire pourquoi est-elle ainsi séparée en plusieurs éléments ?

H.B : C'est une manière de l'équilibrer dans l'espace.

 

J.S-R : Quand vous avez choisi ainsi une coiffe dont les deux éléments sont séparés, ce sont en général des collages : les éléments de la coiffe présentent des morceaux de personnages…

H.B : Il y en a quatre avec des collages. Les autres sont un travail de peinture.

 

J.S-R : Ces coiffes collées me semblent être des morceaux de revues…

H.B : Ce sont des hommages à Klimt¹. Ce ne sont que des peintures de Klimt découpées. Sur l'une, ce sont des journaux, sur une autre, ce ne sont que des visages…

 

J.S-R : Justement, je voulais vous demander si tous ces visages choisis sont anonymes ou des visages de gens que vous connaîtriez ?  

H.B : Non. Ils sont découpés dans des revues.

 

J.S-R : Peut-on dire que, psychologiquement, ces petits personnages collés seraient des gens qui entoureraient votre personnage toujours seul au milieu de la toile ? Ou est-ce simplement un effet décoratif ?  

H.B : Non, ce n'est pas décoratif. C'est ce que l'on peut avoir en tête, ce qui fait partie de la mémoire de l'homme, ce qu'il connaît ou ne connaît pas, toutes les facettes qui sont en lui…

 

J.S-R : Tous vos personnages sont présentés en photos d'identité, sauf un ou deux –une ou deux, devrais-je dire- qui sont prises jusqu'au-dessous des seins, et à chaque fois les seins partent directement du cou ; ils sont hypertrophiés par rapport au cou. Ils sont très bien dessinés, pulpeux, très sensuels. Ces deux personnages féminins ont droit à une connotation sensuelle, les autres non ? En tout cas, pas de la même manière.

H.B : Je trouve qu'il y a de la sensualité dans tous les tableaux !

J.S-R : Tous ces êtres seuls au milieu de leur espace, sur un fond non signifiant, le sont-ils parce qu'ils aiment la solitude ? Ou bien sont-ils là, simplement comme "une galerie de portraits" ?

H.B : Le fond est plutôt neutre. Les visages sont essentiels ; comme il est essentiel que l'œil du regardeur ne se disperse pas. Qu'il se fixe sur les visages.

 

J.S-R : On peut donc dire que vous les avez voulus déconnotés socialement, géographiquement, historiquement, psychologiquement… En somme, ils sont atemporels.

H.B : Voilà. Oui, c'est bien cela.

 

J.S-R : Parlons de vos couleurs. Vous n'avez pas de couleurs éclatantes. Vous avez cependant une gamme de couleurs qui, sur le fond neutre où vous n'avez travaillé que la matière, votre personnage est chaque fois parfaitement linéarisé.

H.B : Oui.

 

J.S-R : Venons-en à ce trio, plutôt inattendu ! Comment se fait-il que ces personnages soient "en famille" ?

H.B : Je n'ai apporté qu'un trio ; mais j'avais fait de petites séries où j'avais créé des familles.

 

J.S-R : Tous vos personnages sont de face ; ils nous regardent. Devant eux, nous sommes donc à la fois le regardeur et le regardé : Nous venons d'essayer de les saisir, de nous en approcher… Mais eux, que nous disent-ils ?

H.B : Ils disent ce que chaque visiteur pense d'eux ! Je travaille, et une fois que j'ai fini j'ai comme principe que cela ne m'appartient plus. Que cela appartient au regard de ceux qui sont là. Et chacun les voit en fonction de ce qu'il est. Je laisse complètement ouvert le champ des interprétations. D'autant que, lorsque je montre des œuvres, je suis déjà dans un autre travail.

 

J.S-R : Qu'est-ce qui vous fait dire que le personnage qui porte –exceptionnellement- un chapeau plutôt qu'une coiffe, qui me semble un peu dubitatif ; avec des yeux tristes et une bouche ouverte comme d'étonnement, que cette personne est heureuse ? Ce que vous m'avez dit tout à l'heure.

H.B : Je la sens heureuse !

 

J.S-R : Nous sommes donc dans une impression complètement antithétique !

Quand vous revenez chez vous, étalez-vous tous ces personnages sur vos murs, pour qu'ils vous tiennent compagnie ?

H.B : Absolument pas ! Dans ma maison, je n'ai aucune toile de moi, parce que c'est déjà douloureux… Ou alors, elles sont très anciennes. Et, dans l'atelier, dès qu'une toile est finie je la tourne, et j'ai toujours un atelier sans rien.

 

J.S-R : Pourquoi dites-vous que c'est douloureux ? Vous voulez dire que vous les accouchez dans la douleur ? Que ce seraient, peut-être, comme autant d'autoportraits ?

H.B : Non. C'est l'acte de peindre. Ce serait autre chose que des portraits, ce serait aussi douloureux. L'acte de peindre est douloureux, parce qu'il est pour moi avant tout un acte physique, dont il s'agit de sortir l'essentiel : les émotions.

 

J.S-R : C'est donc un acte psychologique, pas seulement physique !

H.B : Physique dans le faire, dans le mouvement. Je travaille la matière au couteau, avec des gestes semblables à ceux d'un maçon avec sa truelle. Peut-être ne le ressent-on pas à la fin, mais c'est vraiment un travail un peu brut, de chantier. Que j'affine après, avec du recul. En fait, je travaille en plusieurs temps : un temps où je jette, une sorte de boulimie où il faut que tout sorte ; puis je les pose, je les tourne. Puis, quand je suis un peu vidée de tout cet émotionnel, je reviens dessus et je travaille de manière un peu plus affinée.

J.S-R : Vous voulez dire que, dans un premier temps vous bâtiriez vos murs, et ensuite, vous auriez deux temps où vous meubleriez votre maison ?

H.B : Voilà. Où j'affine un peu la recherche, où je reprends les couleurs, les expressions, jusqu'à ce que je sois sûre que sur un plan pictural les œuvres tiennent la route.

 

J.S-R : En tout cas, chacune est impressionnante. Et tous vos personnages ainsi côte à côte, le sont encore plus. Le spectateur se retrouve tout soudain avec tout un monde autour de lui, où il est regardé de tous côtés, jamais avec le même regard. Vous proposez une œuvre forte, qui est une œuvre à problèmes, qui ne laisse pas indifférent. On peut aimer ou ne pas aimer, mais en tout cas on est impressionné.

H.B : C'est mon but : ne pas laisser les gens indifférents !

Entretien réalisé pendant la Biennale Hors-les-Normes à la Piscine du Rhône, le 1er octobre 2011.

¹ Gustav Klimt, né le 14 juillet 1862 à Baumgarten près de Vienne, mort le 6 février 1918 à Vienne, est un peintre symboliste autrichien, et l'un des membres les plus en vue du mouvement Art nouveau de Vienne. Peintre de compositions à personnages, sujets allégoriques, figures, nus, portraits, paysages, dessinateur, décorateur, peintres de cartons de tapisseries, cartons de mosaïques, céramiste, lithographe.