KATI, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais.

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            Jeanine Smolec-Rivais : "Kati" est-il un pseudonyme, ou est-ce votre véritable prénom ?

            Kati : Je m'appelle Catherine, mais tout le monde m'appelle Kati. Mais j'ai voulu mettre une petite note de fantaisie. En fait, "Kati" est une ville du Mali et j'adore l'Afrique –où, d'ailleurs je ne suis jamais allée-, mais c'est une manière de mettre l'Afrique et moi en lien.

 

         J. S-R : Vous présentez plusieurs aspects de votre création : d'abord des bijoux, mais nous ne nous attarderons pas sur eux. Puis des tableaux et des sculptures.

         Les tableaux sont à la fois extrêmement décoratifs, et en même temps très psychologiques. Etes-vous d'accord avec cette approche ?

            K. : En fait, ce sont des dessins très psychologiques, parce que je pense que toute personne qui fait un dessin, met dessus une bonne part d'elle-même. Mais je le fais inconsciemment. Je ne me pose pas de questions. Je fais, et après il transparaît forcément quelque chose. Mais je pense qu'il y a dans mes tableaux, beaucoup de joie, beaucoup de sérénité.

 

            J. S-R : Ce que je voulais dire en parlant de "décoratifs", c'est que vos personnages sont tous au centre d'un monde de petits cœurs, soleils, fleurs, etc. Et c'est effectivement ce qui peut amener le visiteur à l'idée de sérénité, de bonheur, et de paix. Parce que tous sont en paix.

            K. : Oui. Il est vrai que ce que j'aime dans les arts primitifs, dans les arts africains, c'est le côté décoratif. Toutes ces petites touches de couleurs, de décors… Ce sont des choses qui me paraissent tellement naturelles que je ne sais pas trop comment les expliquer. Je suis complètement d'accord avec ce que vous dites, mais je ne sais pas comment l'expliquer.

 

         J. S-R : En général, vos personnages ont une tête dont on pourrait dire qu'elle est à peu près réaliste ; mais soudainement, le corps se dissout en une sorte de fleur à plusieurs bourgeons, ou en des sortes de serpentins, de mains, de limaces à demi lovées… D'autres n'ont qu'une tête sans corps… Pourquoi en voulez-vous ainsi à leurs corps ?

            K. : En fait, dans la vie de tous les jours, chacun a un corps, une partie du corps qui a une histoire… Ici une partie du corps m'intéresse, une autre ne m'intéresse pas…

 

            J. S-R : Il semblerait non pas que le corps ne vous intéresse pas, mais qu'il ne vous intéresse que si vous le fantasmez !

            K. : C'est vrai, mais je procède de cette façon tellement naturellement que je n'y songe même pas ! Je vois ces créations un peu comme une pieuvre : Ces corps semblent à première vue disparates, mais en fait ils sont reliés. Vous ne les voyez pas de cette façon ?

 

            J. S-R : Si, bien sûr, ils sont reliés aux têtes ! Mais d'ailleurs, de la tête elle-même, seul le visage est réaliste. L'un qui a ce qui me semble une "tête-maison" a une ouverture sur la joue. La tête d'un autre explose en une sorte de bouquet de fleurs qui, lui-même explose en des espèces d'ectoplasmes…

            K. : J'aime bien l'interprétation que vous en faites, je la trouve intéressante. Mais quand je fais mes dessins, je ne pense à rien.

 

            J. S-R : Tout de même, quand vous commencez une œuvre, vous devez bien avoir une idée ?

            K. : En fait, je déverse sur le papier tout ce que j'ai sur le cœur à un moment donné. Et, après, quand je regarde ce que j'ai mis, il m'arrive d'avoir l'impression que ce n'est pas moi qui l'ai fait, j'en suis un peu détachée. J'ai comme deux personnalités, ce que j'ai fait et ce que je suis après.

 

            J. S-R : Mais justement, puisque vous dites que vous en êtes détachée, vous devriez avoir la faculté d'analyser ce que vous avez posé sur le support.

            K. : Non, je ne veux pas ! Il est vrai qu'avant, je faisais de la peinture, je passais mon temps –et beaucoup de gens le sentaient- à analyser pourquoi je venais de faire ceci ou cela ; essayer de trouver des corrélations… Mais je me suis rendu compte que cela ne m'aidait pas. Au contraire. C'était comme une sorte de psychothérapie que j'aurais faite sur place. Tandis que là, dans ma vie, je me sens bien. Cela ne veut pas dire que je n'ai plus de problèmes, mais je n'ai plus envie de savoir ce que j'ai dans la tête ; j'ai envie de m'exprimer, de me sentir bien, de me sentir heureuse par rapport à ce que je fais. Et après, écouter l'interprétation des gens ; ce qu'ils y voient par rapport à leur vécu. Je me retire de cette attitude. Ce n'est plus mon histoire, c'est la leur.  

 

         J. S-R : D'autres œuvres me font, non plus penser à l'Afrique, mais à des icones- orientales peut-être-. Surtout ceux où vous avez des personnages que l'on pourrait dire "normaux". Avec des têtes "normales". Et cependant, votre instinct de les déformer surgit parfois…

            K. : En fait, là, il s'agit d'un chameau…

 

         J. S-R : Je n'avais pas du tout vu cela, je voyais un œil, une bosse… Et je cherchais à relier tout cela en un personnage ! Avec quelque chose qui lui sortirait de la tête. Mais alors, autant ces divagations formelles me semblait naturelles dans vos autres œuvres, autant ici elles me paraissent malsaines, angoissantes !

            K. : Ah oui ?

 

            J. S-R : Cet ajout me paraît comme un chancre… Qu'en pensez-vous ?

            K. : Pour moi, cette démarche me semble aussi naturelle que pour les autres tableaux. Je crois que tout est conçu dans le même esprit que les dessins. Dans le dessin, je laisse parler mon crayon, je ne réfléchis pas, l'évolution est spontanée. Il me semble qu'avec la peinture, on ne peut pas procéder ainsi. Je pense que c'est plus réfléchi.

            Et puis, en fait, pour l'un de ces tableaux, je me suis inspirée d'une photo de ma famille : c'est un bal, il y a des gens qui dansent. Alors, peut-être que, malgré ce que je crois, il y a des choses différentes. Mais peut-être aussi, que je ne vois pas les choses comme le spectateur ?

 

         J. S-R : Avant d'en venir à vos sculptures, je voudrais dire que vous êtes une magnifique coloriste. Vos toiles sont belles, elles sont harmonieuses, peintes dans des couleurs tendres. Malgré ce que nous venons de dire, il doit être agréable de les avoir sous les yeux. Non seulement, vos personnages sont souvent dans des situations de tendresse, comme ce couple en train de s'embrasser ; ou l'autre où ils sont carrément enlacés ; ailleurs; deux femmes placées dans une situation amicale, sont en train de parler…Même les oiseaux apparaissent "ensemble". Tout cela est renforcé par les couleurs qui, prises séparément, pourraient sembler acidulées : mais qui, placées ensemble donnent une impression de grande harmonie.

            K. : Je crois que c'est le reflet de ce que je suis, ici et aujourd'hui. Avec, comme tout le monde, un paquet d'histoires tortueuses. Aujourd'hui, je vais bien, je me sens bien, j'exprime mon bien-être !          

 

J. S-R : Vous êtes donc une artiste heureuse !

            K. : Oui, tout à fait.

 

         J. S-R : Venons-en à vos sculptures : elles sont à la fois dans le même esprit, et différentes de vos toiles. Dans le même esprit, parce que vous utilisez les mêmes couleurs ; Ensuite, elles sont dans des situations d'harmonie : ici un musicien, un magicien… Mais celui qui m'a le plus amusée, est votre famille nombreuse : on a l'impression qu'ils ont des enfants partout : des enfants qui sortent de leurs poches, des enfants entre leurs jambes (d'ailleurs, il y aurait psychologiquement beaucoup à dire sur ce petit enfant qui est niché entre les jambes de sa mère comme si elle venait de l'accoucher debout !)…

            K. : Dans ce couple, le sujet était une histoire d'amour : J'ai commencé en même temps deux tableaux avec des couples. Et, en travaillant, je me suis dit que l'amour, ce n'était pas forcément un couple ! Que ce pouvait aussi bien être la famille, les enfants, tout un ensemble de choses.

 

         J. S-R : Ce couple-là est vraiment plein d'amour. D'ailleurs, ce qui est amusant, c'est le cœur du père qui est bien visible.

            K. : Oui, et il a des cœurs partout, pour stigmatiser ces impressions que je voulais traduire.

 

         J. S-R : En quelle matière sont réalisées ces sculptures ?

            K. : Du papier mâché.

 

         J. S-R : Je trouve qu'à la façon dont vous les travaillez, la manière dont vous avez fait à l'un des cheveux un peu hirsutes, une barbe conquérante… on vous sent plus près des œuvres ; que vous les avez peaufinées, que vous êtes restée longuement dessus; En somme, elles me semblent moins intellectuelles que les tableaux. Vous me semblez beaucoup plus proche sentimentalement que dans vos dessins.

            K. : Je crois que c'est proche de l'enfance. Du moins c'est ainsi que je les vois. Je dois dire que je m'amuse beaucoup à faire mes sculptures. Je cherche des jouets, des perles… Je colle, je m'amuse… Et, pour le coup, je fabrique quelque chose qui me fait rêver. A un moment donné, je me sépare des dessins, mais les sculptures me parlent, elles sont vivantes avec moi. Je m'imagine le soir chez moi, en train de continuer à vivre.

 

         J. S-R : Un peu plus loin de nous, vous avez réalisé un clown. Mais un clown en creux. Nous sommes donc de nouveau dans une réalisation différente. Quand on dit "Il en a dans le ventre", pensez-vous que cette définition pourrait lui convenir ?

            K. : Oui. D'autant qu'il s'intitule "Le Mangeur d'étoiles". En fait, en plus de l'enfant, j'ai eu envie d'y mettre mes rêves. Un peu comme les Grecs qui, avec la mythologie, pouvaient imaginer comment meurent les étoiles : au lieu de se dire qu'elles explosent, on peut imaginer que c'est un personnage qui les mange.

 

         J. S-R : La dernière sculpture que vous ayez apportée, nous ramènerait complètement à vos fantasmes africains, car avec elle nous sommes en pleine ethnographie.

            K. : Oui. Le personnage est l'imitation d'un artiste malien, parce que j'aime beaucoup le Mali. Je ne suis jamais allée en Afrique, mais elle me parle. Les habitants sont des gens colorés ; ils sont merveilleux, ils sont vivants. Ils sont en fait tout ce que nous ne sommes pas.

 

         J. S-R : Mais tout de même, votre personnage est blanc !

            K. : C'est vrai ! Je dois tout de même être influencée par ma couleur ! Par le rose !

 

            Entretien réalisé au Grand Baz'Art à Bézu le 12 juin 2011.