Jeanine Smolec-Rivais : Labbrigitte, je voudrais que nous parlions de votre nom qui me semble bien étrange.
Labbrigitte : Mon nom est Brigitte Lab. Un jour, lors d'une expo que je préparais pour mes cinquante ans, je me suis trompée, j'avais écrit Lab Bbigitte, j'ai donc voulu corriger et remettre Brigitte. Mais je me suis aperçue que cela faisait 3 B. Alors, j'ai voulu en supprimer un. Il en restait deux. Ajoutons que, étant berrichonne, où les gens mettent toujours un article devant le prénom, en contractant les deux mots, cela devenait "Labbrigitte".
J.S-R : J'allais suggérer que ce nom apporte une petite connotation de terroir ?
L. : De terroir, je ne sais pas, mais un petit côté humoristique, un petit accent d'humour, oui !
J.S-R : Je distingue plusieurs tendances dans votre travail : en premier lieu, les boîtes qui me semblent relever plutôt de l'artisanat que de l'art ?
L. : Comme nous sommes dans un salon, je n'ai pas forcément apporté un ensemble très cohérent ! Les paquets-cadeaux allaient avec l'ensemble que j'avais conçu pour mon anniversaire, au Centre de création céramique de la Borne, autour d'une grosse pièce montée qui, maintenant est au Centre d'Art contemporain de la Piscine à Roubaix. Donc, comme c'était mon anniversaire, il y avait le gâteau, les cadeaux, le réveil qui donnait l'heure où j'étais née : tout tournait autour de ma fête d'anniversaire. Il y avait aussi des bouteilles et des verres rigolos. Et les "paquets-cadeaux" symbolisaient ceux que l'on m'avait offerts. C'est pourquoi j'en ai apporté quelques-uns. Mais seuls, ils ne sont pas très compréhensibles, effectivement.
Sinon, mon travail concerne plutôt des personnages, des têtes…
J.S-R : Je voulais faire encore une différence entre plusieurs séries : celle qui, pour moi, est davantage à la fois dans le sérieux et dans l'humour, c'est la série des têtes. Elles me semblent essentiellement dans "le paraître" : lèvres extrêmement pulpeuses comme si elles se les étaient fait gonfler comme c'est la mode en ce moment ; elles portent des turbans… En même temps, elles sont un peu compliquées, parce qu'on a l'impression que le deuxième turban est en fait une deuxième série d'yeux.
L. : Il y a toujours des choses qui se cachent dans ce que je fais. Il y a ce que je peux mettre intentionnellement ; et ce que je découvre après coup. Et il y a ce que je ne sais pas que je fais ; que des gens découvrent pour moi. Et c'est ce qui m'intéresse : ce que les gens y voient, et pas forcément ce que j'y ai mis.
Dans cette série, ce sont les bouches et les yeux qu'il m'intéressait de travailler. Il faut qu'il y ait beaucoup de couleur ! Je n'ai pas forcément pensé à faire des bouches pulpeuses, j'ai fait des jolies bouches.
J.S-R : Néanmoins, elles le sont. A ceci près, qu'elles ont les commissures tombantes, ce qui suggérerait qu'elles sont dans un état d'esprit plutôt triste ?
L. : La joie peut souvent cacher la tristesse. Et le bonheur, ce ne sont aussi que des instants. Les deux sont souvent entremêlés. Mais mon intention est tout de même que cela fasse du bien.
J.S-R : Ensuite, nous pouvons considérer les petits personnages seuls. L'un d'eux qui est féminin, pourrait être une Ménine ?
L. : Oui.
J.S-R : Et deux autres sont particulièrement tarabiscotées. Sans que ce mot soit péjoratif, bien sûr !
L. : Il est vrai que mes sculptures sont souvent tarabiscotées.
J.S-R : Est-ce que cela implique qu'elles sont tristes, mal dans leur peau, ne sachant trop comment se comporter ?
L. : Non, non, non ! Je fais des masques de terre, et je taille dans la terre. Je ne construis pas la pièce. Je fais comme le tailleur de pierre, j'élimine. Donc en éliminant, des choses apparaissent. Parfois, la terre s'abîme, je suis obligée de transformer, de modifier… l'histoire m'échappe alors totalement. Mais cette situation me plaît, sinon je ferais une photo ! J'aime bien aussi qu'il y ait du mouvement : le mouvement en mouvement !
J.S-R : Toutes ces œuvres-là sont très colorées. Quelle terre utilisez-vous ?
L. : Je travaille le grès. A haute température. Certaines œuvres sont couvertes d'émail, je fais une base blanche dans laquelle je mets ensuite des colorants. Et, pour la première fois, certaines sculptures avaient été cuites au bois, (parce que j'ai démarré au bois) ; mais je les ai retravaillées avec un pigment et un vernis. C'est la première fois que je procède de cette façon.
J.S-R : Venons-en maintenant aux autres personnages qui, eux, sont dans une petite histoire. Sur chaque socle, se trouvent plusieurs personnages : comment interagissent-ils ?
L. : Parfois, ils se tiennent compagnie, parce que seuls, ce serait triste. Ils ne sont pas forcément en dialogue, mais cela peut arriver. D'autres se reposent parce qu'ils sont fatigués. Mais ce sont plutôt eux qui nous regardent.
J.S-R : Pour l'une de vos femmes, je me pose une question : vous lui avez mis un énorme collier : est-ce comme autrefois, où l'on mettait aux femmes fautives, des colliers de la honte ?
L. : Non. Pas du tout ! C'est un collier, tout simplement.
J.S-R : Mais alors, comment se fait-il qu'elle soit à plat aux pieds du personnage masculin ?
L. : Ah ! Mais je n'ai pas pensé à cela ! J'avais un petit bout de terre, dans lequel j'ai vu une tête. Je l'ai taillé et je l'ai posé là. Je n'ai pas réfléchi à l'implication que j'avais créée !
J.S-R : Dans ce cas, on ne peut même pas dire qu'il s'agit d'une histoire, ce sont deux personnages à côté l'un de l'autre, sans interaction ?
L. : Oui. ET je redis que je n'avais pas du tout pensé à ce qui vous est apparu comme une histoire entre deux personnages.
J.S-R : Dans une autre oeuvre, vous avez un support végétal.
L. : Oui, une branche avec des oiseaux.
J.S-R : Là encore, nous sommes en complet décalage ! Moi j'avais vu une branche, mais au-dessus un poisson avec des nageoires-oiseaux ; ce poisson en train de frayer parce qu'il y a quantité de minuscules boules rondes à l'arrière.
L. : Eh bien, c'est inattendu, mais c'est super !! Vos "histoires" sont beaucoup plus compliquées que les miennes, car je n'éprouve pas le besoin d'en raconter beaucoup. L'essentiel est que j'aie un grand plaisir à créer ces œuvres !
J.S-R : Enfin, nous aurions la série mélange de floral et d'animal, l'un d'eux étant un oiseau. Avec des yeux d'homme, son corps étant vertical.
L. : Les yeux sont très importants pour moi ! Et j'aime bien qu'ils regardent le spectateur. Je passe beaucoup de temps à créer les yeux.
J.S-R : Ceci dit, pour en revenir aux femmes de tout à l'heure, elles ont les yeux sur le côté.
L. : Oui, je ne suis pas fixée. Je n'ai pas de décision a priori. Tout dépend de mon humeur, de l'impression donnée par le reste de la sculpture, etc. Dans ce cas précédent, j'avais un pain de terre, et il était difficile de placer les yeux de face.
J.S-R : Oui, mais les lignes noires que vous avez créées sont celles qui font la séparation. Qui renvoient les yeux comme chez les insectes.
L. : Tout est possible !
J.S-R : Alors, si je vous demandais de définir votre démarche, que répondriez-vous ?
L. : Que j'ai besoin de la couleur, besoin d'humour, que j'ai surtout besoin que cela fasse du bien. Quand les gens regardent, et que je les vois sourire, je me dis que j'ai gagné.
Je passe beaucoup de temps sur chaque œuvre, alors mon idée principale est "faire et laisser dire", mais c'est plus facile à dire qu'à faire !
J.S-R : Oui, justement j'ai vu cette formule dans le catalogue, mais que signifie-t-elle pour vous? Je n'ai pas le sentiment que les gens vous agressent ou pensent que vos œuvres ne sont pas assez travaillées, alors qu'entendez-vous par là ?
L. : Si cela se produisait, essayer de ne pas être concernée. Me dire qu'il faut bien que des gens ne soient pas d'accord avec ma démarche !
J.S-R : Y a-t-il des thèmes que vous auriez souhaité aborder et que je n'ai pas évoqués ? Des questions que je n'ai pas posées ?
L. : Je ne suis pas tellement habituée aux interviews…
J.S-R : Il est d'autant plus important de me dire si j'ai oublié quelque chose !
L. : Ce que j'ai apporté pour cette exposition peut donner l'impression que ma production est un peu éparse ; que ce ne sont que des personnages ou des oiseaux… Mais pas forcément. Cela peut être des œuvres totalement abstraites, des choses grandes, ou encore plus petites…des personnages bifaces, etc. Tout dépend de la masse de terre que je prends ; comment je taille dedans. En fait, l'œuvre évolue en fonction de ce qui se passe avec la terre à un moment donné. Tout est possible ! Tout est ouvert… mais avec la couleur.
Entretien réalisé le 24 septembre 2011, lors du festival CERAMIQUES INSOLITES, à SAINT-GALMIER.