Jeanine Smolec-Rivais : Marie Cal, comment en êtes-vous venue à ce genre de travail ?
Marie Cal : Il y a à peu près un an que j'y travaille. Avant, j'étais dans la mode ; dans la mode féminine où ma recherche personnelle en tant que styliste, c'étaient les formes, tout ce qui était structuré, et consistait à faire du nouveau. C'est la raison pour laquelle mes tableaux portent des anneaux, des choses vivantes…
Je travaille mes tableaux comme je travaillais mes collections de vêtements. Je suis dans une recherche de formes. Avant, mes accessoires étaient des boutons, des broderies, tout ce qui pouvait amener de la vie aux vêtements. Sur les tableaux, ce sont des cailloux, des œillets… C'est pour moi la même recherche artistique.
J.S-R. : Sur les vêtements, vous ne cherchiez que l'esthétique…
M.C : Mais c'est la même chose sur le tableau !
J.S-R. : Justement, n'est-ce pas un peu dommage de ne pas rechercher aussi la psychologie ? De ne travailler, comme pour les vêtements, uniquement sur l'apparence ?
M.C : Mais l'apparence a une importance essentielle, puisque la construction de mon tableau cherche des structures au cours desquelles je pense toujours à une ligne d'horizon pour que le regard s'appuie sur quelque chose, pour que le cerveau ne soit pas perdu. Et ce style de tableau plaît énormément. Surtout aux jeunes qui sont à la recherche de nouveauté, de différence avec ce que l'on trouve actuellement. Et je suis dans une recherche de quelque chose de différent de ce qui existe actuellement. C'est certain. Tous mes tableaux sont une recherche de mouvement, de légèreté, pour que, lorsque le tableau est posé dans une pièce, le regard se perde et s'envole. Et je réussis. Quand une œuvre est seule sur un pan de mur, on ne voit qu'elle et elle amène toute la vie à l'espace environnant.
J.S-R. : Certains tableaux sont constitués de personnages, d'insectes comme des papillons, de fleurs quasi réalistes…
M.C : Oui, il y a toujours un paysage.
J.S-R. : D'autres sont complètement déstructurés, c'est-à-dire qu'ils montent dans une sorte de farandole…
M.C : Oui, c'est tournicotant, par exemple. Si je procède ainsi, c'est à la demande de mon fils qui m'a dit un jour avoir envie de tableaux avec du géométrique. Alors, voilà mon géométrique à moi ! Ce que j'ai eu envie de lui faire. J'aime déranger par des formes qui n'en sont pas. Le but de départ n'est pas celui-là : je fais un gros papillon sur un paysage qui n'en est pas un, mais où l'on retrouve tout de même des arbres en fond, une sorte de paysage urbain, une île complètement désarticulée, et ce papillon qui prend toute sa puissance ; on ne voit que lui, en fait. C'est tout à fait volontaire de préférer, au réel, l'imaginaire pur.
J.S-R. : Certains personnages pourraient être pris pour la reproduction d'une photo, d'autres sont complètement linéarisés, d'autres sont conçus sur le modèle de ce petit personnage en trois dimensions, que l'on retrouve dans toutes les écoles des Beaux-arts : comment passez-vous de l'un à l'autre ?
M.C : Tout simplement. C'est une envie de changement, de ne pas toujours faire dans le même registre.
J.S-R. : Mais la démarche n'est pas la même selon que vous n'avez qu'une ligne suggérant le personnage, ou une démarche presque réaliste en direction d'un autre personnage ?
M.C : Certainement ! Mais peu importe pour moi. L'important, c'est le tableau final. Je peux vouloir un tableau avec juste une figurine au centre et tout plein de couleurs autour ; alors que si je pars sur des danseurs, je n'ai envie d'utiliser que du graphisme. Je n'ai pas de ligne prédéfinie. Je veux m'éclater, ne pas rester dans le même registre, explorer chaque fois quelque chose de différent. Dans une collection de vêtements, il y a des jupes, des pantalons, des manches longues ou courtes, des collections d'été ou d'hiver,
J.S-R. : Cette tête de femme qui semble complètement incongrue au milieu des autres œuvres, quel sens a-t-elle ?
M.C : J'ai eu envie de faire un portrait. Pourquoi pas une femme en fin de vie ? Un jour où je n'étais pas très bien, j'ai eu envie de traduire la douleur que ressentent certaines personnes. C'est pourquoi je ne l'ai travaillée qu'en noir et blanc. Alors qu'habituellement, je suis dans des coloris très forts.
Cela vous laisse muette, je vous étonne ?
J.S-R. : A vrai dire, je suis perplexe, car je ne sais pas quelles autres questions vous poser, parce que votre travail n'est pas du tout celui auquel je suis habituée.
M.C : C'est bien. Je sais. C'est pour cela que j'interpelle. Que les gens sont souvent déroutés. Mais j'ai mon public. Un public de jeunes.
J.S-R. : Pour moi, la question n'est pas de savoir si une œuvre plaît ou ne plaît pas. C'est la question du message qu'elle véhicule. J'ai du mal à trouver dans votre œuvre un message autre qu'une affaire de mode ou de paraître.
Je vais tout de même vous poser la question traditionnelle : y a-t-il d'autres thèmes que vous auriez aimé évoquer et que nous n'avons pas traités ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
M.C : Non, simplement je veux dire que ma recherche consiste vraiment à faire ce dont j'ai envie au fond de moi. Je ne veux pas me mettre dans un moule particulier. Je peins ce qui me plaît.
J.S-R. : Ce n'était pas ce que j'entendais par ma demande, puisque vous avez déjà développé cette envie de liberté créatrice.
M.C : Non, pas d'autres questions. Mon fil conducteur est celui qui me fait plaisir, un plaisir fou. J'ai une vraie reconnaissance envers ceux du monde artistique, parce que, comme je dérange, que j'apporte autre chose que ce qu'ils voient habituellement, ils me regardent en pensant que c'est bien. J'apporte du nouveau et j'interpelle. On me reconnaît. J'ai une signature. On aime ou on n'aime pas mes tableaux. Mais ceux qui aiment sont incapables de choisir, parce qu'ils rentrent dans ce que j'ai pu exprimer. Parce que, dans tous mes tableaux, il y a un message.
J.S-R. : Mais quel est ce message ?
M.C : Par exemple, la vie est faite de nombreux chemins que l'on peut prendre, de chemins différents vers lesquels on peut aller. Parfois on ose, d'autres fois non. Et quand on ose, la vie est pleine de couleurs et toute en fantaisie. Ainsi, mes "Bords de Loire" a-t-il un fond, mais sur l'avant il y a toute une joie, tout un puits, avec ce semblant d'œil qui n'en est pas un mais est plutôt un tourbillon. Physiquement, il ressemble à un œil, mais si on le regarde bien, il est bordé d'une petite fermeture à glissière que l'on peut ouvrir ou fermer. C'est peut-être du voyeurisme aussi. Un autre est le portrait de mon ami, un tronc solide, une sorte de chêne, tant le personnage qu'il est pour moi est un homme farfelu. Lui aussi m'emmène dans cette sorte de tourbillon artistique. Sans lui, je ne peindrais pas. Il est là pour me guider, et son œil pour moi est très important. Un œil critique, parce qu'il fait un peu partie du monde des arts, qui me permet d'aller chercher toute l'énergie que j'ai en moi, et que je transfère dans mes tableaux. Ce qui est très important. Avant lui, j'étais dans un cercle bien construit, bien structuré, mari, famille, amis, une vie bien dans les normes. Alors que, maintenant, je suis plus dans le hors-normes et j'exprime ce hors-normes à travers ma peinture. Qui est différente.
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES AU FESTIVAL DE BANNE, LE 3 JUIN 2011.