RENCONTRE INTERNATIONALE
"AUX ARTS CITOYENS"
SAINT-AMAND-ROCHE-SAVINE (9 et 10 juillet 2011)
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PREFACE DE JEANINE SMOLEC-RIVAIS, MARRAINE DU FESTIVAL
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UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'ART SINGULIER.
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Plus le temps passe, moins l'Art singulier se retrouve dans la marginalité ; parce que plus les organisateurs de nouveaux festivals souhaitent s'inscrire dans la contemporanéité, voire pour Saint-Amant-Roche Savine, dans l'internationalité.
Et pourtant, quand a commencé l'aventure, il semblait que le chemin était tout tracé. Que ces créateurs solitaires resteraient à jamais dans l'ombre. Qu'il serait pour toujours incongru de penser, les concernant, à l'Art officiel.
Mais, que de chemin parcouru au sein de cette marginalité, depuis plus d'un siècle où de pauvres êtres créaient "en toute ignorance derrière les murs de leurs asiles"* ; depuis que la Collection de Jean Dubuffet, refusée par la France, s'installait à Lausanne ; depuis qu'éclataient au fil du temps, les variantes de ces créations "populaires", "naïves", "brutes", "hors-les-normes", etc. ; que surgissaient les passions, les humeurs, les désarrois ou les bonheurs de créateurs autodidactes venus de tous les horizons ; depuis que s’obstiner à les classer, devenait à l'évidence, parfaitement utopique ; depuis qu'avaient commencé à se greffer sur ces productions, des gens bardés de diplômes, lassés des phénomènes de mode, désireux d’en désapprendre les consignes et les orthodoxies ! Depuis, en somme, que la houle enflait ; les labels se multipliaient ; les œuvres étaient muséifiées ; des festivals s’en emparaient et les proposaient au public…
C'est ainsi que, progressivement, l'Art singulier jusqu'alors combinaisons de représentations de mondes intérieurs, psychiques ou quotidiens ; d’univers traversés de couleurs chatoyantes et chaudes, ponctués d'humour ou de mal-être ; jouant parfois avec les mots comme pour illustrer la peinture tout en la prolongeant… l'Art singulier, donc, s'est mis à jongler avec des lieux, se mêler à des formes d'arts stéréotypées auxquelles il n'aurait jamais envisagé de se frotter naguère. Bref, c'est ainsi que l'Art singulier est sorti dans le monde…
Pourquoi, dans ces conditions, s'obstiner à utiliser ce vocable ? Pourquoi les organisateurs de festivals ne cherchent-ils pas une nouvelle dénomination qui impliquerait un doigt de psychologie, un doigt de cérébralité… un doigt de résistance, un doigt de laisser-faire… un doigt de nostalgie, un doigt de volonté d'avancer vers un milieu où jamais l'Art singulier n'aurait dû mettre les pieds ? Pour la même raison, sans doute, que de festival en festival, au lieu de prospecter pour en dénicher d'autres, se retrouvent à quelques exceptions près, les mêmes exposants qui illustrent ces modifications d'esprit, de recherche. Il semble donc bien qu'en ce début de XXIe siècle, le terme "Art singulier" qui, en un siècle, a acquis ses lettres de noblesse, soit si rassurant qu'il demeure "LE" référent incontournable ; même s'il est devenu assez éclectique pour se faufiler par toutes les portes de sortie.
Sortie vers quoi ? Vers où ? Que faut-il penser aujourd'hui de cette situation ? Faut-il se féliciter de ce que les créations recueillies à Heidelberg, à La Compagnie de l'Art brut, à l'Aracine… ne soient plus désormais considérées comme issues de malades mentaux mais comme des œuvres d'art à part entière ; de ce que les œuvres asilaires ne soient plus qu'une infime partie de la marginalité ; le reste appartenant à des gens qui ont la volonté rédhibitoire d'être considérés comme des artistes ; Faut-il adhérer au fait que le nombre de ces artistes se réclamant de l'Art singulier tout en exposant dans des lieux qui n'ont rien à voir avec lui, aille croissant à l'infini ? Faut-il, en somme, aujourd’hui, se réjouir de ce changement d'optique, de cette surabondance ?
Ou faut-il, au contraire, s’en inquiéter ? Craindre que la marginalité ne devienne la nouvelle officialité ? La singularité est-elle sauve d’avoir tenté tant de monde ? Ou bien est-elle menacée ?
Elle est à peu près sauve tant que tient bon la génération des aventuriers qui l’ont supportée depuis plus d'un siècle ! Que survivent les musées qui ont préservé le caractère quasi-sacré des mythes fondateurs. Mais déjà ne sont plus là, Candide et Madeleine Lommel, elle qui a tant lutté contre les amalgames, contre l’Art brut menacé de servir de faire-valoir à l’Art officiel. Alors…
En danger, la singularité ? Certes ! Puisque les créateurs ne se contentent plus du plaisir de créer et reproduisent trop souvent l’attitude des artistes et des voies officiels, soucieux de célébrité et de réussite financière. En danger du fait de la volonté de récupération de gens, des galeristes en particulier, qui ne perdent pas le nord et qui, se rendant compte que leurs circuits habituels ne font plus recette, exposent désormais ces créateurs prêts à migrer ? Et, dans le même esprit, mise en danger par des artistes en mal d’inspiration qui, n’ayant rien contre des mimétismes susceptibles de leur ouvrir des portes, (ces fameux mimétismes dont l’absence dans l’Art brut avait suscité l’intérêt de Jean Dubuffet) s’implantent à tout va dans les sphères qui, jusqu’alors, étaient l’apanage des marginaux.
Subséquemment, quel impact aura, sur l’avenir et l’exemplarité de cette mouvance, ce parti-pris de fusionner les genres ? L’Art Singulier désormais présenté en toute contemporanéité, saura-t-il conserver son originalité ?
Souhaitons que cette conjonction de toutes tendances qui, jusque-là s’ignoraient, permette néanmoins de subsister aux symphonies de couleurs éclatantes et au "dit" si chaleureux et puissamment psychologique, qui caractérisaient jusqu'à présent la démarche singulière. Et que l'Art brut, l'Art singulier authentiques, tous ces courants hors-les-normes tellement diversifiés, fidèles à l’esprit originel, continuent encore longtemps à enrichir, hors des sentiers battus, la création picturale mondiale. Et n'appartiennent pas trop vite à la Préhistoire !
Jeanine Smolec-Rivais.
*Jean Dubuffet.
Ce texte a été publié dans le catalogue du festival.