Jeanine Smolec-Rivais : Emmanuelle Radzyner, nous nous étions rencontrées il y a bien longtemps, à Banne, et déjà vous aviez une création complètement en dehors de l'Art hors-les-normes, tout en étant totalement hors normes !
Emmanuelle Radzyner : Oui. Il est vrai que je suis issue des Beaux-arts, donc d'un parcours autre que celui de certains autodidactes. Un parcours très conceptuel. Quand nous nous étions vues, en 2002 je crois, je travaillais sur la photo, découpage photographique ; mais je travaillais en parallèle sur des installations parce que c'est mon travail de base, sur lequel je reviens toujours. C'est mon premier amour, et je lui suis fidèle !
J.S-R. : Aujourd'hui, nous sommes devant un magnifique parterre de fleurs.
E.R. : Pour moi, ce ne sont pas des fleurs : c'est de l'eau qui coule et qui fait gicler de l'eau dans un bassin.
J.S-R. : Mais je les ai lus à l'envers ! Comme vos multiples petits bateaux sont creux sur le dessus, je les ai vus sur un mouvement ascendant, alors que vous les avez conçus à l'inverse ! Donc, ce sont des vasques qui reçoivent de l'eau ?
E.R. : Ce ne sont même pas des vasques, ce sont des bassins qui reçoivent de l'eau. Et le bassin étant d'une autre couleur, la giclure rejaillit.
J.S-R. : En tout cas, dans un sens comme dans l'autre, c'est extrêmement décoratif, et le jeu des couleurs est tout à fait esthétique.
E.R. : On était venu me chercher pour une installation avec les petits bateaux, avec les coulures, etc. comme je travaille sur ce thème depuis quelques années. Et puis, quand j'ai vu le lieu et les couleurs du mur vert pomme et fuchsia, je me suis dit que je ne pouvais pas mettre l'installation prévue c'est-à-dire des dégradés d'orange et rouge, qu'il fallait absolument que je change mes couleurs. J'ai donc préparé quelque chose in situ. Je suis venue prendre les mesures, j'ai adapté complètement mon travail au lieu.
J.S-R. : Vous décidez souvent de composer votre installation en fonction du lieu où vous allez exposer ?
E.R. : C'est principalement ainsi que je travaille.
J.S-R. : Diriez-vous que les plus de vingt-mille petits bateaux que vous avez fabriqués et qui constituent votre installation, vous rapprochent du côté obsessionnel des œuvres d'Art brut ?
E.R. : Peut-être, oui ? Mais je ne sais pas si on demande à une dame qui tricote, combien de mailles il y a dans son pull ? C'est plutôt dans cet esprit-là que je travaille.
J.S-R. : Pour le travail que vous présentez à la Biennale, tout est donc composé de minuscules bateaux, les uns blancs, les autres dans les nuances de bleus jusqu'aux violets : pourquoi des petits bateaux ?
E.R. : Les installations sont toujours un jeu avec la lumière. Je cherche donc toutes les accroches de lumière possibles. Le pliage est une façon d'accrocher la lumière. Pourquoi le pliage de petits bateaux ? Parce que c'est un pliage simple, et que, quand on veut en faire plus de vingt-mille, il faut pouvoir aller vite.
J.S-R. : Mais vous auriez pu faire des cocottes en papier !
E.R. : J'aurais pu, mais je me suis lancée dans les petits bateaux. Depuis, j'ai appris à faire de nombreuses autres choses, mais là c'étaient les petits bateaux.
J.S-R. : Et, puisque nous sommes en train de faire une boutade, pensez-vous que les cocottes auraient absorbé la lumière autant que les bateaux qui, en fait, sont creux ?
E.R. : Non, je ne pense pas ; parce que le fait que le bateau soit creux fait mieux jouer la lumière.
J.S-R. : Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité de jouer avec la lumière. Quand vous commencez une œuvre de ce genre, vous êtes sûre d'avoir la lumière qui convient ? Ou bien composez-vous votre installation en fonction de la lumière préexistante ?
E.R. : En général, je prévois la lumière que je vais mettre dessus. Mais à Lyon, il y avait un autre contrat; c'est-à-dire que c'est l'éclairagiste qui a décidé. Il m'a dit que mon œuvre était très inspirante et que, dès qu'il l'a vue il a su ce qu'il allait mettre. Et effectivement, dès que j'ai vu ce qu'il avait fait, j'ai dit que c'était ce qui allait ! Cela a été très rapide, parce que nous avons eu la même vision des choses.
J.S-R. : Justement, c'est le jeu de lumière qu'il a créé qui m'a amenée à penser à des fleurs. Dans ce que j'avais appelé la vasque et que vous avez appelé les éclaboussures de l'eau, il a fait des passages lumineux qui, pour moi, recevaient et non pas renvoyaient la lumière.
E.R. : Oui. De toute façon, la lecture est à faire dans tous les sens. Moi, je dis simplement comment je l'ai conçue.
J.S-R. : Mais je n'essaie pas d'avoir la bonne solution !
E.R. : Bien sûr ! Ce qui est important pour moi, dans les expositions, c'est d'avoir le retour des gens qui voient mon installation, parce que chacun a un regard différent, et c'est ce qui me fait avancer. Je ne sais pas si un jour, il n'y aura pas des pliages de fleurs ?
J.S-R. : Et quels sont vos projets ?
E.R. : Je vais participer au Festival d'Humour de Villard-de-Lans, et ce ne sera ni du papier, ni des pliages, je vais faire des petits moutons.
J.S-R. : Des petits moutons réalistes ?
E.R. : Oui. Ou plutôt humoristiques, parce que ce sera le Festival de l'Humour. Comme le principe est que je m'adapte au lieu et à l'équipe avec lesquels je travaille, dans la piscine du Rhône, c'étaient les petits bateaux ; à Villard–de-Lans ce seront les petits moutons en train de paître dans l'alpage !
ENTRETIEN REALISE A LA BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON, LE 2 OCTOBRE 2011.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS "DERRIERE LE MIROIR" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 DE FEVRIER 2003.