RICHARD FARET, alias RICHIE, peintre
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Est-ce parce qu'il est musicien que Richie peint des œuvres qui, de prime abord, ont l'air de chanter ? Belles couleurs de bleus, de vert clair genre prairie printanière ; de rose bonbon acidulé, de jaune mordoré des arbres aux premières rigueurs automnales… donnant de loin au visiteur le sentiment qu'il s'approche d'une création alerte, gaie, pleine d'humour.
Alerte, pleine d'humour, certes, cette œuvre l'est fondamentalement. Une sorte d'humour décalé, corrosif, derrière lequel se dissimulent finesse et intelligence ; mais aussi une grande timidité pour laquelle il serait une sorte de carapace permettant à l'artiste de désarmer l'autre "avant" l'offensive ; ou de se protéger contre une société dans laquelle il ne se sent pas bien.
Nerveuse, également, aux personnages découpés de façon incisive, visages linéarisés à l'extrême, de façon à rendre immédiatement perceptible et indubitable chaque trait de caractère du personnage : gentil, naïf, cynique, colérique, dubitatif, jouisseur, arrogant… tout cela et bien d'autres mimiques, dans un véritable méli-mélo, au fil des œuvres qu'il décline.
Mais, paradoxalement, et en dépit des apparences premières, l'œuvre de Richie n'est pas gaie : Un artiste se trouve-t-il bien de se situer fondamentalement hors du temps, hors des aléas sociopolitiques dans lesquels se déroule sa propre vie ? Beaucoup le revendiquent, d’aucuns y aspirent ; d’autres, au contraire, s’imprègnent des problèmes conjoncturels et, à leur façon picturale, veulent en témoigner, voire les dénoncer : C'est le cas de Richie. Tel les héros romantiques, il porte son attention sur autrui, recherche le dépaysement social ; refuse l’ordre du monde. Il ressent de façon exacerbée tous les sentiments humains : l’amour, l’amitié, la haine, la solitude, la tristesse, la difficulté de vivre… Pour nier cette souffrance et réagir contre elle, il n'a pas peur de briser tous les tabous, de flirter avec le blasphème, agir avec pour seules limites celles de son propre cœur. Pour ce faire, il traite de l'instinct grégaire de l'homme aussi bien que de son besoin de solitude ; de son désir de liberté, mais n'hésite pas à le mettre dans un cercueil. Il le veut atemporel, mais le peint à l'âge de la Cène, le fait singer Spiderman ; lui inflige une tête de vache ou de porc pour les besoins d'une publicité ; lui fait irrévérencieusement tirer la langue… à qui ? Mystère ! A la vie, sans doute ? Mais peut-être pas ?
Car discerner la part du jeu et du sérieux dans les œuvres de Richie, relève de la gageure : Chienne de vie ! "lisent" les uns. Tant d’amour ! clament les autres... Ainsi le visiteur rencontre-t-il tour à tour un ton attendri, doucement confidentiel, des accents gouailleurs, humoristiques, faussement ou authentiquement désespérés, au milieu desquels le peintre évolue ou conteste avec la plus intense jubilation ou le plus profond abattement !
D'autant que, pour attester qu'il "se bat" sur tous les fronts, il use et même abuse des citations ; s'"attaquant" aux saints qu'il déroule telle une litanie ("le saint d'esprit", "le mal saint", le "saint dicaliste"…) ; proposant ses bons offices à la météo ("Défaire la pluie et le beau temps"), au temps qui fuit avec sa "pendule à leurre" ; passant par des proverbes que le visiteur va lire deux fois, pour s'assurer qu'il ne les a pas déformés ("Chien qui aboie ne mord pas") ; s'en prenant à la publicité ("Parce que je le veau bien") ; honnissant la drogue, au point de clouer sur une croix de Saint-André (tiens, un vrai saint !) un "héroïnoman" pour lequel prient? S'interrogent ?... Batman, Jane Calman, X-Man et Mythoman… Bref délivrant sa réaction immédiate et personnelle pour tout ce qui est contre, et contre tout ce qui est pour… Créant à perdre haleine…! Arrachant aux émotions difficiles, une détermination renouvelable. Concentrant en somme sa violence dans la création. Canalisant sa formidable énergie qui remue le visiteur !
Comment, dans ces conditions de tension optimale, ce dernier pourrait-il trouver dans les œuvres de Richie, le moindre optimisme, la moindre matière à gaieté ? Subséquemment, comment ne serait-il pas tout à fait déconcerté, face à cette création ensoleillée et ombreuse ; à la fois belle, provocatrice, mais au final angoissée et angoissante ; en comprenant que cet artiste préfère détourner la réalité pour s'en aller chaque fois en ses vagabondages dévastateurs ?
Jeanine Smolec-Rivais.