Contrairement à Esope et La Fontaine qui élevèrent les bêtes au rang des hommes, la morale n’est pas le propos de Frédéric Ruiz. Plutôt une sorte de conscience, de philosophie, d’animisme très personnel, grâce auxquels il dénonce avec les siennes, une civilisation qui s’acharne à oblitérer les dissimilitudes. Or, les dissimilitudes sont précisément ce qui caractérise les œuvres de cet artiste. Animal, végétal, et/ou minéral, tous les éléments de récupération lui servent dans la conception de ses étranges animaux ailés.
Réalisées dans une sorte d’urgence, polychromes dans des couleurs douces, ou conservées dans la texture du matériau d’origine, l'assemblage est, chez ce “sculpteur” comme chez tous les créateurs d’Art-Récup’, une préoccupation de chaque instant ; dans l’obsession consciente ou non, de la trouvaille infiniment précieuse, de l’objet miracle qui en fera vivre un autre que rien ne semblait prédestiner à être son complément ; mais qui, une fois installé, aura l’air d’être là depuis toujours : Ainsi, Frédéric Ruiz présente-t-il en des installations grégaires, des oiseaux pour la plupart, (ce qui n'empêche pas quelques arachnides de promener leurs huit pattes au milieu de ces êtres de toutes races). Quelle que soit leur appartenance, leurs corps nains -corselets/cocons ou squelettes osseux de conformations diverses- sont au sommet de leurs pattes tubulaires et graciles ; et ils battent de leurs ailes fines et longues, écartées en invocation.
Sont-ils pacifiques ? Pas si sûr ! Leurs becs sont suraigus, et certains arborent à chaque articulation de ces pattes démesurées, de bien menaçants ergots ! Sont-ils "de nos régions", comme il est souvent écrit dans les livres ? Assurément non ! Car, au lieu de petits doigts fragiles, certains sont chaussés de lourds sabots équins ; d'autres sont en équilibre sur des sortes de pseudopodes ; D'autres enfin étalent à angles droits, quatre longs doigts ongulés, semant le doute quant au caractère pratique de ce genre de locomotion ! Sont-ils "oiseaux du ciel" ? Certains peut-être ? Mais leurs ailes longues certes, mais manquant d'envergure, laissent penser qu'elles sont plutôt décoratives, vu la façon dont leur auteur les couvre de motifs et pictogrammes ! Faut-il en conclure qu'ils volent mal comme leur ancêtre antédiluvien, l'archéoptéryx ; ou qu'ils sont cloués au sol comme le dodo et méritent-ils alors le même surnom que lui, Didus ineptus ?
Dans tous les cas, seule la fantasmagorie de l'artiste a pu les faire revivre ou les créer génétiquement ! Dès lors, quels atavismes, quels rêves fous, quelles énigmatiques influences l'ont amené à leur donner vie ? Quelles que soient les motivations de Frédéric Ruiz, son œuvre émerge d’une démarche sensible générant évidence, harmonie, personnalité et unicité au-delà du caractère protéiforme de ses "individus-animaux " !
Jeanine Smolec-Rivais.