Faut-il penser que, né en Allemagne en 1945, témoin innocent de rêves adultes de grandeur et de domination détruits ; survivant de visions apocalyptiques consécutives aux épouvantables agissements nazis et aux destructions de la guerre, Winfried Veit ait été depuis le berceau, définitivement marqué par ces horreurs, véritables cauchemars éveillés ? Et que, incapable de les conjurer, il les ait transcendées en une création sculpturale originale, bâtie autour d'un animal mythique, symbolique par sa toute puissance vouée irrémédiablement à la défaite et à la mort : le taureau ?

            Tantôt le taureau dans son intégralité physique et sa connotation bestiale, puissant, mais ressemblant plutôt par sa compacité et l'épaisseur de son pelage, aux bisons qui naguère, parcouraient le Far-West. Tantôt réduit à la tête accrochée sur une planche et pendue au mur, tel un trophée de chasse ! Dans l'un et l'autre cas, c'est alors que commence, pour Winfried Veit, le jeu avec ce symbole :

La puissance et la gloire avec ce mufle mugissant au-dessus duquel s'étire lascivement une femme aux courbes magnifiques, le poli du bronze mordoré contrastant avec la rugosité vert-de-grisée de la tête.

La force et la renommée avec la bête perchée au-dessus d'un vieux poste radio dégoulinant de sang, comme épuisé lui-même d'avoir trop célébré l'animal qui le domine.

La fête et les lendemains qui déchantent, avec l'animal au naseau percé d'un anneau, au lourd faciès ridé, aux yeux boursouflés de vieux beau fatigué.

La puissance et le dérisoire avec cette immense corne de mouflon portée à dos d'animal et devenant corne d'abondance… vide.

La puissance et la vanité pour cette tête strictement cravatée, clouée sur une planche ornée de fanfreluches, au mufle chargé d'un collier doré.

            On pourrait à l'infini multiplier les exemples, définir les variantes ; n'était que la mort est là, elle aussi en suspension, avec cette tête réduite au squelette du visage, rappelant que "tout est vanité"¹ et ramenant intuitivement le spectateur aux visions de grande angoisse évoquées ci-dessus.

D'autant que, même la position murale n'est pas innocente, chaque œuvre étant inversée par les ombres qui se retrouvent couchées vers le bas, indéfiniment allongées : la lumière et l'ombre ; la réalité et le fantôme…

            Ainsi, Winfried Veit offre-t-il "son" histoire transposée comme une litanie, avec ce bestiaire tellement humanoïde. Ainsi se rééquilibre-t-il apparemment, dans sa création si intense. Ne s'arrêtant qu'une fois parvenu au sommet de son crescendo sculptural, à l'apogée de ce jeu macabre, qui lui permet d'exorciser la montée de son mal-être lié à ses souvenirs, à ses indélébiles terreurs enfantines.

                                                                                  Jeanine Smolec-Rivais.