Jeanine Smolec-Rivais : Virginie Chomette, quelle est votre définition de votre travail ?
Virginie Chomette : C'est un travail qui s'exprime avec des matériaux divers, mais de plus en plus sélectifs. Travail conçu essentiellement avec des tissus, des papiers et des matières que je trouve et que je décompose ensuite.
J.S-R. : Qu'entendez-vous par "je décompose" ?
V.C. : Je vais complètement modifier leur vocation de départ.
J.S-R. : Donc, des matières que vous détournez, plutôt que décomposez ?
V.C. : Oui. Mais en plus, je les décompose parce que je vais les déchiqueter, les découper, les déchirer, les imbiber. En fait, ces tissus donnent la couleur et la matière. Cela ne sort pas du tube, mais c'est la même fonction.
J.S-R. : On peut dire que, quels que soient la forme et le matériau que vous employez, c'est toujours l'homme, l'humain !
V.C. : Ici, en effet, le thème est assez récurrent, c'est celui du visage. Des portraits en général, même si ce ne sont pas des choses académiques dans le sens où cela appartiendrait à un portrait existant ; et encore une fois un peu détourné. Par exemple, le triptyque est parti de l'idée des "Trois singes" : ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre. Alors qu'ici, c'est l'inverse : j'ai tout vu, j'ai tout dit, j'ai tout entendu.
Mon principe est donc, souvent, de partir d'une chose qui existe soit dans l'histoire, soit dans MON histoire, et ensuite de la modifier.
J.S-R. : Diriez-vous que cette façon obsessionnelle de coller des petits bouts à côté, à côté, à… de petits bouts, vous rapproche de l'esprit de l'Art brut ?
V.C. : Oui, tout à fait. Il y a un lien qui est sans concept, en fait. Mais qui se retrouve. Il y a ce côté très répétitif, très boulimique, qui est en rapport très direct avec cet art ; et ce côté instinctif aussi.
J.S-R. : Ces matériaux sont de récupération uniquement ? Ou bien en achetez-vous ? Comment procédez-vous ?
V.C. : La plupart, pour des raisons pratiques et économiques, sont de la récupération. Mais plus je les exploite et les manipule, plus je vais devenir exigeante, c'est-à-dire que je ne vais pas travailler de la même façon avec une soie qu'avec un lin. De même qu'une peinture à l'huile et une gouache ont des différences de caractéristiques, de même je vais les trouver sur ces matières. Le choix va donc être de plus en plus précis. Et j'aime aussi beaucoup faire référence à d'anciens matériaux : Par exemple ces rubans qui sont du XVIIIe siècle. Cela m'intéresse parce qu'il y a déjà cette marque du temps qui est présente et que je vais intégrer dans mon propre temps, dans ma propre histoire. Et le mélange entre ces histoires anciennes et ces choses telles que les petits soldats, les billes… tous matières contemporaines, ne me pose pas du tout de souci. Parce qu'à un moment donné, je pense qu'il y a un mariage tout à fait possible.
J.S-R. : Et qu'est-ce qui fait que, parfois, vous êtes en deux dimensions, et d'autres fois en trois dimensions ?
V.C. : En fait, j'essaie toujours de travailler sur une unique chose, mais je n'y arrive pas. Et cela n'arrête jamais. Dans mon travail, il y a cette boulimie qui fait que la fin est très difficile. C'est ce qui explique que, souvent, mon travail fonctionne en séries. La plupart du temps, en triptyques, d'ailleurs, parce qu'il doit y avoir quelque chose de sécurisant, pour moi, dans le chiffre "3" ? Je n'en sais rien. En tout cas, cela s'étire souvent. J'ai du mal à m'arrêter à une pièce. Elle va faire appel à une autre qui aura bientôt un lien avec elle…
J.S-R. : Souvent, les objets de récupération sont non pas forcément grossiers, mais bruts. Alors que les vôtres sont très sophistiqués…
V.C. : Oui, ils ont un rapport à une certaine "finesse". Une fragilité. Peut-être un côté féminin ? Mais effectivement, j'aime bien ce côté un peu fragile.
ENTRETIEN REALISE A CHANDOLAS, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.