LOUIS CHABAUD, peintre et sculpteur
Fondateur et animateur du FESTIVAL HORS-LES-NORMES
de Praz-sur-Arly
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Jeanine Smolec-Rivais : Louis Chabaud, une légende est en train de naître, apparemment : vous vous faisiez appeler, par amitié, "le Papé" de l'Art singulier. Or, les journalistes qui semblent avoir oublié l'importance des accents, ont fait de ce gentil Papé, "le Pape" de l'Art singulier. Que pensez-vous de ce lapsus qu'ils ont commis ?
Louis Chabaud : C'est quelque chose qui m'a étonné, et qui remonte à cinq ou six ans. J'étais le papé de mon petit-fils ; et en riant dans une conversation, j'ai dit : "Je suis le Papé de l'Art singulier" ! Le papé ! Et voilà que sur Internet, et sur les journaux, l'accent, en effet, a disparu, et j'ai été le premier surpris de voir apparaître "Louis Chabaud, le Pape de l'Art singulier" ! J'ai eu un peu honte, parce que c'était très très ronflant ! Certes, j'ai de l'humour, mais j'étais en colère et je disais à tout le monde que je n'étais pas le pape, mais le papé ! Voilà comment est née cette légende !
J.S-R. : Pensez-vous, au vu de tout le travail que vous avez produit à l'égard des artistes dans les plus de vingt dernières années, que, finalement, vous méritez ce surnom ?
L.C. : Cela s'est fait tout doucement, comme vous le savez. Une carrière d'artiste n'est pas une ligne droite, il y a des hauts et des bas ! Après Danielle Jacqui, j'ai créé le Festival hors-les-normes, parce que j'avais fait un choix d'artistes qui étaient, en grande partie, chez Luis Marcel, chez Cérès Franco et Gérard Sendrey et à la Fabuloserie. C'est la raison pour laquelle je me suis différencié, en disant "hors-les-normes" parce que cela allait dans le droit fil de ce qu'ils avaient créé. Année après année d'artiste exposant, j'ai vu la difficulté que rencontraient de nombreux artistes pour trouver des lieux d'expositions, je me suis dit que ce serait bien de les aider. C'est ainsi que j'ai créé le Festival hors-les-normes de Praz-sur-Arly. Lequel a maintenant une notoriété bien assise. Avec ma femme Paulette, j'ai inventé une famille : les exposants restaient là dix à douze jours, à manger, dormir ensemble… Alors, pour en revenir au Pape, je pense que maintenant, c'est justifié.
J.S-R. : La caractéristique de votre festival est en effet la convivialité, une façon d'aider les artistes en les débarrassant de tous soucis matériels, puisqu'ils sont logés, nourris gratuitement. Il semble quand même, qu'à un moment donné, il y ait eu un problème avec le public qui ne venait pas vraiment ? Avez-vous maintenant, résolu ce problème ?
L.C. : oui, nous l'avons résolu, mais il faut se rendre compte que cela s'est fait tout doucement, que c'est le résultat d'années de travail. Mais vous dérivez un peu : la raison est que le Français n'est pas assez curieux. En plus, c'est un mal national : ce n'est pas parce que l'on programme un festival à Praz et que les habitants ne viennent pas, qu'ils sont moins intelligents qu'ailleurs. Non ! Simplement, ils n'ont pas cette culture. C'est pourquoi il a été très difficile d'asseoir une notoriété avec des expositions conçues dans un style qu'ils ne comprenaient pas ; avec des artistes farfelus comme Antoine Rigal, les Magik'x et compagnie. De voir ces gens si différents d'eux, -dont je faisais d'ailleurs partie, puisque j'étais mime, je jouais de la trompette, j'étais grimé-, les a beaucoup surpris, les a fort dérangés. Il a donc fallu des décennies de sérieux pour convaincre le Conseil général, la télévision, les radios, etc. de seconder Louis Chabaud, et surtout le festival.
Mais la récompense est enfin là ! La cerise sur le gâteau ! Nous avons un musée en plein air au Minigolf 18 trous…
J.S-R. : Justement, je voulais venir à cette grande nouveauté de l'année ; au magnifique hommage que vous ont fait la Mairie et la Région. Un hommage à votre pugnacité, à votre ténacité, à tout ce travail fourni dans la commune. Subsidiairement, pensez-vous que cette démarche soit le fait d'un maire jeune ? Ou croyez-vous qu'un maire d'un certain âge aurait pu avoir l'esprit assez ouvert pour vous rendre le même hommage ?
L.C. : Pour moi, c'est une histoire d'intelligence. Le maire précédent nous maternait d'une force terrible, mais sans se rendre compte de ce que nous faisions. Je suis surpris que, depuis des années que Yann Jaccaz est assis dans le fauteuil de maire, l'idée soit venue de lui. Car elle n'est pas venue de Paulette ou de moi. Ce sont Yann Jaccaz et Pierre Bessy qui se sont dit : Pourquoi pas des œuvres d'artistes ? On amuserait les yeux avec des œuvres placées en des points judicieux. Bien sûr, nous avons sauté sur l'idée. Et je suis euphorique à l'idée que ma sculpture va illuminer ce minigolf ; qu'elle va être vue ! C'est l'aboutissement d'une carrière. Quand l'Equipe de France a été championne du monde, Thierry Roland a dit : "Après cela, on peut mourir" ! C'est mon cas! Je suis euphorique et heureux d'avoir semé avec Paulette, et de récolter aujourd'hui la récompense de ce travail.
Par contre, en ce moment, je dérive un peu, parce qu'avec Paulette, les choses vont mal. Depuis des mois, j'ai dérivé avec des saoulards, mais je remets tout cela en place aujourd'hui même, parce que mon ami Alain qui pleurait dans mes bras, m'a fait une peine énorme ; vous aussi d'ailleurs. Tous deux, vous m'avez fait comprendre que l'alcool tue ! Que cela tue une carrière d'art. Que cela tue un atelier. Que cela tue un artiste qui dérive. Je suis sur un fil, et il y a au-dessous de moi, un trou immense ! Et aujourd'hui, Jeanine Rivais et Alain Vattier m'ont fait la leçon, pour que je puisse partir un jour la tête haute !
J.S-R. : Cette déclaration me fait immensément plaisir. Que vous ayez compris qu'il fallait couper des ponts, surtout, avec ces gens qui ne vous apportaient rien, et vous compromettaient gravement !
L.C. : Il me reste seulement deux ou trois poivrots à mettre en place. Et surtout Louis Chabaud ! C'est fait ! Et même si je me dis que j'ai l'alcool et la cigarette conviviaux, je sais que je peux rétablir un bon comportement.
J.S-R. : Revenons au Minigolf : quelles étaient les consignes de Municipalité pour réaliser leur proposition ; et comment avez-vous réalisé votre choix d'artistes ?
L.C. : C'est un choix que Paulette et moi avons fait. Nous avons contacté une quarantaine d'artistes. Une trentaine ont répondu. La commune et la Région ont mis au point un projet qu'ils nous ont soumis. La somme réunie a permis de rétribuer les artistes qui devaient réaliser une œuvre monumentale capable de durer malgré le froid, la chaleur, la neige ou la pluie. Il fallait donc des matériaux durs et solides pour permettre aux œuvres d'être pérennes.
J.S-R. : A partir de cette réalisation, ce qui a primé cette année, c'est donc l'inauguration de ce Minigolf ? Plus que l'exposition qui n'est, finalement, qu'un petit complément ?
L.C. : Oui. C'est une carte de visite permettant de présenter les artistes qui sont sur le Minigolf.
J.S-R. : Je voulais revenir sur notre précédent entretien qui s'était déroulé lors de votre participation au Festival de Banne, voici quelques années. A ce moment-là, vous m'aviez dit : "Nous avons arrêté le festival". Or, il semble que cette formulation que j'ai reprise ensuite dans une préface, vous ait déplu parce qu'elle avait dépassé ce que vous aviez voulu dire. Alors, voulez-vous bien repréciser ce que vous entendiez affirmer à ce moment-là, et comment vous vivez, d'année en année, avec ce que vous n'appelez plus "festival" ?
L.C. : C'est un peu compliqué, il y a tellement à dire ! J'ai participé à Banne il y a sept ou huit ans. A ce moment-là, je ne créais plus. A cette époque, j'étais dans un trou béant ! J'avais aussi la galerie Singul'Art qui me prenait tout mon temps. Finalement, vous ne vous êtes pas trompée de beaucoup ; c'est moi qui m'étais mal exprimé, parce que je n'étais pas conditionné, pas disponible quand vous m'avez questionné. J'ai dû dire : "C'est fini le festival" ; et vous avez compris que "j'arrêtais le festival". Non ! "C'est fini" en ce sens qu'il y a tellement de festivals que c'est devenu un serpent qui se mord la queue ! Il n'y a plus de découverte. C'est devenu du n'importe quoi ! En ce sens, une année où j'aurais dû dire festival, je l'ai appelé "Arrête ton cirque". Cette année, nous ne l'appelons pas non plus "festival", puisque c'est la consécration des artistes du Minigolf ; et nous l'avons appelé "Golf'Art. Ce sont donc des variantes qui ne s'appellent plus festivals. Mais, à chaque manifestation, les journalistes, les extérieurs, les télévisions et les radios parlent de "festival". Eh non ! C'est "Golf'Art", c'est "Arrête ton cirque", c'est "Céramiques singulières"… qui ont remplace l'ancienne dénomination.
J.S-R. : Il me semblait que la manifestation que l'on appelait donc autrefois "festival" perdurait du fait que vous aviez pas mal de gens pour vous aider ? Ces gens se sont peu à peu dispersés. Vous vous êtes retrouvés tous les deux avec Paulette. Avez-vous maintenant reconstitué une équipe qui vous permette de faire vivre de nouveau ce festival, même si vous ne l'appelez plus ainsi ?
L.C. : Tout de même, l'an passé, avec le catalogue, il s'appelait "Festival hors-les-normes". Je rappelle que nous fonctionnons en biennale. Mais les temps ont changé. Les gens qui, autrefois, n'étaient pas du tout connus, avaient du mal à montrer leurs travaux, étaient d'une sensibilité et d'une gentillesse extrêmes, voyaient bien que ce festival était important. Aujourd'hui, ce n'est plus la même chose. Nous n'avons plus que des Dali, des Picasso qui vendent et ont acquis une renommée ! Seuls quelques-uns ont gardé la simplicité et l'énergie d'autrefois. Les autres se trouvent des excuses pour exposer sans s'investir par ailleurs ! Les festivals "hors-les-normes", les festivals comme celui de Banne et les autres ont grandement perdu de leur sens.
J.S-R. : Ce festival qui a exigé tant d'énergie, tant de don de soi… En fait, je ne pensais pas à l'aide possible des artistes, je pensais à votre entourage.
L.C. : Nous avons rebâti avec Paulette, une association avec des gens extraordinaires qui nous aident énormément. Vous avez pu voir le buffet au vernissage de la Mairie. Ce sont les bénévoles de "Praz-les-Arts" qui ont préparé ce buffet pantagruélique ! Ils vont assurer des permanences. Nous avons donc une vraie équipe soudée.
J.S-R. : Pensez-vous que tout ce travail, tout ce temps investis à l'intention des autres, ont beaucoup lésé votre travail personnel ? Ou avez-vous pu mener les deux de front ?
L.C. : Cela m'a énormément lésé ! Vous savez très bien qu'un festival, c'est au moins un an de travail ! L'exposition Golf'Art nous a pris un an ! On ne peut pas construire une manifestation comme nous la considérons à Praz-sur-Arly, d'une manière légère. Les exigences sont de plus en plus pointues, dans la mesure où les médias, les habitants, etc. sont de plus en plus exigeants avec nous. Et les gens qui viennent parfois de très loin, savent qu'il se passe quelque chose de sérieux. Et de très bon goût.
J.S-R. : Demande traditionnelle : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose, et que je n'ai pas posées ?
L.C. : Je voudrais revenir sur celle où vous m'avez demandé si m'occuper des autres avait lésé ma création ! Bien sûr ! Pendant six ans, j'ai géré Singul'Art à Lyon. Pendant six ans, je n'ai pratiquement rien fait, je me suis occupé des autres ! Je croyais que cela allait démarrer, parce que sur la foi de mon nom, les gens qui me connaissaient, venaient voir. Mais ceux qui venaient tous les soirs étaient un peu comparables à ceux que j'ai chassés ce matin : Paulette leur faisait un café, les faisait manger. Moi je les faisais boire et je buvais avec eux : c'était un bar, finalement ! Et puis, nous n'avons jamais, nous les Chabaud, été capables de travailler ensemble ; et nous ne nous appellerons jamais "galeristes". Nous nous appelons "Venez, nous allons faire ce qu'il faut pour vous faire connaître" ! Voilà notre nom !
J.S-R. : Vous avez évoqué hier soir au dîner, l'idée que je trouve fabuleuse, d'exposer dans l'avenir, et dans la rue, -ce qui changerait complètement la connotation du festival- des toiles gigantesques (par exemple 2m x 6m). Pensez-vous que ce soit réalisable ?
L.C. : Dans le bureau de l'Association, personne n'y croit. J'ai proposé cette idée, mais elle n'est que dans ma tête ! Je la vois. Cela nous permettrait de ne plus demander aux gens de pénétrer dans les lieux d'expositions, ce qu'ils redoutent parfois. L'Art serait dans la rue ; et parce que je suis tout de même, aussi, du spectacle, il y aurait sur une estrade un artiste en train de peindre une grande toile, et en bas de l'estrade, un orchestre de farfelus, style orchestre des Beaux-arts. A la fin, cette toile serait donnée à Praz-sur-Arly, pour agrémenter le village. Mais, si j'arrive à décider toute l'équipe, il faudra que j'aille à la pêche aux sponsors, afin que les artistes qui viendraient peindre, et les orchestres, soient rétribués. Là, est la difficulté : l'argent !
J.S-R. : Voulez-vous ajouter autre chose ?
L.C. : Non, mais je veux, à mon tour, vous poser une question : "Jeanine Rivais, quand vous avez fait votre vie, vous avez été, je crois, institutrice ? Comment êtes-vous tombée dans ce chaudron de l'Art singulier ; avec tous ces farfelus, ces Singuliers, ces Hors-les-normes, ces Bruts… Comment est-ce arrivé"?
J.S-R. : C'est tout simple ! Cela s'est produit après mon divorce. Dans "mon autre vie", comme je l'appelle, il y avait une vedette, il ne pouvait pas y en avoir deux. Je n'ai donc jamais pu produire des réalisations personnelles pendant les trente ans qu'a duré mon mariage. Et j'ai dû me contenter de "fréquenter" l'Art contemporain, où bien souvent je ne trouvais pas mon compte ! Quand j'ai décidé de divorcer, je me suis rapprochée de gens qui étaient dans l'art depuis très longtemps : Mirabelle Dors et Maurice Rapin qui organisaient chaque année au Grand Palais, le "Salon Figuration Critique", composé de 250 à 300 artistes. Je suis très vite devenue une cheville ouvrière très proche des deux créateurs que je connaissais depuis bien des années.
Mirabelle Dors avait l'habitude d'organiser des réunions hebdomadaires, où nous nous retrouvions entre vingt et quarante. Les artistes discutaient, parlaient de leurs projets, présentaient des photos de leurs œuvres récentes. Un jour, une inconnue a apporté des photos de ses sculptures. C'était Raâk André-Pillois. Et ces photos m'ont tellement bouleversée que je lui ai proposé de réaliser un entretien avec elle. Quand je suis arrivée chez elle, elle avait une revue dont je n'avais jamais entendu parler, qui s'appelait "Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda". Quand j'ai feuilleté cette revue, je me suis dit: "Ca y est, je suis arrivée "chez moi" " !
ENTRETIEN REALISE LE 14 JUILLET 2012, DANS L'ATELIER DE LOUIS CHABAUD, A PRAZ-SUR-ARLY.