DRAGUIGNAN 2012 CHAPELLE DE L'OBSERVANCE
Textes de Jeanine Smolec-Rivais
*****
Au printemps 2012 la magnifique chapelle de l'Observance de Draguignan, haute, claire d'une belle lumière rosée, a prêté ses cimaises à l'Association Art et Société, dont l'un des membres, Eddie Copin, a organisé une exposition d'Art singulier intitulée "L'Art dans tous ses états". Dix artistes ont proposé peintures et sculptures, collages, Récup'… affichant leur singularité, leurs différences, en même temps que leurs complémentarités en des œuvres hautes en couleurs. Le public, très nombreux, a vivement apprécié cette manifestation.
********************
ARMAND AVRIL
Le peintre Armand Avril de naguère, créant “entre impressionnisme d’après la Libération et un expressionnisme original relevant des traditions populaires”, celui d'aujourd'hui "qui ne fait pas de l'Art singulier mais qui fait des tableaux" pourrait se résumer par la logique du "tout en un" ! Car chacune des œuvres présentées propose un grand personnage, souvent féminin "dans" lequel se sont glissés ici un chat ou un empilement de chats ; ailleurs des palmes ou des périspermes de graines, des éclairs, une tête de mort, un peintre à son chevalet, un petit bonhomme debout, couché, de guingois, etc. Bref tout la panoplie capable de générer, supprimer, multiplier, intercaler… la vie dans la vie.
Tout cela surligné, peint dans de belles couleurs automnales. Très peu de couleurs, en fait, mais cohabitant harmonieusement.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "RELIEFS ET PEINTURES RECENTES" : : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.
********************
EDDIE COPIN
Une grande cohésion s'est instaurée entre les peintures et les sculptures d'Eddie Copin. Petites œuvres linéarisées pour les premières ; gravées, arrachées à la terre pour les secondes ; tous personnages debout face au monde et lui souriant manifestement.
Petites scènes de bonheur quotidien, pour les peintures dont les supports fantaisistes (planches, cartons…) génèrent les formats les plus inattendus. Mais tous les personnages allant, grands yeux écarquillés, ou paupières modestement baissées, d'un petit être seul, au groupe : celui d'une mère allaitant son bébé ; une danseuse dodue levant la jambe pour ne pas écraser une tortue dont chacun sait qu'elle est la sagesse du monde ; un couple se bécotant ; des enfants se tenant gentiment par la main sur le chemin de l'école ; des adultes dansant, stripteasant, etc. ...
Intimistes également, allant aussi du couple, au trio familial ou aléatoire ("Je ne touche pas !") et au groupe serré ("La chorale"), les sculptures d'Eddie Copin présentent des entrelacements, mille petits gestes tendres ; une tête penchée dans la chevelure d'un partenaire ; un bras passé sur l'épaule amie ; "Adam et Eve" peut-être, sachant qu'"elle" tient en main une énorme pomme rouge…
Cette tendresse des êtres se retrouvant dans la tendresse du sculpteur dont chaque geste se veut caresse, passant, repassant en couleurs douces sur ce monde nouveau pour lui mais qu'il veut optimiste et clair.
********************
GERARD ELLENA
Des quelques soixante-dix cougourdes qu'il a fait réaliser par des artistes, deux douzaines environ ornaient les vitrines de l'exposition : De la femme aux cheveux/fleurs, couverte de dentelles de Roger Ferrara à celle, laquée, vêtue d'une somptueuse robe de velours martelé de Durdica ; de la guêpe strictement corsetée véhiculée par un énorme ver de Jean Duranel à la femme cambrée vulve en évidence et tétins à l'air de Pepe Donate ; de l'élégante chapeautée de Frankline Thyrard à celle couverte de motifs floraux de Laurence Malval ; de chacune à celle contiguë, toutes différentes et néanmoins voisinant sans hiatus, témoignent de la personnalité de leurs auteurs. Et du bon goût sans exclusive de leur collectionneur !
********************
DANIELLE JACQUI
Chaque tableau de Danielle Jacqui est un lieu privilégié où l'oeil a envie de fouiner, s'attarder, rêver, toucher du doigt les perles, suivre les lignes anarchiques qui entourent ses saynètes, s'exclamer ou rester coi devant un groupe cueillant des cerises, ou un tigre bâillant férocement !... Car elle aborde avec le même délire contes, légendes, poèmes, adapte chacun à son gré, recrée des émotions, transcende son environnement.
Quant aux poupées, têtes hypertrophiées ; nez omniprésent coupant en deux le visage, pommettes outrageusement maquillées, corps minuscules disparaissant sous des robes extravagantes ; ne sont-elles pas chacune une petite partie de l'auteure ? Celle laissée par les peintures, les sculptures, les collages, les broderies… Une étape supplémentaire de sa vie, en somme ? Ne sont-elles pas, chacune, au même titre que les multiples créations qui composent son œuvre artistique, l'une des multiples facettes de cette artiste tellement hors-les-normes, chercheuse, questionneuse d'elle-même et du monde ? Qui sait ?
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "REFLEXIONS" : du N° 54 de février 1995 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. TEXTE : "DANIELLE JACQUI ET JEANINE RIVAIS" : du N° 58 de septembre 1996 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et ENTRETIEN : "DANIELLE JACQUI et LA MAISON DE CELLE QUI PEINT": http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER. ENTRETIEN : "LA FACADE DE LA MAISON DE CELLE QUI PEINT" : Revue DE L'AUTRE COTE DU MUR DECEMBRE 1995. TEXTE : "QUAND DANIELLE JACQUI CELLE QUI PEINT est aussi CELLE QUI CREE DES POUPEE"S : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique ART SINGULIER
********************
SYLVIE KYRAL
DAMIERS ET ICONES
Un regard sur les "damiers" de Sylvie Kyral donne l'impression de multiples têtes "à suivre" verticalement ou horizontalement. Mais lorsque l'œil a fait le tour des combinaisons de couleurs, il commence à fouir ces petites compositions, et s'aperçoit qu'en fait, s'il s'agit d'une simple carte d'identité, le visage est peint de façon très incisive, à la limite de la caricature : yeux clos, exorbités, ahuris, épouvantés, surpris… variantes donc à l'infini. Mais cet œil voit aussi que très souvent il s'agit d'un personnage placé dans un mini-décor, et racontant une petite histoire : garçon pilotant une tortue, donnant à deviner qui est le sage ; homme vêtu d'une peau de bête faisant penser à Jason et sa toison d'or ; pharaon coiffé du khepresh sur fond de hiéroglyphes kyraliens, etc.
De même, les grandes toiles proposent-elles tantôt une altercation entre deux personnages sur fond d'écritures illisibles parce que tête-bêche, tantôt un père tenant dans ses bras son enfant sur fond non signifiant ; tantôt encore un berger herculéen portant sur son dos un mouton, chantant apparemment une chanson si prenante qu'elle le cerne de toutes part… et qui se révèle être très proche des chansons paillardes qui faisaient naguère les délices des campagnards en goguette…
VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique ENTRETIENS AVEC DES ARTISTES.
********************
MAT
Les sculptures d'Art-Récup' de Mat semblent particulièrement fragiles : de son cheval/cochon à la tête dominée par une poule ayant apparemment pondu un oeuf, tandis que dans son dos bourré de paille, une sorte de canasson est drivé par deux petits bonshommes ; à son palefroi à la queue en éventail, conduit au grand galop par un fier aurige ; en passant, inattendue entre ces deux moyens de locomotion, par sa danseuse espagnole, taille de guêpe et membres fins comme des allumettes, mantille lui recouvrant la tête, et superbe robe à godets, impliquant qu'elle tournoie sans fin ; l'artiste montre un grand sens des rapprochements d'objets insolites, créant tantôt hiatus, tantôt complémentarités, tantôt parfaite osmose.
********************
CATHY MOUIS
Pour faire honneur au lieu qui s'y prêtait ; et parce que pour Cathy Mouis, il vaut apparemment mieux s'adresser à ses saints qu'au Bon Dieu, l'artiste proposait une kyrielle de personnages dotés de puissantes ailes longuement sculptées de motifs foliaires, suggérant qu'ils étaient prêts à prendre leur essor. N'était que, dûment enchâssés dans des cadres hermétiques, ils étaient tenus de se manifester intra muros !
Ainsi, montre-t-elle "comment ung hermite nommé Félix, gouverna deux enfants à l'aide d'une biche et des norritures qu'il leur donna". Ainsi une sainte à la robe délicatement ouvragée, est-elle apparemment en train de faire l'imposition des mains à un personnage qui serait en off … De même, se succèdent Saint-François d'Assise parlant aux oiseaux ; Saint-Barthélemy, peut-être, parlant aux lézards dans son île lointaine, si exubérant que ses ailes, transgressant l'interdit, sortent du cadre ; Saint-Michel cuirassé, terrassant le dragon. Sans oublier le saint local, Saint-Hermentaire qui, par le truchement de Jean de Nostredame frère cadet de Nostradamus, hérita de la responsabilité de terrasser lui aussi le Dragon ailé. Etc.
En regardant les œuvres de Cathy Mouis, faut-il s'arrêter simplement à l'apparence, ne voir qu'un saint (un ange ?) dans son petit cadre ? Faut-il prendre chaque représentation au pied de la lettre, et affirmer, par exemple, comme le veut le dogme, que la lutte du saint contre le dragon ailé symbolise celle du saint contre un païen non converti ? Ou faut-il considérer que l'ensemble propose-là une fable moderne qui permet à l'artiste d'exprimer dans un même mouvement à la fois la dimension poétique incontestablement présente dans cette litanie de saints ; et la ferveur qui peut-être l'anime ? Le sait-elle elle-même ?
VOIR AUSSI : ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC CATHY MOUIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS BANNE 2007.
********************
MARC PIANO
La participation de Marc Piano consistait en plusieurs totems, inattendus dans sa production habituelle. L'un, monochrome hérissée de dents comme autant de paliers vers le ciel ; un autre au contraire couverte de personnages déformés par la disproportion entre hauteur et largeur, mais glissant jusqu'au sommet sur fond de graffiti polychromes ; un autre enfin, totem lunaire, campé sur un solide support en forme de pleine lune.
Mais l'œuvre la plus surprenante, complètement différente, était son "Redbull", taureau d'un rouge vif, plat mais au ventre bombé comme un soleil rouge d'où rayonneraient des côtes. Bosse immense au-dessus de la tête minuscule, silhouette telle qu'on l'imagine aux premiers temps de la création, lorsque ces animaux dominaient l'homme de tant de puissance ! Un travail sur la terre tellement sophistiqué que les émaux luisent au point de donner l'impression qu'il peut s'agir de métaux précieux !
VOIR AUSSI ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : BANNE 2006.
********************
MICHEL SMOLEC
La tendresse ! Elle se manifesta immédiatement entre le sculpteur et ses œuvres, par la façon dont chacune est longuement peaufinée, chaque détail réfléchi. Elle l'amena vers des êtres qui, sans perdre le côté ludique de leurs aînés (le tragique étant momentanément oublié), étaient traversés d’histoires, de fantasmes, de mystère aussi, et d’érotisme aussi. Mais comme toujours, jouant sur l'imagination, il préféra suggérer plutôt que montrer, provoquer l’œil et non pas le choquer, trouvant plus de sensualité dans la suggestion que dans le déploiement brutal.
Certes, parfois, l’un d’eux tombe la chemise et, pris de frissons, semble prêt à tous les excès de la chair ("Deux heures du mat' j'ai des frissons")… Mais la plupart du temps, richement vêtus de costumes et bottines à boutons, ou de deux-pièces aux couleurs voyantes, crânes chauves ou coiffés de chapeaux chics ou casquettes gouailleuses, ils sont les partenaires compassés ou ardents, des dames dévêtues ou si peu habillées…
Placé côte à côte, face à face… chaque couple semble uniquement préoccupé de lui-même ! Pourtant, lors d'une exposition, le visiteur pouvait lire : "Nous sommes prêts à partir seuls, en couples, et même à changer de partenaires" !... Si cette proposition se renouvelle un jour, imaginez ce qui peut se passer !
VOIR TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "DE TERRE ET DE CHAIR, LES CREATIONS DE MICHEL SMOLEC, sculpteur" et : "TANT ET TROP D'YEUX ou MICHEL SMOLEC dessinateur" : http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER et aussi : "ET DE NOUVEAU SNOUS SOMMES SEULS" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER. Et encore "EROTISME ET TENDRESSE CHEZ LES "PETITS COUPLES" DE MICHEL SMOLEC : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.
********************
Une conférence présentée par Jeanine Smolec-Rivais, intitulée "De l'Art brut à l'Art hors-les-normes : une petite histoire de l'Art singulier", illustrait l'histoire de cette marginalité.