le site artistique de jeanine rivais
Jeanine Smolec-Rivais : Elisabeth Laure, voulez-vous me définir votre travail ?
Elisabeth Laure : Mon travail est celui de mosaïste, c'est-à-dire que je travaille la pierre, le marbre, le verre Albertini (¹), le verre Tiffani (²), des pâtes de verre qui viennent de Venise, les galets, d'autres matériaux auxquels j'ajoute du fer, du bois… Tout m'intéresse, parce que qu'est-ce que la mosaïque ? C'est un assemblage de plusieurs matériaux permettant d'arriver à une œuvre. Le support essentiel de l'ensemble est le mortier. Le ciment-colle et le mortier. Il va falloir jouer aussi pour faire ressortir par endroits les mosaïques, parce que le mortier est plus brut, et souvent les mosaïques sont mauvaises ! Les tesselles (³) de pierre, de verre ou de marbre sont plus nobles que le mortier, et permettent de faire ressortir le travail.
J.S-R. : Vous pensez être au festival en tant qu'artiste ou en tant qu'artisan d'art ?
E.L. : C'est le problème de la mosaïque qui n'est pas bien reconnue. Quand on parle de mosaïque, on parle de décoration ! On ne voit que les miroirs ou les tables en mosaïque. Mais moi je dis que la mosaïque est un instrument d'expression comme la peinture, la sculpture, etc. En plus, c'est un art ancestral, qui a été commencé par les Grecs, les Romains, les Byzantins… Pour moi, c'est vraiment un art à part entière. Et je suis déçue qu'aujourd'hui encore, on n'ait pas donné toute sa noblesse à cet art.
Avec les tesselles, on va faire des tableaux, des fresques. On peut aussi faire des sculptures…
J.S-R. : Et vous n'avez jamais eu envie de passer au vitrail ?
E.L. : On peut faire du vitrail avec de la mosaïque de verre épaisse et, de la même manière, du mortier. J'en ai fait, en jouant de la transparence, mais avec une allure beaucoup plus imposante que le vitrail en lui-même, où n'apparaît pas ou si peu, la tranche qu'il y a entre les verres.
Le travail est similaire, mais aujourd'hui, mon travail est celui des tesselles.
J.S-R. : Que préférez-vous : le détournement d'un objet que vous décorez ; ou le travail que vous constituez vous-même ?
E.L. : Je crois que si, aujourd'hui, je suis ici, c'est que je suis attirée par tous les modes d'expressions, tous supports qui me permettent de m'exprimer avec de la mosaïque. Ce peut être du plat, mais si l'on regarde "le plat" en mosaïque, il n'est jamais plat. Il y a toujours des reliefs, du mouvement qui est donné, et qui s'apparente parfois à des sculptures plates. Par contre, le détournement d'instruments, c'est pareillement pour donner vie à quelque chose qui est mort et que l'on ne peut plus utiliser. On éclaire un peu l'instrument grâce à ces tesselles. Pour moi, toutes ces formes sont indissociables.
J.S-R. : Si je regarde votre plus grand tableau, je vois nettement un oiseau. Est-ce mon imaginaire ? Ou est-ce volontaire de votre part ?
E.L. : Je suis contente que vous y voyiez cela, parce que ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu faire ! C'est de l'abstrait. Donc, il s'agit de faire rêver des gens qui peuvent y trouver un monde à eux, imaginaire, mais sans volonté de les guider vers telle ou telle idée !
J.S-R. : Bien que ce soit sur un support opaque, on voit tout de même des transparences, dans ce qui est verre. Par contre, vous ajoutez des éléments opaques : est-ce pour une question de brillance, de contrastes… ?
E.L. : C'est justement, pour contrebalancer la brillance ou le trop de mats ; et l'aspect plus opaque de la matière est pour jouer sur la lumière. Quand on fait des tableaux de marbre, on ne joue pas sur la lumière, on joue sur la matière. Et quand on travaille avec de la pâte de verre, on joue plus sur la lumière qu'elle peut accrocher par endroits ; ou, au contraire, renvoyer à d'autres endroits. C'est un jeu qui se passe, un jeu d'aplats où vous trouvez la lumière ; et de mats sur ce qui est en relief. Il s'agit en fait de donner sa part à chaque partie.
(¹)La société Albertini et Cie est aujourd’hui la seule entreprise artisanale et familiale en France spécialisée dans la fabrication de dalles de verre et de mosaïques. Son directeur, Gérard Albertini, est le fils de Jules Albertini (1901-1980), issu d’une famille de verriers italiens, qui fonde son entreprise en 1925 à Montigny-les-Cormeilles (95 - Val d’Oise). Associé jusqu’en 1929 avec le peintre verrier Jean Gaudin, Jules Albertini lui fournit notamment les 2000 m2 de mosaïque destinés à la basilique de Lisieux (14 - Calvados) et participe à ses recherches pour la mise au point de dalles de verre. Il précède ainsi dans cette fabrication la verrerie de Saint-Just-Saint-Rambert (42 - Loire) qui n’en produira qu’à partir de 1946. Réputées pour leur qualité et leur palette colorée très étendue (plus de mille cinq cents tons), ces dalles de verre sont recherchées par les peintres verriers et artistes du monde entier. On compte parmi eux Florent Chaboissier, Emmanuel Chauche, Claude Baillon, Jean Barillet, Henri Guérin, Job et Michel Guével, Jacques Juteau, Auguste Labouret, Henri Martin-Granel, ainsi que les moines de Saint-Benoît-sur-Loire.
(²) Louis Comfort Tiffany (né le 18 février 1848 à New York - décédé le 17 janvier 1933 à New York) est un artiste américain célèbre pour ses œuvres en verre teinté dans le style Art nouveau. Il a également peint, et a conçu des bijoux et des meubles
Il crée, en 1885, sa propre entreprise de travail du verre et invente un procédé pour fabriquer des verres opalins, auxquels d'autres artistes préfèrent le verre teinté en clair. Chaque point de vue est motivé par les idéaux du mouvement Arts and Crafts fondé par William Morris en Grande-Bretagne. Un des concurrents de Comfort est le verrier John La Farge (1835-1910).
En 1893, son entreprise introduit une nouvelle technique, « Favrile », pour la fabrication de vases et de bols. Ce nom est dérivé du latin fabrilis, voulant dire « fait à la main ». Il réalise par ailleurs des vitraux (notamment à l'église Church of the Incarnation, Madison Avenue, à New York), tandis que son entreprise crée une gamme complète de décorations intérieures. Il use de tout son talent pour la conception de sa propre maison, Laurelton Hall, à Oyster Bay, Long Island, terminée en 1904.
(³) Les tesselles sont généralement de petits cubes de pierre, marbre, émaux, verre, galet.Tout autre matériel peut-être utilisé dans la mosaïque : assiettes cassées, petits cailloux, coquillages, ardoise, miroir cassé, bois... l'imagination et les sources n'ont pas de limite !
ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.